Chapitre 7

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Mon portable m'affiche l'heure, dix sept heures quarante-cinq. Élise ne devrait pas tarder à sortir.
Après les quelques cent pas de fait, je vois Ambre qui sort du portail en refermant son sac, encore une fois très tard. Je lui fais signe de venir.
« On rentre ? me demande-t-elle.
— Désolé, mais je dois attendre quelqu'un...
— D'accord, et bien à demain alors. »
Nous nous parlons tous les jours sur nos portables. Pourtant, elle ne l'utilise pas beaucoup comme elle l'a dit, ce qui me fait me sentir plutôt privilégiée.
En voyant une demoiselle sortir avec un pansement minable sur le nez, je fais la bise à Ambre et lui souris. Il n'empêche que j'aurais voulu rentrer avec toi Ambre, mais on ne peut pas tout avoir.
Je regarde Ambre qui s'éloigne pendant qu'Élise vient vers moi. Elle a, comme j'ai pu le remarquer, un pansement sur son nez, ce qui donne un effet de casse-cou. Ou casse-nez, si mon humour me le permet. Après qu'elle soit tombée, j'ai du l'emmener à l'infirmerie sous le regard moqueur des autres. Mon sourire s'était alors effacé.
« Rien de grave, j'espère.
— Non, non, ne t'inquiète pas.
— Tu reste tout de même charmante, ne t'en fais pas. »
Ses joues commencer à rosir. Je ne croyais pas cela possible. Une personne si forte et l'air froide rougir, que c'est amusant.
Sur le chemin, nous ne parlons pas, comme à notre habitude. Le silence règne toujours. Nous repassons alors par cet endroit où je l'ai vu pour la première fois. Le vent souffle plutôt fort, et l'air est accompagné de cris de corbeaux. Je ne dirais pas que c'est lugubre, mais tout de même. Nous nous arrêtons un instant pour nous poser sur le banc, instinctivement. Elle en profite pour jeter une cannette. C'est vraiment une ville de sauvages. Le ciel commence à se teindre d'une couleur orange et le soleil se cache derrière les immeubles. C'est gentil de m'offrir une belle vue en compagnie d'une belle demoiselle.
Pourtant, Élise regarde le sol, l'air pensive. Je n'arrive pas vraiment à la cerner. Il y a des moments où elle parle beaucoup, et d'autres où elle reste silencieuse comme une chouette. En somme, elle est renfermée dans sa bulle de même. Sa bulle à elle, son monde, doit être complètement différent de ma grotte. Je ne sais pas quoi en penser. Elle se confie à moi souvent. Tout le monde connaît son histoire au collège. C'est celle qui revient le plus souvent dans les sujets de ragots et rumeurs. Rejet de quelqu'un pour quelque chose de pourtant absolument normal. Je ne comprends pas pourquoi ils ne peuvent pas penser clairement et avoir du bon sens.
Une goutte se pose alors sur ma joue. Je ne me réjouis guère de cela. Les gouttes se font alors plus fréquentes et rapides. Pourtant, toujours pas de réaction d'Élise. Se pourrait-il que ses cinq sens se soient envolés quand elle s'est cognée contre la porte ? Je me lève et m'accroupis devant elle. Nos regards se croisent alors, mais pourtant toujours rien. Aucuns cillements, aucuns clignements, seulement le silence pesant et nos regards absorbants. Je ne ressens que l'envie de rester comme ceci, malgré la douleur naissante dans mes cuisses. Je ne vois pas ses pupilles, ou alors je ne vois que cela. Cette atmosphère est brisée par son souffle chaud, produisant de la buée. C'est bientôt le printemps.
Le ciel est désormais bleu nuit et les nuages gagnent le ciel. La pluie commence à se faire sentir sur nos habits. Je lui tends la main qu'elle prend et nous nous abritons sous un balcon.
« Il fait froid, non ? », dis-je, brisant le silence.
Je discerne un vague « oui » fondu dans une voix faible. Je pense à ce que nous faisions il y a quelques instants. Ces regards persistants, à quoi se résument-ils ?
Je sens une chaleur sur ma main. Élise agrippe ma main avec la sienne tout droit sorti du four. De sa poche, je veux dire. Nos doigts s'entrelacent malgré moi. Ce n'est pas inconfortable, mais mes mains sont très moites. Je la regarde mais elle ne me rend ni ma main, ni mon regard. Je suis alors piégée. La pluie s'est arrêtée. La nuit est arrivée.
« Je suis tombée, dit-elle d'une voix plus éclaircie.
— Quand ? Tu parles de ce matin ? »
Elle ne répond pas. Je ne comprend pas grand chose de ce qui se passe, à vrai dire.
« Non, je veux dire... »
Il y a ce silence entre nous. Ce silence où j'attends une réponse comme toujours.
« Je suis tombée amoureuse. »
Ce silence que nous n'évoquons pas. Ce silence compréhensif.
« De ? demandé-je.
— Toi. »
Le silence.

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