Sans bruit, Garrigue s'extirpa de sa couche. La nuit était encore noire et la lune haute dans le ciel.
Il avait décidé de partir très tôt, pour ne croiser personne, ne surtout pas avoir à dire au revoir à ses parents. Le repas de la veille avait déjà été assez difficile. Il était tellement persuadé de son incapacité à ramener un trésor, qu'il devait fuir et au plus vite, question d'orgueil. Il enfila tous les vêtements les plus chauds qu'il trouva et se faufila en silence vers la cuisine.
Il espérait y trouver peut être un quignon de pain rassis ou quelques pommes pas trop abîmées, car le voyage qui l'attendait allait être long et difficile et il ne savait pas comment il allait pouvoir se nourrir. La cuisine était vide. Un instant, il se remémora le nombre de fois où il s'était attardé sur les paillasses garnies, alors que Noémie lui préparait des petits déjeuners de roi... Ce matin, les tables étaient vides et sales, même le fantôme de la grosse cuisinière ne traînait plus par là.
Il vola deux pommes, un peu pourries, qu'il fourra dans son sac puis se dirigea, à pas de velours, en direction de l'écurie. Il fallait seller le seul animal encore présent, son bon copain Panache d'Or. Le seul qui ne l'ait jamais lâché, son confident, son ami, son seul ami.
Quand il se glissa jusqu'aux écuries, il repensait à toutes ces fois où il prenait soin de ne pas être repéré. Et à cette fois tragique, le jour de son escapade malheureuse où il avait croisé le malin. Cette supériorité qui aujourd’hui l'obligeait à fuir comme un manant. La colère accélérait ses gestes et une fois l'équidé sellé, il grimpa sur son dos.
Au pas, pour que le bruit des sabots de Panache d'Or ne viennent pas réveiller ses parents, il traversa la cour du château, autrefois si jolie et vivante. Ce matin là, elle était aussi triste et vide que lui, et la pagaille qui y régnait était signe de départs précipités. Rien n'avait été remis en état, faute d'argent et de courage. Lorsqu’il franchit l'imposant portail rouillé de l'entrée principale, c’est le cœur serré qu’il pensa que c'était peut être la dernière fois. Que plus jamais il ne reverrait le château de son père. Il tira alors sur lui la grosse grille, qui grinça comme pour lui signifier un au revoir. Il se détourna alors et fixa le lointain, l’aventure commençait maintenant.
Une nouvelle vie s’ouvrait à lui. Il allait la construire, seul, mais il avait plus d’inquiétudes que de certitudes.
Une nouvelle vie, peut être pas meilleure, mais sûrement différente.
Il étouffa un sanglot et lança son cheval au triple galop, le vent assècherait ses larmes. Sa seule hâte était de quitter ce pays pour sans doute ne plus jamais y revenir.
Il passa le long des grands arbres qui dissimulaient la fontaine aux Mille Incantations, son cœur se serra. La vision réveillait en lui ce sentiment d'oppression, toujours présent. Il détourna la tête tant cette vision le ramenait dans un passé qu'il voulait maintenant oublier à tout jamais, quand bien même le bracelet qui maintenait son poignet prisonnier était toujours là.
Il parcourut monts et montagnes, traversa lacs et rivières, franchit ponts et vallées. Il ne voulait pas stopper sa monture tant qu'il était susceptible de rencontrer quelqu'un qui le reconnaîtrait. Il lui fallait impérativement mettre de la distance entre lui et l'endroit où quelques heures auparavant il avait fait une promesse qu'il se savait incapable de tenir : rapporter la fortune à ses parents.
Panache d'Or avait galopé toute la journée et la fatigue alourdissait son pas.
Le ciel commençait à s'assombrir, cavalier et monture étaient épuisés. Garrigue devait mettre pied à terre sous peine de voir son cheval s'effondrer.
La contrée où sa fuite l'avait entraînée lui était totalement inconnue. Il avait galopé au hasard des chemins et arrivait maintenant dans un lieu où rien ne lui était familier. Même dans ses souvenirs les plus lointains, il n'avait jamais entendu parler de cet endroit, ni par son père, ni par les autres rois qui jadis fréquentaient le château.
C'est dans ce lieu perdu, loin de tout, que Panache d'Or s'arrêta de lui même. Alors, Garrigue se laissa glisser de la selle jusqu'au sol et traîna son cheval à l'écart du chemin. Trouver un abri, ne pas rester sur le passage pour éviter tout ennui. Quelques arbres qui formaient un bosquet, de la mousse qui recouvrait le sol, l'endroit était parfait, presque cosi. Il ôta la selle du cheval et accrocha le harnais à une branche d'arbre. Le jeune homme et sa monture étaient épuisés, car depuis qu'ils avaient quitté le château, à l'aube, ils n'avaient pris aucun repos tant Garrigue voulait fuir son ancienne vie. Il pensait que la distance physique donnerait de la distance mentale à ses problèmes.
Peut être étaient-ils perdus, mais peu importait. Maintenant, c'était manger dont ils avaient besoin. Et surtout dormir, délasser leurs muscles, détendre leurs articulations. La fatigue était si lourde qu'elle interdisait la moindre réflexion. C'était peut être mieux. Ne pas penser, une sorte de fuite là aussi.
Garrigue s'assit dans la mousse près des pattes de Panache d'Or, la proximité du corps chaud de sa monture l'apaisait. Il regarda autour de lui, c'était une nuit sans lune, il n'y voyait pas à cinq mètres et cette obscurité n'était pas de nature à le rassurer. Il sentait juste sur son épaule la respiration lente et apaisante de Panache d'Or. Il baissa la tête et des larmes vinrent lui inonder les yeux. Quelle prétention, lui jeune prince sans connaissance qui se croyait capable de redonner vie aux armoiries du plus grand royaume de la région. Quel naïf, stupide et prétentieux prince il faisait ! Jamais il ne pourrait honorer l'engagement qu'il avait pris devant la reine.
Machinalement, il fit rouler l’anneau qu’il portait à son index gauche « du côté du cœur », c’étaient les mots de l'homme-chouette. Ces mots, les avait-il inventés ? En tout cas, la bague, elle, était bien réelle. Alors que ses larmes lui brouillaient la vue et que la fatigue diluait ses sens, un bruit d'ailes accompagné d'un parfum fleuri l'interloqua. Il connaissait cette odeur, pour l’avoir déjà remarquée, près des remparts du château.
Elle lui était même familière. C'est cette odeur qui embaumait dans la petite chapelle où il avait parlé à l'oiseau... Quelle folie ! Il avait parlé à un oiseau. Ce soir, dans cette nuit sans lune, Garrigue s’interrogeait.
Heureusement que son index arborait une preuve métallique, indéniable, sinon, il se croirait devenir fou.
Puis à nouveau un bruissement feutré de plumes qui forcent l'air, ramenèrent ses pensées à l’instant présent. Il releva la tête, la chouette aux plumes luisantes et aux yeux d'or le fixait, elle se tenait à sans doute quelques mètres devant lui. Combien ? Difficile à dire, mais dans cette nuit d'encre, l'oiseau semblait ceint d'une aura de lumière. L'opacité de la nuit, la fatigue et les larmes qui floutaient sa vision rendaient l'apparition encore plus fantasmagorique et plus l'oiseau s'approchait de lui, plus il prenait la taille d'un homme. Ses ailes repliées, légèrement entrouvertes dessinaient une cape sur des épaules humaines. Enfin la distance entre eux deux se réduisit, et Garrigue put reconnaître les yeux d'or de l'homme chouette.
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L'ŒIL DE PAON
FantastikL'œil de Paon est un conte, un folklore oublié. Les contes, c'est de 7 à 99 ans. Cette histoire se déroule à l'époque des châteaux forts, des rois, des manants et où la sorcellerie agissait dans le secret des alcôves dissimulées. Garrigue vivait tr...