Chapitre 12 - Mélancolie

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L’adolescent était devenu le maître du royaume. Ne vivaient plus là, que quelques familles de cerfs, trop pauvres ou trop vieilles pour aller tenter leur chance ailleurs. Le château n'était plus que ruines.

La famille royale ne mangeait qu'un seul repas par jour.

Il fallait se rendre à l'évidence, ils étaient perdus. Mélisande, sale et vêtue comme une paysanne n'adressait presque plus la parole à son mari, le tenant pour responsable tant de leurs richesses passées que de leur pauvreté présente. Le roi, amaigri, ne disait mot et n'avait de force que pour se glisser jusqu'à la fenêtre et regarder son beau domaine sombrer. Ses yeux éteints contemplaient la désolation qui s'offrait à lui. Cela avait pour effet de finir de le mettre à terre.

Pour ne pas croiser trop souvent le regard de ses parents, Garrigue, partait des journées entières, il errait le long des murailles effondrées. Il n'avait plus à se camoufler ou à se grimer pour sortir. Il ne cherchait plus, non plus, la compagnie d'autres enfants, de toute façon, ils étaient tous partis. Lui qui avait tant voulu être comme les pauvres pour mieux les approcher, maintenant qu'il n'avait plus rien, c'était justement les pauvres qui ne voulaient plus le voir. Terrible revirement de situation, mais sa famille avait tant fait de mal, qu'aujourd'hui tout le monde leur tournait le dos.

Lorsque Garrigue partait, c'était le plus souvent pour se cacher et se lamenter sur son sort, pour crier au ciel son incompréhension vis-à-vis de cette nouvelle vie qu'il ne pensait pas mériter. Lui qui n'avait cherché que l'amitié.

Son refuge, c'était les remparts démolis du château. Il en avait fait son terrain de jeu et il les connaissait comme sa poche.

Un jour, alors qu'il se faufilait dans une petite alcôve, il fit une étonnante découverte. Le temps que ses yeux s'habituent à la pénombre, la faille lui révéla un lieu étrange et oublié. L'endroit  avait dû être bien fréquenté par le passé.

On aurait dit une toute petite chapelle. Dissimulée derrière les épais murs du rempart, elle avait dû servir aux paysans et avait été abandonnée, comme le reste. Elle était si minuscule qu'il n'était pas possible de s'y tenir à plus de deux.

Le regard de l'explorateur se posait sur chaque chose et contemplait un univers nouveau et tellement surprenant. Le temps ici, ne semblait pas avoir eu de prise sur les choses. Les objets n’avaient pas été touchés par la lente altération que le temps prenait un malin plaisir à effectuer sur les murs des bâtisses alentours. Il laissa ses mains parcourir l'autel. La table sacrificielle était sculptée dans une pierre blanche tellement polie qu'elle paraissait lustrée et les deux pieds torsadés qui la soutenaient étaient façonnés d'une manière si précieuse qu'elle détonnait avec ce lieu. Au centre du plateau, était disposée une croix dorée, scellée sur un piédestal incrusté de verroterie multicolore.

Un instant, l'éclat du métal fit penser Garrigue à de l'or. Et avec lui, les possibilités qu'auraient offert un tel trésor en matière de nourriture. Il imagina un instant cette aubaine pour lui et ses parents.

Mais sa rêverie fut interrompue lorsqu'il se trouva nez à nez avec un oiseau qui le fixait avec ses gros yeux ronds.

Il eut un mouvement de recul en apercevant le volatile perché près de lui. D'abord effrayé, il fit de grands gestes avec les bras pour le chasser.  L'oiseau écarta un peu les ailes pour s’élever dans l’air et éviter le bras. Puis il revint se poser au même endroit. Sa tête pivotait lentement en suivant les gestes frénétiques du prince. C’est avec sérénité que ses paupières s’abaissaient à intervalles réguliers. Loin d’être effrayé, le calme de l’animal semblait intimer à son assaillant un ordre muet, mais péremptoire.

Cet oiseau était une chouette aux plumes noires et luisantes. Garrigue n'avait jamais vu de chouette noire, il ne savait même pas que ça pouvait exister. Celle-ci possédait un plumage si brillant qu'il scintillait comme des milliers de diamants. Le prince, ébahi, avait beaucoup de mal à ne pas la fixer. Il lâcha :

— Ce que tu es belle, je n'ai jamais vu une chouette comme ça !

L'oiseau tourna délicatement sa tête vers Garrigue, ferma doucement les paupières et lorsqu'il les rouvrit, articula :

— Merci, ce compliment me va droit au cœur !

Garrigue était médusé.

Un oiseau qui parle ! Cela faisait plusieurs jours qu'il ne mangeait plus du tout à sa faim, mais de là à ce que les effets du manque de nourriture lui fasse entendre parler les oiseaux, c'était quand même un peu fort.

— Quoi ! Tu parles ? C'est impossible. Les oiseaux ne parlent pas ! dit Garrigue.

— Les oiseaux non, mais moi je ne suis pas un simple oiseau, dit la chouette en restant très vague.

Voilà que ça recommençait, ce n'était pas possible qu'il converse avec un volatile, il avait bien entendu déjà des histoires où des oiseaux parlaient, mais il s'agissait de mainate ou encore de perroquets qui vivaient avec les ménestrels de passage, ou des troubadours, des saltimbanques. Les gens du voyage avaient toujours toute sorte d’animaux avec eux, mais ce n'était pas de simples chouettes.

Echaudé par son aventure à la fontaine, il ne souhaitait plus prendre de risque en restant sur place, et face à son incapacité à comprendre ce qu'il se passait, Garrigue s'enfuit de sa chapelle...

L'ŒIL DE PAONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant