Chapitre 20

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Ambre me regarde interloquée avant de me répondre :
« Je... croyais que tu étais enfant unique ?
— C'est... le cas. »
Quelques secondes de réflexion passent avant que de sa bouche ne sorte un « Oh », tremblante.
« Je suis désolée. Je–Je n'aurais pas dû demander...
— Non, ce n'est pas de ta faute. Ne t'en fais pas. »
Je soupire légèrement. Ce n'est pas de sa faute, c'est vrai. Pourquoi est-ce que j'ai un picotement dans ma poitrine, alors ? Je n'arrive pas à me comprendre.
« Je vais sortir prendre l'air. »
Je me lève et enfile mon manteau sous le regard triste d'Ambre. Tiens, les cigarettes d'Élise...
Alors que je m'avance vers la porte, je me retourne une dernière fois vers elle. Celle-ci ouvre ses bras vers moi. Plus de bise ? D'accord, pourquoi pas. Je me place dans ses bras sans mettre de pression tandis qu'elle me chuchote à l'oreille :
« Bonne nuit... »
Qu'elle est adorable.
Il fait encore jour. Je gambade un peu dans la ville et arrive au lac de celle-ci. Assise sur un banc, je ressors les cigarettes.
Je ne l'ai pas vu depuis quelque temps déjà... Elle ne me manque pas, mais je n'arrête pas de penser à elle. Peut-être que... peut-être que ces cigarettes en sont la raison ? A chaque toucher sur ce paquet, me réapparaît alors son visage mélancolique rempli de peine, et d'incompréhension. Je la comprends un peu mieux, maintenant. Je devrais les jeter, où les lui redonner. Peut-être qu'elle veut que je les garde ? Ça ne me servirait à rien. Quel dilemme. Je les remets dans ma poche avant de me gratter la tête. Autour de moi, personne. Entouré seulement d'arbres, le soleil couchant se reflète dans l'eau sale du lac. Ce lac où je l'ai perdue il y a déjà quelques années.
Elle avait un sourire innocent, enfant qu'elle était. Ce pissenlit qu'elle m'offrait, elle en était fière. Le lac était encore propre à cette époque-là. Des canards il y en avait, leurs canetons les suivaient. Elle les nourrissait abondamment, si biens que je dus l'en dissuader à un moment. Soudain alors, du pollen et des pétales dans le vent venant. Des enfants, mes camarades. Des vilains me cherchant. C'était l'occasion pour eux, de venir interrompre un moment de famille, un instant chaleureux même en ce temps froid.
Je ne sais plus ce que je leur avais fait. Peut-être était-ce mon habitude à me battre pour protéger mes amis, ou tout simplement ma manie d'embêter les gens.
Nous étions simplement des enfants qui se chamaillaient. C'était anodin, pour nous tous. Un quotidien divertissant. Cette journée aurait été comme les autres, si seulement elle ne s'était pas approchée de nous. Un coup perdu, un corps poussé et alors, une enfant tombait. L'eau froide l'entourait tandis que je m'empressais vers elle.
« Allez chercher un adulte ! », avais-je crié à ces gamins. Je ne savais pas quoi faire. L'eau se colorait doucement de rouge. Seulement elle et moi. Je ne sais plus combien de temps je suis restée à la regarder allongée, inconsciente, mourante de froid et se vidant de la tête. Peut-être aurais-je dû réunir mes dernières forces pour la porter, essayer de trouver quelqu'un, au lieu de rester à ses pieds, attendant des secours éternellement.
C'était trop tard. Une vie perdue parmi tant d'autre, et pourtant celle qui m'a le plus affectée. Je n'ai pas su la protéger. Pas su me retenir. Dès lors, j'ai arrêté de me battre. Je me suis renfermée sur moi même. C'était de ma faute, et je refais aujourd'hui la même erreur. C'est peut-être un message.
« Ah. »
Je lève ma tête pour voir... Élise. Toujours dans les bois, dans des heures tardives.
« Qu'est-ce que tu fais là Morgan ?
— Je sais pas. »
Elle s'assied à mes côtés et j'évite de croiser son regard.
« Toujours en train de vagabonder dans les bois ? demandé-je.
— A la recherche d'un feu follet...
— A la recherche de l'impossible... »
De ce silence obscur sort un rire court mais réel. Suffisamment réel pour être contagieux.
« Alors, dis-moi. Qu'est-ce-qu'il se passe Morgan ? »
S'il me venait à lui reparler de cette histoire, je sens bien que je resterais encore plus en conflit avec moi même.
« Rien que tu puisses vouloir savoir.
— Tu penses ? »
Le soleil se couche, enfin, laissant le ciel orange bleuir peu à peu.
« Qu'est-ce que tu penses de moi ? », dis-je.
Une question pas très prudente, c'est vrai. Élise me regarde, mais je reste sur ma position et observe le lac. Ce lac.
« Je pense que tu es très froide, mais c'est ma pensée. Je suppose que chacun a une face cachée qu'il ne montre qu'à d'autre. Tu es tellement froide, c'est blessant, c'est vrai, et pourtant, je ne sais pas pourquoi, il a fallut que ce soit toi sur qui mon corps réagit. La vie est drôlement faite.
— Étrangement faite, oui... »
Moi, froide ? C'est possible. Je ne sais pas. Je ne peux pas savoir non plus, puisque je ne suis pas elle. C'est le problème de ne pas savoir de quoi les gens sont en train de penser. Mon bras se fait attraper.
« Attends. J'ai eu du temps pour y penser. Alors, oui, tu es froide. Mais si je te trouve tellement sublime malgré tout, il y a bien une raison. Morgan, regarde moi. Je t'aime pour toi. Pour tes atouts, pour tes défauts, car oui, tu en as, et c'est ce qui fait ton charme. Ce ne sont peut-être pas des défauts à travers les yeux d'une folle éperdument amoureuse, mais ça reste des caractères pouvant blesser. Maintenant, je vois bien que tu ne vas pas bien. Tu dois penser que je ne suis pas saine, mais je t'observe et je pense te comprendre. Arrête de trop penser. Tu affiches une mine terrible quand tu penses trop. Vis le moment présent et fais ce que tu sens. Tout est temporaire, alors autant en profiter. »
Perdue dans ses pupilles noires, son discours me repasse dans la tête. Elle a raison, comme toujours. Arrête de penser, et agis. Je prends sa main qui était posée sur mon bras et lui rends son dû, son paquet de cigarette. Elle le regarde, l'amertume couvrant son visage.
« Je regrette ça. Mais je ne regretterai pas ce que je vais faire là », dit-elle, avant de lancer ce paquet dans le lac.
« Où est la fille qui ramassait les déchets pour les jeter à la poubelle ?
— Je la cherche aussi, cette fille insouciante. »
Élise m'a ouvert les yeux, comme elle le fait si bien. Ça me blesse de devoir faire ça.
« Je vais y aller. Merci encore pour tes mots. Je serais toujours là si tu as besoin de compagnie. »
Elle se lève alors après moi, s'approche et m'embrasse sur la joue. Un baiser ferme et tendre en même temps. Je recule et lui souris avant de commencer à courir vers le monde extérieur. Cette forêt est vraiment coupée du monde, c'est ce que j'aime et c'est ce qu'elle aimait aussi, ma petite soeur. Je ne m'arrête pas de courir ni de penser à elle.
Elle aimait passer du temps avec moi, passer du temps avec maman, jouer avec des fleurs, rire aux éclats, parler toute seule, inventer un langage secret entre nous, parler avec papa au téléphone, m'embêter quand je faisais mes devoirs, manger la viande d'abord, puis les légumes, s'habiller avec ses baskets le dimanche, gonfler sa bouche, faire des bulles, me regarder droit dans les yeux avant d'exploser de rire, prendre un bain avec moi, avec maman, écouter, jouer, regarder, vivre.
A bout de souffle, je rentre dans l'hôpital. La réception ne dit rien, croyant peut-être que je suis désespérée. Des gens sont encore assis à attendre.
Je pousse la porte sans faire attention au bruit, en faisant sursauter au passage une silhouette sous un drap.
« C'est qui ? Oh ! Morgan, je croyais que tu étais rentrée. »
Je suis sûrement allée prendre l'air pendant un bon bout de temps déjà. Je m'approche de son lit alors qu'elle se redresse en me souriant. Me posant dans le fauteuil n'ayant pas bougé, je la regarde dans les yeux.
« Elle... me sautait dessus à chaque fois que je rentrais de l'école. De ses jambes frêles, elle courait vers moi malgré tout. Quand elle était à l'hôpital, je venais à chaque fin de cours et lui chantais une chanson. Elle avait constamment un sourire sur son visage, et me posait souvent des questions compliquées avant de laisser tomber. C'était... ma soeur, et je l'aimais tellement... »
Alors que cela devrait être moi, les yeux d'Ambre se couvrent doucement d'une couche de larmes.
« Je... Je ne sais pas q–quoi dire... »
Elle me prend alors dans ses bras et tremble. Elle serre sûrement de toutes ses forces, mais quelle ironie de constater qu'en plus, elle a la force d'une enfant. A cette pensée, je souris mélancoliquement.
« Tu as suffisamment parlé. Maintenant, écoute. Je n'ai pas pu la protéger elle, et je le regrette encore aujourd'hui, mais elle restera toujours avec moi, quoi qu'il arrive, dans tous les choix que je ferais. »
Je me retire doucement d'elle et me plonge dans son regard fondant.
« Morgan...
— Aujourd'hui, je sais une chose. Ambre, tu lui ressembles énormément, pourtant tu n'es pas elle. Tu as refait surgir cette tristesse de mon passé, pour la sortir et me soulager, enfin. Tu n'as rien fait de concret, mais juste ta présence a suffit à me libérer. Maintenant, même si tu n'es pas elle, je sais une chose. Je veux te protéger et je veux être à tes côtés. »

Saaaluuuuuuut. En espérant que ces deux semaines d'attentes ont été relativisées ¿
Excusez-moi des publications irrégulières, mais j'écris quand l'inspiration me vient, mais l'inspiration je l'utilise pour jouer de la guitare, donc faut trouver un juste milieu... >>

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