Chapitre 6

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Aujourd'hui, Nick et Clara sont malades. De ce fait, je suis seule, assise sur mon banc fétiche à méditer. Et je remarque alors que je n'ai pas vraiment d'amis.
On peut se demander ce qu'est un ami. Est-ce quelqu'un qui doit vous parler tous les jours ? Où alors quelqu'un qui vous fasse rire ? Quelqu'un qui est là pour vous dans les mauvais moments ? Ou les trois réunis ?
Les étiquetages, « ami proche », « meilleur ami », «bon ami », qu'est-ce que cela révèle ? À partir de quand peut-on considérer quelqu'un comme ami ? Pas de réponses.
Aujourd'hui, je suis seule et j'observe. Je vois des enfants qui courent dans toutes les directions. Le brouhaha constant ne me gêne pas. En soit, cela me permet de vérifier que je suis réelle. Les trois-quarts des troisièmes restent dans leur coin à eux. Il fait plutôt froid.
Ce que je remarque, c'est plus Élise que je ne vois jamais. Ni Ambre. Je n'avais jamais prêté attention à ça. Je ne porte pas attention à grand chose de toute façon.
Je me décide à me lever, et pourquoi pas, faire quelque chose. Ma montre m'affiche dix heures pile. Eh bien, quand on pense, le temps passe lentement il semblerait.
À chaque pas fais, je dois faire attention à ne pas marcher sur un enfant qui est tombé, ou alors à ne pas me faire bousculer par un mouton, ou bien à ne pas me prendre un quelconque sac qu'un quelconque individu aurait lancé sur un autre en ayant raté sa cible.
Continuant ma ruée vers l'inconnu et j'entends soudain mon prénom sortir du brouhaha. Je m'arrête et essaie de découvrir d'où vient alors le bruit. C'est alors là, que je vois Ambre me faisant coucou de la rampe. Lui rendant son salut, je m'empresse de la rejoindre.
Elle est habillée d'un débardeur, vêtue d'une veste et est postée devant la bibliothèque du collège, en outre le centre de documentation et d'information. Elle me fait signe de rentrer. En rentrant, elle se frotte les bras comme signe que le froid l'a rattrapé. Une envie omniprésente et irrésistible de la câliner revient encore, mais je dois m'abstenir.
« C'est ici que tu te caches donc ?
— Ma grotte à moi, effectivement », dit-elle avec un sourire affable.
Elle se rassoit et se cale sur son coussin. L'endroit est chaleureux, calme, tranquille, avec une bonne odeur de livre. Comment se fait-il que je ne sois jamais venu ici ? Je m'assieds à coté d'elle.
« Tu connais ce livre ? La nuit, me demande-t-elle.
— Non, c'est quoi ? »
En réalité, je connais ce livre. Je l'ai lu il y a quelques semaines. J'aime lire aléatoirement ce qui se trouve dans ma bibliothèque. La vérité derrière ce mensonge est que je veux l'écouter m'en parler. Je veux passer du temps avec elle, mis à part après les cours. Je veux rester avec elle dans cet endroit calme et tranquille. Je veux être dans sa grotte, y entrer. Je veux tout ça mais il ne faut pas tout vouloir dans la vie.
Alors qu'elle me raconte que cela se passe lors de la Seconde Guerre mondiale, je ne l'écoute guère. Mon attention est plus portée dans sa voix si apaisante. Je la regarde en train de feuilleter son livre avec grande attention pour trouver un passage. Elle ne remarque même pas alors mon obsession pesante pour elle. Je souris alors légèrement sans que ce soit niais. Je profite juste du moment présent. Ses jambes fines et délicates sont collées aux miennes un peu plus durs et musclées, complètement l'inverse de sa finesse, mais qu'importe. Après méditation, je me rends compte que l'on ne se dit pas grands choses d'important habituellement. Cela fait apparaître en moi une petite peine. J'aimerais la connaître un peu mieux, mais je ne veux rien savoir tant qu'elle ne veut pas m'en parler.
« Des questions ?
— Non, aucune. Tu expliques très bien. »
Elle me sourit alors, mord sa lèvre inférieur tout en remettant sa mèche à l'endroit avant de se replonger dans sa lecture. Je reste alors à l'observer, encore et encore mais elle ne semble pas y prêter attention. La lumière du soleil dore ses cheveux châtains légèrement blonds. Inconsciemment, comme à notre première rencontre, je sens ma main aller caresser ses cheveux pendants un peu ondulés vers les pointes. Doux et léger, comme je l'imaginais. Ma main se fond dans ceux-ci et semblant avoir remarqué, elle se tourne vers moi en me regardant amusée et interloquée, tel un chat se demandant quel geste absurde suis-je en train de faire. J'essaie de me reprendre, j'essaie, mais alors je me perds cette fois-ci dans ses yeux verts luisants et pétillants reflétants la paix et l'innocence. Comment peux t-on voir ça dans des yeux ? Et bien je ne le savais pas jusqu'à aujourd'hui. Je me sens piégée jusqu'à qu'elle me sauve en secouant sa main devant moi pour voir si je suis bien présente. J'ai juste l'impression que tu n'es pas réelle, Ambre.
« Excuse-moi, je me suis perdue un moment.
— J'ai vu, dit-elle en se moquant sûrement intérieurement. »
La cloche sonne et me sauve encore. J'enfile mon manteau et me lève suivie par Ambre.
« Tu as quoi là ? me demande-t-elle.
— Musique, et toi ?
— Maths.
— Tu as fini de rattraper les cours depuis ?
— Oui, grâce à toi. »
Une euphorie d'empare de moi et mon petit cerveau fait sûrement la fête là-haut. Je lui dis au revoir et ouvre la porte quand quelque chose, ou plutôt quelqu'un se fracasse sur celle-ci. Une porte en verre en plus, je ne sais pas si je vais pouvoir me contenir de rire.
Je l'aide à se lever tout en souriant, essayant de contenir mon rire qui risque de sortir à tout moment. Quel horrible être je suis.
La figure se relève lentement et douloureusement, et la familiarité de son visage me saute aux yeux. C'est Élise, et en plus elle saigne du nez.

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