Je n'arrive pas à supporter quand mon cœur bat aussi vite, quand je ne peux m'empêcher de sourire et quand elle apparaît dans mon esprit à chaque moment propice. Aujourd'hui est le jour du brevet, et pourtant, encore une fois, c'est elle qui apparaît abruptement dans ma tête dès le matin. Ce sentiment veut l'atteindre, je le sais, je le sens, mais j'ai jusque-là omis de le lui dire, croyant naïvement que je l'oublierais, pensant qu'elle me trouverais bizarre et craignant qu'on ne puisse plus parler. C'est bizarre, j'ai l'impression d'être plus triste quand je pense à elle, alors que l'on dit sans arrêt que l'amour rend heureux. Cette image de l'amour que la culture populaire embellit de passion et de romance n'apporte en réalité que de la déception au final. Cependant, quand elle est à mes côtés, je ne peux m'empêcher de succomber aux croyances populaires et alors je demande pardon d'avoir douté d'elles. Je pense, je doute, je pleure, mais quand je la vois, je revis et je rougis. Et quand elle me quitte, je rêve, je pense, et le cercle vicieux recommence.
Ainsi mon esprit tout de suite vidé de toutes ces réflexions, je me prépare à partir. Seules quelques formules de mathématiques et figures de style hibernent dans le coin de ma tête, ainsi que les anecdotes principales de mes cours. Sur la route, passant près de quelques chats domestiques et de bouteilles que je jette à mon passage, j'arrive devant mon collège. Quatre ans ici, quatre ans d'ennui, et pourtant un sourire me prend en repensant aux quelques bons souvenirs d'avant. Je me souviens de quand j'étais encore en primaire, même si ces souvenirs commencent à devenir réminiscences. Des enfants jouant à la corde à sauter, à la marelle, au foot, à cache-cache, pleins de divertissements disparus au sein du collège mais qui substituent dans les vies de certains. Ces années, où tout le monde fait attention aux regards des autres, ces années de changements physique et mental, ces années de découvertes, de honte et de tristesse pour certains. On se croit fort, confiant, mature et sage, alors qu'au fond, on ne reste que des enfants pour les adultes, mais des adultes pour les enfants. J'espère bien qu'au lycée, ce sera différent.
Arrivée devant le collège où je dois passer le brevet, je scrute la foule d'élèves anxieux déjà présente afin de trouver mes trois amis. À ma grande joie, c'est Ambre que je vois en premier, elle qui ne m'a pas remarquée. Je me glisse alors derrière elle et pose mes mains sur ses yeux.
« Qui c'est ? demande-t-elle.
— Nick », dit une voix derrière moi.
Je me retourne toujours en maintenant ma position afin de voir Nick qui arrive en souriant. Ambre retire alors mes mains et se retourne vers moi, prête à dire quelque chose.
« Morgan ?
— Oui ? »
Elle fronce les sourcils et affiche une mine incomprise d'un chiot à qui on parle un langage humain, me faisant sourire, alors que Nick arrive par derrière afin de la saluer. Elle exprime sa compréhension par un court rire. La voyant aussi perdue, je ne peux m'empêcher de lui pincer les joues, ce qu'elle ne repousse pas.
« Bon, elle est où Clara ? demandé-je.
— Elle a oublié sa convocation, elle va pas tarder à arriver je pense, dit Nick.
— Heureusement qu'il est tôt alors.
— Ah, je crois que je la vois », dis-je.
Avançant toute triomphante, Clara brandit sa convocation tel une carte au trésor. D'autres retardataires suivent Clara de proche. Nick lui fait signe de se dépêcher alors que le portail du collège s'ouvre enfin. Très vite, le brouhaha s'éteint et un homme en chemise rayée bleue, offrant une expression sérieuse, dossiers à la main, ouvre la porte et s'avance jusqu'à la foule. Il prend la parole et appelle les différents collèges ainsi que leurs classes afin d'entrer. Le mouvement est organisé et rapide, mais des bousculades et des « pardon » répétés ne sont pas inévitables. Ambre est malheureusement victime de cette de vague déferlante et sûrement à cause de sa taille de guêpe et d'un mouvement violent, elle se fait pousser sur moi. Instinctivement, mes mains s'agrippent à ses bras mais je sens mon cœur s'accrocher pour ne pas tomber. J'inspire un grand coup et pour le bonheur de tous, je recule et la rapproche de moi afin de laisser passer les perturbateurs. Je suis à peu près sûre qu'elle peut actuellement entendre mon cœur battre comme si ma vie en dépendait. La gêne a cependant l'air partagée car elle évite tout contact visuel avec moi mais à chaque échange de regard inévitable, elle ne peut s'empêcher de devenir toute rouge et de regarder ailleurs tant bien que mal. C'est en ces moments là que mon esprit bien clair se brouille et se dit que, peut-être, il y a une infime chance, que mes sentiments soient réciproques. Mais mon vice intérieur reprend souvent le volant afin de me remettre pieds à terre. La vague enfin passée, je rompt contact et fais mine de chercher Clara et Nick, afin d'éviter de regarder Ambre dans les yeux pour regagner mon calme. Les voyant me faire un signe de main, je scrute à nouveau la foule qui a diminué en taille. La main sur le cœur, je le sens encore en train de battre à vive allure. Tout cela s'est passé sur une période de quelques minutes, mais quand je suis avec Ambre, ma perception du temps ralentit, pour mon bonheur tout comme mon malheur. Enfin, le nom de notre collège est prononcé en quatrième et sûrement en dernier. Lentement, la foule devient un groupe qui se rétrécit en une classe, la mienne. Cependant, elle est vite divisée par ordre alphabétique des noms de famille. Je vérifie encore le nom de famille d'Ambre afin d'être sûre de ne pas être trop proche d'elle durant l'épreuve, sachant que l'on sera inévitablement dans la même salle, et souris de soulagement. Quand enfin nous arrivons devant la classe, je daigne enfin lui adresser la parole :
« Pas trop stressée ?
— Ça va, tu m'as beaucoup aidée.
— C'est pas grand chose. »
Et sur ces dernières paroles, la porte s'ouvre enfin et le rang s'avance hésitant et lentement dans la salle de classe, d'où émane une odeur de produits de nettoyage.

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Inaccessible
Roman d'amour« C'est bizarre, j'ai l'impression d'être plus triste quand je pense à elle, alors que l'on dit sans arrêt que l'amour rend heureux. Cette image de l'amour que la culture populaire embellit de passion et de romance n'apporte en réalité que de la déc...