Chapitre 36 - Retour là où tout a commencé

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Combien d'heures, de jours s'étaient écoulés ? La notion du temps s'était tout simplement envolée. Panache d'Or était toujours là, à une vingtaine de mètres de lui, le harnais ballottant sous ses naseaux fumants comme des cheminées de machine vapeur. Ce fut sa première vision. Au pied du cheval, son sac gisait à moitié ouvert. Que c'était-il passé ?

Depuis le départ de Garrigue, au village Maldia, tout le monde avait repris ses habitudes comme si l'intermède «Garrigue» n'avait jamais existé. Les femmes, chacune à leur poste respectif, effectuaient les travaux pour lesquels elles s'étaient portées volontaires.

Seule Frioul était différente. Elle avait partagé avec Garrigue l'antidote à la potion de l'oubli. Le remède avait maintenu en elle, inaltérés, tous ses souvenirs. Et surtout celui de ses nuits avec Garrigue. Garrigue, le seul être humain qu'elle était programmée pour haïr, voici qu'elle ne pensait qu'à lui. Il hantait délicieusement son esprit de jour comme de nuit. Chacun de ses mouvements lui était dédié et elle les réalisait comme s'il allait apparaître près d'elle d'un instant à l'autre. De temps en temps même, elle se surprenait à lui parler. A plusieurs reprises, elle avait fait l'objet de remarques de femmes du clan qui la trouvait « ailleurs » et s'inquiétaient de l'entendre parler toute seule.

Dans la communauté, l'inquiétude commençait à grandir.

Si les femmes Maldia perdaient leur Chamane elles alors seraient en danger et risqueraient de perdre leurs particularités et leur indépendance, si chèrement payées. De ce fait, elles se relayaient souvent pour ne jamais laisser Frioul toute seule, ce qui désespérait la jeune femme tant elle aurait aimé garder des moments de solitude pour rêver tranquillement à son amoureux.

Et puis il y avait les nuits.

Les capacités supérieures du cerveau de Frioul, associé aux mousses et aux champignons dont elle avait le secret, elle pouvait vivre ses illusions et en percevoir le ressenti, comme si elle était dans les bras de Garrigue. Aussi, chacun de ses réveils devenaient de plus en plus draconiens et douloureux et sa déception matinale grandissait de jours en jours. Elle repoussait autant que possible le moment où elle devait quitter les bras illusoires qui l'avaient bercée toute la nuit. Réfutant cette réalité qui l'éloignait de ses doux rêves nocturnes, son équilibre vacillait.

La journée, l'absence de Garrigue faisait des ravages sur son comportement, car elle n'arrivait pas à dissimuler son mal être. Et puis maintenant qu'elle savait. Elle n'avait plus aucun doute.

La nouvelle qu'elle avait dû confesser devant tout le village la plaçait dorénavant au centre des conversations. Tous les regards étaient désormais braqués sur elle. Depuis qu'elle avait déclaré son état de porteuse d'un enfant à naître, elle était LE centre du village.

Mais aussi, hélas, au centre de la cérémonie à venir.

Le jour où Garrigue était arrivé dans le village Maldia, sans aucun sentiment, en Chamane respectée, elle avait appliqué le rituel. Elle s'était accommodée, sans aucun affect, de ce que chaque nouvelle jeune fille organise et prépare dès qu'un être masculin, susceptible d'être un bon donneur, arrive au village. Elle avait envoûté le nouvel arrivant, avait lu dans sa tête et l'avait utilisé comme il se doit. C'était le piège qui se refermait sur tout mâle qui osait franchir les limites du village. Il n'y avait donc rien d'étonnant à ce qu'aujourd'hui, elle attende un enfant. Tout avait parfaitement fonctionné.

A un détail près ! Car Frioul n'avait pas tout à fait respecté la procédure comme elle aurait dû le faire. Non seulement elle avait offert à Garrigue un antidote qui lui permettrait de conserver sa mémoire et donc de retrouver le village, mais elle lui avait aussi prêté le grimoire Maldia. Elle avait failli sur tous les plans. Si cela s'ébruitait, elle serait bannie du village pour mise en danger de sa communauté pour avoir offert, à un mâle, les secrets de son village et de son emplacement. Comme elle avait, elle aussi, avalé la potion, le stratagème se repliait sur elle. Elle serait complice.

Frioul avait révélé son état lors du conseil des femmes, et la date de la cérémonie avait été fixée selon le calendrier lunaire.

La nuit fatidique approchait. C'était dans trois jours. Déjà, les préparatifs étaient lancés et Frioul était en panique. Jamais elle n'aurait pu imaginer que son cerveau ne serait pas resté de marbre. Elle se reprochait d'avoir prêté le grimoire et offert l'antidote à un homme qui ne quittait plus ses pensées.

Elle n'était pas digne d'être la Chamane du village. Se laisser aller à tomber amoureuse et s'estimer suffisamment savante pour prêter le grimoire du village, sans réfléchir aux risques et aux conséquences. Comment son peuple pourrait encore lui accorder sa confiance. Il n'était pas concevable de confier à des mains inconnues l'ouvrage contenant les secrets séculaires des Maldia.

L'utilisation de la magie impose un prix à payer, Frioul s'acquittait du sien maintenant.

Cette spirale infernale l'entraînait dans des pensées qu'elle réfutait pourtant. Et si Garrigue ne revenait pas avec le grimoire, peut être même lui avait-il menti, peut être n'était il pas de confiance, peut être avait elle eu tort de lui livrer ainsi les savoirs ancestraux de son peuple. Si lui de son côté ne pensait pas à elle, pire il l'avait peut être même déjà oubliée.

Les films qu'elle se jouait la tourmentaient et il fallait ajouter à tout cela la fatigue que lui occasionnait le bébé et la terreur qui l'emplissait quand elle pensait à la cérémonie. Car, cet enfant, elle l'aimait déjà. Et elle n'envisageait pas de solution autre que de l'élever, que ce soit seule ou en compagnie de son père. Mais comment révéler à cet homme, parti depuis si longtemps, qu'un petit être allait naître de leur union magique. Le secret était lourd à porter. Et puis la proximité et le danger que cette cérémonie faisait courir à l'embryon qui prenait vie dans ses entrailles empêchait Frioul de se concentrer. Il lui fallait son grimoire, il fallait que Garrigue revienne vite. Elle pourrait alors peut-être trouver un sortilège qui ferait obstacle à son inquiétude ou alors qui lui donnerait la force d'avouer à Garrigue l'amour qu'elle lui portait.

L'ŒIL DE PAONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant