Chapitre 14 - ça n'existe pas la magie !

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- Prends ces cristaux et disposes-les aux quatre points cardinaux, puis positionne-toi au centre et ferme les yeux, ordonna la chouette.

Le prince obtempéra. Ses mains inquiétes et maladroites saisirent les pierres. Il les caressa un instant sans quitter des yeux la chouette. Il sentait la douceur des minéraux sous ses doigts. Il ne comprenait pas ce que voulait cet oiseau, et pourquoi il lui demandait d'agir ainsi. Mais au point où il en était, un peu d'aide ne serait pas de trop.
Aussitôt, il positionna la première pierre en direction du nord, puis de l'Est, du sud et enfin de l'ouest.

Il se plaça bien au centre et fixa la chouette, attentif aux prochains ordres. Les cristaux de roche autour de lui devinrent incandescents jusqu'à l'éblouir. Enfin, sa vision se brouilla, il ne distinguait plus que les contours de l'oiseau. Sa vue se troublait pendant qu'un bourdonnement effroyable agaçait ses oreilles. Puis ce sont des formes qu'une épaisse fumée se mit à dessiner, comme des images vivantes. Garrigue reconnut le vieil homme de la fontaine, l'agitation de Panache d'Or, la tasse en si fine porcelaine blanche, les mots mélodieux mais incompréhensibles. Tout passa en un éclair, aussi rapidement qu'un film.

Le calme revint dans la petite chapelle.

Garrigue sentit le sol froid sous ses mains. Il gisait sur la terre battue. Que s'était-il passé ? Il avait dû rêver, perdre connaissance peut être. Il se redressa et releva la tête...
Un homme de haute stature, dont la longue cape noire le couvrait des épaules jusqu'aux pieds, le regardait. Ses yeux parcoururent le personnage jusqu'à son visage. L'homme arborait un visage apaisé, simple, tranquille et ses grands yeux dorés lui donnaient un air sûr de lui.

C'était si étrange. Et cet homme qui se tenait là, debout devant lui, et qui avait un air de chouette... En fait, c'était ça, c'était une chouette faite homme et de là à penser que l'animal s'était transformé en humain... Il n'y avait qu'un pas !

L'étrange semblait devenir le quotidien du prince. Comme hypnotisé, il ne pouvait détacher ses yeux de cette apparition soudaine.

- Mais, mais qui êtes vous ? demanda Garrigue, alors que sa propre voix raisonnait dans sa tête.

- Et bien décidément, tu es bien curieux jeune homme, tu es là allongé sur le sol de ma demeure et tu oses me questionner.

Garrigue ne savait plus où il était. Il regarda autour de lui et l'intérieur de la chapelle le tranquilisa. Tout revenait, l'oiseau, les cristaux, et puis plus rien.
Sa tête était lourde et ses membres engourdis l'empêchaient de bouger. Et puis, son cerveau fonctionnait au ralenti, comme empaqueté dans du coton.

- J'avais trouvé cette petite chapelle où je venais me recueillir... comme tout le monde avait déserté l'enceinte du château, j'étais ici un peu comme chez moi, jusqu'à ce que cet oiseau s'adresse à moi, et maintenant, vous êtes là.

- Tu n'es pas ici chez toi ! Et quelle est cette histoire d'oiseau qui parle ? Était-ce un perroquet ? On dit que certaines gens en possèdent dans la région... L'homme répétait les mots de Garrigue d'un ton moqueur. Ce qui eut pour effet de l'énerver.

- Non, non, pas un perroquet, une chouette, mais je vous jure, elle m'a parlé, d'ailleurs...

- Les oiseaux ne parlent pas. En tout cas ils ne parlent pas à n'importe qui. Ils ne parlent qu'à ceux qui sont assez humbles pour savoir les entendre ou alors à ceux qui ont le cœur suffisamment pur ou encore aux idiots qui ont perdu leur tête. J'en déduis donc que tu dois être quelqu'un d'un peu à part. Racontes-moi ce qui t'es arrivé ? Pourquoi es-tu là ?

La voix de l'homme avait pris une tout autre tournure. Elle était maintenant devenue forte et sobre et intimait un ordre auquel il n'était pas question de se dérober.

Alors, Garrigue se redressa et partit dans un long monologue pour retracer son vécu des cinq dernières années. Son besoin impérieux de se faire des amis, de rencontrer des enfants de son âge, sa solitude trop lourde. Et puis son périple à la fontaine aux sorcières, la descente aux enfers de ses parents, la misère, la faim, la découverte de la chapelle, la chouette qui parle... Tous les mots s'entrechoquaient entre ses dents tellement il voulait tout dire et le dire aussi vite que possible.

- Comme je te le disais tout à l'heure, si tu as pu entendre cet oiseau s'adresser à toi, c'est que tu es une personne exceptionnelle. Par ce fait, tu vas pouvoir obtenir de l'aide, car tu en as besoin. Ce que t'a montré cet oiseau c'est l'élément déclencheur de ton mal être d'aujourd'hui, le pourquoi de ce qui t'arrive. La raison de ta peine actuelle. Je vois que ta personne reflèterait bien une certaine noblesse mais tes vêtements et surtout ton comportement en sont à l'opposé.

- C'est vrai, dit Garrigue, lorsque j'étais petit nous vivions heureux au château. Mon père, le roi des Hauts de Galante, possédait le plus grand de tous les royaumes. Tous nos gens étaient heureux de travailler pour le château. Nous étions reconnus des autres familles royales. J'avais tout pour être heureux jusqu'à ce jour où, encore une fois je désobéissais à ma mère, et je suis parti seul jusqu'à la fontaine pour y faire boire mon poney. C'est là que j'ai aidé un vieil homme à se désaltérer. Depuis, plus rien ne va, le royaume de mes parents s'est petit à petit vidé de tout son monde ! Il n'y a plus personne, ils sont tous partis. Et aujourd'hui le château est en ruine.

- Prince, la fontaine dont tu parles est un endroit fort connu des sorciers, mages et autres druides. Elle se nomme la Fontaine aux Milles Incantations. Comme toi, les paysans la nomment «La Fontaine aux Sorcières». Ils racontent d'ailleurs beaucoup de choses à son sujet, certaines sont vraies, d'autres un peu moins. C'est pourquoi ils en ont aussi peur. C'est un endroit qu'il est préférable d'éviter lorsqu'on ne possède aucun pouvoir magique. Tu as été fort naïf et fort stupide de te rendre en ce lieu. Et tu as eu bien de la chance d'en revenir sain et sauf. Lorsque tu as donné à boire à cet homme, tu as ouvert ton cœur à un sorcier du mal et il en a profité pour te jeter un sort. D'ailleurs tu dois posséder quelque chose qui lui permet de contrôler son influence.

- Me jeter un sort ? Mais ça n'existe pas la magie, les sorts, les sorcières... ricana Garrigue.

- Tu es bien naïf. Ne sois plus jamais dédaigneux à propos de sorcellerie, à moins que tu sois prêt à payer de ta vie le prix de tes paroles.

La voix de l'homme en noir se faisait pressante et impérative. Le sang de Garrigue se figea. L'homme poursuivit :

- Que possèdes-tu que le sorcier peut avoir manipulé ? Lui as tu prêté un objet qui t'appartient et que tu possèdes encore ?

- Non, rien, je ne lui ai rien prêté.

- Lui même ne t'aurait-il rien offert ?

Garrigue se tut. Il baissa les yeux pendant que ses doigts vinrent frôler le bracelet reçu en cadeau. Il n'osait plus lever la tête.

- J'ai... Le vieil homme m'a offert un bracelet en remerciement.

L'ŒIL DE PAONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant