Ce serait un mensonge de dire que je ne remarque pas les regards incessants dans ma direction. Les gens me fixent souvent habituellement. Je ne sais pas pourquoi. Ils doivent penser que ma démarche est bizarre. Mon style vestimentaire, mes manies ou encore mes yeux toujours perdus au fin fond du gouffre. Je ne porte généralement pas attention à ces gens. Leurs pensées m'importent peu. Ce qui compte, c'est ce que je pense de moi-même.
Alors pourquoi est-ce qu'aujourd'hui, les fixations sur moi m'angoissent autant ? Ces coups d'œil qu'ils jettent, ces rumeurs qu'ils se chuchotent entre eux, ces regards méprisants à mon égard, j'y prête attention. Et je n'aime pas cela. Ce sujet occupant leur bouche, j'aimerais juste l'oublier. Cette bagarre me hante même dans mes rêves. Pourquoi ne suis-je pas exclue encore ? Pourquoi est-ce que il y autant de gens devant le collège ? Ouvrez ce portail, ouvrez cet enfer...
« Morgan, ça va ? »
Une voix venant de derrière m'interpelle. Je me retourne pour voir Clara.
« Pas très bien.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? me dit-elle en posant une main sur mon épaule.
— Regarde autour de toi... »
Clara jette de brefs regards autour de nous puis me dit que ce n'est rien. Le portail ouvre enfin. Nous rentrons sans encombrements, mais le surveillant me zieute. Tant pis.
J'aimerais parler à Ambre pour m'expliquer. Cependant, elle est maintenant entourée de personnes de notre classe. Eh bien, ils ont enfin remarqué sa présence dans cette école après tout ce temps. Je suis contente pour elle. Il faut bien, sinon je passe pour une égoïste. Elle n'est pas à moi, c'est vrai. J'aimerais juste passer du temps avec elle et être heureuse.
Je m'avance dans la salle de cours, Clara à mes côtés. C'est bien d'avoir une amie avec soi en ces périodes tristes.
La fin de cette heure approche, et, pourtant, je sens que certains ont passé l'heure à parler de moi. J'ai l'impression de comprendre Élise maintenant. Se faire observer toute la journée n'est pas du tout ce que j'aurais voulu. On ne peut vraiment rien choisir dans la vie donc.
Alors que je me lève suite à la sonnerie, les quelques amis de Rayane me bloquent le chemin pour sortir. J'aurais dû me douter des représailles, bien sûr.
Ils me regardent férocement. Deux filles, deux garçons. Ils sont tous habillés de grosses doudounes renforçant leur carrure. L'un mâche un chewing-gum, l'autre regarde son téléphone. C'est en soit leur présence qui fait que c'est intimidant. L'une, en me regardant de sa petite taille, prend la parole :
« Morgan, tu vas tellement regretter ce que t'as fait », dit-elle, en prononçant ensuite des injures dans toute une langue. Je sens des démangeaisons tout le long de mes bras. Il ne faut pas que je cède pour cela. Ce ne sont que des provocations, certes, déconcertantes, mais inexistantes dans un sens. Entendant les autres élèves s'impatienter derrière moi, je décale la blonde vers le côté avant qu'elle m'ordonne de ne pas la toucher. Les pas lourds, je m'avance vers le prochain cours.
Ainsi se passe cette journée. Les collégiens me fusillent du regard tandis que d'autres clament haut et fort que je n'aurais pas dû. En soit, je ne sais pas vraiment si ce sont des menaces ou des conseils. Les propos se déforment rapidement dans ce contexte.
« Allez Morgan, c'est rien, me dit Nick. Tu sais comment ça se passe. Les rumeurs arrivent et partent comme les vagues fulminantes de la mer en détresse.
— Tu sors de français toi, réplique Clara sous un ton sarcastique. »
Je suis tout de même chanceuse de pouvoir compter sur eux. Ces deux là, qu'est-que je pourrais faire si ils n'étaient pas à mes côtés ? En cette pensée, je souris, ce que Clara remarque.
« Seigneur, elle a sourit, Nick, elle a sourit ! Quel miracle.
— Oui, oui quel miracle. Bon c'est pas tout, mais Clarence m'appelle. »
Nick s'en va alors et aborde un petit sourire angélique pour se faire pardonner. Contente de voir qu'une personne va bien au moins.
« Maintenant qu'il est parti, dit moi ce qu'il y a. »
Clara me prend par les bras et me fait m'assoir de force. Elle me regarde droit dans les yeux sans détourner le regard. Bizarrement, je maintiens mes yeux sur les siens. Je ne peux donc guère m'y échapper. Grattant ma tête et en hésitant légèrement, je lui dis :
« C'est Ambre.
— Oh je le savais.
— Ah bon ?
— Oui, mais bref continue.
— Depuis vendredi, je crois qu'elle m'évite. J'aimerais juste pouvoir lui reparler comme si de rien n'était.
— Tu n'es pas la seule.
— Toi aussi ?
— Non. »
Elle marque un temps de pose avant de soupirer. Elle sort alors son téléphone et lit à voix haute :
« Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir dire face à elle ? Aide-moi Clara...
— Tu lis un message... d'Ambre ?
— Oui, abrutie. Elle s'est enfuie comme toi. Vous n'êtes vraiment pas douées. Heureusement que Clara est là, n'est-ce pas ? » dit-elle fièrement.
« Je suis contente de t'avoir rencontrée, sincèrement.
— Moi aussi. Et dire que je croyais que t'étais quelqu'un d'ennuyante. Je juge trop vite, non ?
— C'est pas faux, tu sais. »
Clara me tape à ma pauvre épaule ne demandant que du repos et un visage en pleurs.
« Enfin bref, je vais lui en parler pendant le cours de français. Compte sur moi.
— Merci...
— Tu me fais un câlin ?
— Non.
— Pas grave. »
Cette petite fille se jette sur moi, cognant ma tête au mur. Je laisse échapper un soupir de douleur, mais en voyant sa petite tête et sentant sa petite odeur, je ne peux que lui retourner son étreinte. Un moment chaleureux qui pourtant ne rend pas mes mains moites.
Le dernier cours de cette journée est enfin terminée. Je regarde Clara qui chuchote quelque chose à l'oreille d'Ambre. Ô coeur fragile, arrête de battre autant.
En sortant, je me demande si je dois attendre Clara. Elle sortira sûrement avec Ambre. « Compte sur moi ! », mais qu'est-ce que je dois faire, moi ? Je sens une main m'agrippant par derrière : Clara. Je regarde Ambre mais baisse les yeux même temps qu'elle. Oui, j'aimerais bien lui parler. Mais en ces circonstances, c'est plutôt compliqué. Nous marchons toutes les trois côte à côte. Clara est au milieu pour le plus grand bien de mon coeur. J'ai l'impression que cela fait longtemps que je n'ai pas vu Ambre. Alors qu'une chance se présente, je n'arrive toujours à rien faire. Quel est le sens de ce que je fais ? Je relève ma tête et vois Élise marchant précipitamment dans la salle de français. Elle aborde un air triste en me voyant et baisse sa tête. C'est là que je me demande, suis-je la cause de sa tristesse maintenant que les rumeurs sur elle ne sont plus ? Que suis-je pour tout le monde ? Toutes les choses que nous faisons ont-ils vraiment une conséquence ? Je me retourne pour la voir ouvrir la porte de la salle et disparaître de mon champs de vision. Mais qu'est-ce qu'elle peut bien faire en français ? avec notre professeure ? Un nouveau mystère comblant une fille mystérieuse...
« J'ai quelque chose d'urgent à faire, je vous laisse. N'oublie pas de prendre tes médicaments après, Ambre ! » nous dis Clara en descendant les escaliers à une vitesse folle. Elle ne nous dit même pas au revoir. Nous savons pertinemment ce que cela veut dire. C'est l'heure pour nous de parler. Avec le brouhaha constant dans les escaliers, Ambre engage la parole presque instantanément après que Clara soit partie :
« Je voulais te dire que je t'ai évitée tout ce temps pour une raison. La raison, c'est moi et seulement moi. Ce n'est pas de ta faute, tu sais. »
Je m'arrête en pleine marche sur ses paroles. Pas de ma faute ? Pourquoi dit-elle cela ? Est-ce vraiment pas de ma faute ? Après tout ce que j'ai fais ? Peut-être bien. Peut-être que je pensais trop. Mais en quoi est-ce de sa faute, alors ?
Alors que Ambre me regarde, elle continue :
« Non, c'est plutôt que... »
Sa voix s'arrête brusquement et tombe avec son corps entier. Le temps semble ralenti tandis que j'essaie de décrypter ce qu'il se passe. Avec notre arrêt soudain en plein milieu des escaliers, quelques turbulents ont laissé des mains s'échapper sur nous. J'essaie de rattraper Ambre, mais mes réflexes se sont ramollis. Les cris fusent dans tous les sens suivis d'un calme angoissant. Ambre, inconsciente, est allongée sur le sol à une trentaine de marches plus loin. Je descends les marches quatre par quatre ne manquant pas de tomber pour la rejoindre. Elle ouvre ses yeux difficilement et ses sourcils sont froncés. Voyant que des larmes commencent à couler, je crie :
« Appelez une ambulance, bon sang !
— Calmez-vous, tout le monde. »
La principale, sous son manteau en fourrure imposant descend des escaliers, son téléphone à son oreille. Un calme incroyable est présent en elle. Elle contrôle extrêmement bien son sang-froid, alors que c'est sa propre fille ? Est-elle habituée à ce genre de situation ? L'adresse de l'école dite, elle raccroche ainsi son téléphone. Je regarde Ambre, frustrée de ne pas avoir pu la protéger de cet accident.
Alors que la principale fait circuler tout le petit troupeau s'étant amassé dans les escaliers, les ambulanciers arrivent en poussant les enfants.
« Tu as fini les cours ? me demande la principale.
— Oui.
— Bien, viens avec moi alors. »
C'est ainsi que nous montons dans l'ambulance, sous une atmosphère plus pesante que tous les regards réunis en cette terrible journée.

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Inaccessible
Romansa« C'est bizarre, j'ai l'impression d'être plus triste quand je pense à elle, alors que l'on dit sans arrêt que l'amour rend heureux. Cette image de l'amour que la culture populaire embellit de passion et de romance n'apporte en réalité que de la déc...