PREMIERE PARTIE : Chapitre 1 : Riche et seul

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Il était une fois, un jeune prince, prénommé Garrigue. Il vivait avec ses parents, les très fortunés Roi et Reine du Royaume des Hauts de Galante. La famille royale habitait dans un magnifique château fort. L'édifice gigantesque, bâtit avec d'énormes blocs de pierre bleue, se dressait au sommet d'une colline, posé là, comme la couronne sur la tête d'un roi.


A ses hauts remparts qui protégeaient l'accès au château, s'adossaient des échoppes de quincailliers, des marchands de bétail, des tresseurs de paille pour la confection des toits, des tailleurs de pierres, des potiers. Toutes sortes de camelots vendaient le fruit de leur travail, des marchandises les plus improbables aux plus simples, de la diseuse de bonne aventures aux façonneurs de bijoux en métal précieux.


La fortification surplombait la vallée et à perte de vue, on pouvait voir les chaumières des paysans. Elles avaient poussées, çà et là, au milieu des champs et des près. Les pauvres manants s'affairaient toute la journée aux champs et les marchands travaillaient et vivaient dans leur échoppes, sans jamais les quitter.


Le royaume des Hauts de Galante était l'un des plus riches et des plus conséquents de tout le pays.

Le dauphin, prénommé Garrigue, était un enfant hautain, mou, gras et rond. Tout rond, avec des bras flasques et de grosses cuisses potelées, des joues rebondies à la peau bien tendue, au-dessus desquelles s'ouvraient, en amande, deux gros yeux ronds exagérément globuleux. Des boucles blondes dévalaient de chaque côté de son visage en jolies anglaises et le faisaient ressembler à une fille.

Il avait tout ce que l'on pouvait désirer. Il avait tant et tellement qu'il ne connaissait pas ce qu'était l'envie. Chaque fois qu'il posait les yeux sur un objet, un jouet ou même un animal, instantanément, sans qu'il ait à demander, l'objet de son attention lui était offert sans attendre, que ce soit par le tenancier de l'échoppe ou bien par ses gouvernantes ou précepteurs, ou encore par sa mère, qui croyait dur comme fer que l'excès de cadeaux remplaçait bien l'amour que l'on peut offrir à son enfant.


Tout le monde n'avait qu'une idée : plaire au prince, pour ne pas être évincé du royaume. Tous ses gestes étaient tellement anticipés qu'il n'avait aucun besoin de se mouvoir et était donc aussi gras qu'un foie d'oie à la veille du réveillon. Dans le dos de ses parents, il était la risée des serviteurs du château, et chacun de ses passages suscitait chuchotements et moqueries.

Il faut dire aussi que l'héritier du royaume avait des parents hautains et prétentieux et bien sûr désagréables. Seule la manière dont on se comportait avec eux et avec leur fils prodige leur importait. Il fallait toujours les féliciter, leur faire des révérences, se courber, en un mot, leur plaire. Ils n'avaient de cesse d'organiser des dîners où ils recevaient d'autres familles royales, mais un peu moins riches qu'eux. Leur plaisir s'exaltait à étaler leurs richesses pour rendre leurs hôtes jaloux.

Les repas organisés au château étaient l'occasion d'offrir les mets les plus extravagants, tant par leur rareté que par leur cherté. Le tout était servi dans de la vaisselle étincelante de la plus belle qualité et les couverts étaient souvent d'or ou d'argent. Les invités, issus des familles princières alentours se battaient les invitations. Car qui était convié au château des Hauts de Galante, était forcément quelqu'un de bien.


La mère de Garrigue, la reine Mélisande, était grande, maigre, avec un visage anguleux qui inspirait autant l'amour maternel qu'un crotale. Elle ne souriait jamais à son fils. En fait, elle n'avait d'yeux que pour les plus belles tenues, les robes les plus audacieuses et les plus extravagantes, les tissus les plus riches, les plus soyeux et les plus rares.

Seules les pierres précieuses lui fendaient le visage d'un large sourire qui laissait apparaître des dents carnassières. Ses bijoux, elle n'en avait jamais assez. Jamais assez gros, assez brillants, assez extravagants. Elle n'aimait ses parures que pour la jalousie qu'elles procuraient aux épouses de leurs hôtes. Et le maître du royaume se plaisait à offrir, à sa reine de femme, les colliers, les bracelets et les bagues les plus étincelants, les plus énormes et surtout les plus voyants.


Quant à son fils, c'est vrai qu'elle se plaisait à parler de lui haut et fort, de manière imposante et dans les termes les plus élogieux. Pourtant, si elle le portait aux nues devant les étrangers, dans l'intimité, elle ne lui accordait aucun intérêt. Elle préférait laisser simplement le personnel s'occuper de lui.

Ainsi, Garrigue, grandissait mais ne s'épanouissait pas, privé des bras chaleureux d'une mère. Cette dernière n'employait jamais une parole aimable, un sourire, une douceur, une reconnaissance envers lui, lorsqu'ils étaient seuls. Ses élans d'amour elle les lui prodiguait seulement en présence de témoin, ils ne venaient pas du cœur mais de son besoin d'être admirée.


Le roi, Louis, se voulait être l'homme le plus puissant de sa région. De haute stature, il arborait un gros ventre rond, symbole de richesse. Il le portait bien en avant car il lui servait de présentoir pour l'énorme médaillon étincelant, orné en son centre d'un gros rubis rouge sang. Son nez donnait naissance à une paire de moustaches de taille exagérée, qui débordaient de chaque côté de sa tête, si bien que de dos, on pouvait apercevoir la pointe de ses bacchantes qui dépassaient de ses oreilles. Sa fierté, aussi surdimensionnée que son ventre, le poussait irrémédiablement à se vanter. Il n'avait de cesse de conter toutes les armées qu'il avait pu battre avec ses guerriers et toutes les contrées, tant convoitées, qu'il avait annexées à son royaume déjà fort étendu. Lorsqu'il s'exprimait, sa voix de ténor couvrait celles des autres ; ainsi, dans une assemblée, il était sûr d'être entendu de tout le monde. Il se racontait sans cesse, monopolisait la parole et n'attendait de ses auditeurs que des bravos. Peu lui importait ce que les autres pouvaient avoir à dire. Il était le roi et voulait être écouté en toute situation.


En fait, la vie des autres n'intéressait les Hauts de Galante qu'à travers l'image qu'ils leur renvoyaient. Leur fierté était à toute épreuve et dans tout leur domaine, chacun devait se courber à leur passage, bref, les vénérer comme des Dieux. En revanche, si cette marque de courtoisie exubérante n'était pas respectée, alors ils se plaisaient à bannir l'indélicat de l'enceinte de leur château. Et en ces temps-là, où bêtes sauvages et malandrins traînaient à l'affût d'un passant honnête, il était vital de profiter de la protection offerte par la forteresse.

Car sans la protection du château...


L'ŒIL DE PAONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant