Chapitre 23 - Combat quotidien

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- Les hommes sont des êtres simples, ils crient si fort leur supériorité, qu'il est aisé de se faufiler dans la faille. C'est un peu comme les chiens qui aboient, ce n'est pas ceux-là qui mordent ! Les mâles, nous les utilisons comme les plantes, il faut donc les connaître pour en tirer le meilleur parti. Nous utilisons leurs capacités musculaires et de reproduction puis nous nous débarrassons d'eux. Leur cerveau est plus faible que le nôtre, il est plus malléable, et il répond à des pulsions simples et bestiales. Pas très évolués, nous faisons d'eux ce que nous voulons. Evidemment, dit comme ça, ils ne sont pas prêts à accepter la chose. Tellement imbus de leur personne c'est nous qui avons le pouvoir sur eux mais on leur laisse croire l'inverse. Ils ne se rendent pas compte que nous les manipulons. C'est aussi pour cela qu'ils nous traitent de sorcières. Ils n'entendent que le côté féroce. C'est encore parce qu'ils ont peur.

Il y a aussi les fleurs, les feuilles et les racines, c'est vrai que nous possédons des savoirs dans ce domaine, autant pour le bon que pour empoisonner les gêneurs. Et fortes de ces capacités nous tenons les hommes à l'écart, c'est là que se situe notre supériorité. Mais c'est un combat de tous les jours. Si nous faiblissons un seul instant, ils en profiteront pour nous asservir de nouveau.

Aujourd'hui que les mâles ont été évincés de nos vies, nous avons gagné en sérénité et tranquillité et notre village vit en paix. C'est pourquoi, chaque fois qu'un homme se présente dans notre village, toutes les habitantes se regroupent sous la grande tente et grâce à l'utilisation de notre œil de paon et de notre magie, nous entrons dans le cerveau de l'inconnu. On apprend tout sur lui et surtout sur ses intentions à notre égard, s'il nous veut du mal ou s'il est mal intentionné nous saurons le mettre hors service. C'est aussi pour cela que tu as mal à la tête ce matin ! Nous avons visité ton esprit hier...

- C'est e-ffray-yant ! articula lentement Garrigue en marquant une pause entre chacune des syllabes. Il recouvrait à peine sa raison et se demandait s'il comprenait bien ce qu'il venait d'entendre.

- Non, c'est la réalité et à cela tient notre survie.

Toi, tu as de la chance, ton cœur est pur. C'est pourquoi tu es toujours ici. Tu es autorisé à rester jusqu'à demain matin, tu auras eu le temps de te reposer et nous te guiderons pour ta quête. Mais demain avant que le soleil ne soit au zénith, tu devras avoir quitté le village Maldia avec ton cheval pour ne plus jamais y revenir et tu devras aussi nous oublier. Nous te donnerons ce qu'il faut pour cela. Et tout ce que je viens de te dire là, tu l'auras oublié avant de partir. Ainsi, tu continueras à vivre comme si tu ne nous avais jamais rencontrées, tu ne pourras pas nous trahir et de notre côté notre village sera en sécurité.

Garrigue resta allongé encore quelques instants, réfléchissant à ce que venait de lui dévoiler Frioul. Il se rappelait du comportement de son père à l'égard de sa mère, qui, par exemple avait interdiction de prendre part aux discussions, son seul travail était d'être belle et de se taire ou de parler thés ou étoffes, pierreries ou joailleries.

Le soleil était sur le déclin, le soir s'annonçait et Garrigue se perdait toujours dans ses pensées. Il n'avait pas quitté la hutte de la journée. Tout au long du jour, des femmes s'étaient relayées à son chevet pour lui donner de l'eau, des fruits, des boissons à base de racines dont il ignorait les bienfaits ou les atrocités. Mais là, il se sentait bien. Depuis leur longue conversation du matin, il n'avait pas revu Frioul, et cela lui manquait. Il décida de se lever.

Alors qu'il soulevait la lourde couverture en peau de léopard, il constata qu'il était nu comme un ver. Paniqué, il chercha des yeux ses vêtements. C'est sur une sorte de banc, qu'il aperçut ses habits et ses effets personnels. Il passa rapidement son pantalon et sa chemise, resserra solidement sa ceinture et sortit de son logement. Le soleil déclinait et étalait des rayons jaune d'or éblouissants, dans une chaleur douce et réconfortante. Ebloui par la lumière, il stoppa devant l'entrée de la grande cabane, siège des activités étranges de la veille.

Le village était vivant et tout semblait normal hormis une agitation du côté de la tente qui servait de temple à la vénération des femmes qui ont libéré le peuple Maldia. Il s'avança, toutes les femmes s'affairaient autour de lui, elles allaient et venaient sans se soucier de sa présence. Quelque chose était en cours de préparation. Un banquet semblait-il.

Des enfants couraient dans sa direction en criant ; le village fourmillait tout autour de lui. Debout, les bras ballants, comme un spectateur invisible, il épiait la vie de ces âmes féminines. Effaré de constater que l'absence d'homme simplifiait la vie de ces femmes. C'est vrai que les habitantes respiraient la joie de vivre. Peut être étaient elles des sorcières, mais elles étaient quoi qu'il en soit bien accueillantes. Un instant Garrigue se remémora ses escapades dans le village des paysans au bas du château de son père, c'était la même sensation, la même vie, la même joie de vivre mais près du château des Hauts de Galante, il fallait compter en plus avec la pauvreté, ce qui n'était pas le cas ici, elles étaient libres et ne devaient rien à un roi.
Les pensées de Garrigue furent coupées net par l'arrivée de Frioul. Elle se planta devant lui, belle comme le jour. La voyant ainsi face à lui, il lui apparut soudain qu'il venait de trouver ce qu'il cherchait. Il aurait aimé rester avec elle dans son village et oublier le château de son père. Seulement, elle avait été claire, le village n'était composé que de femmes et il devrait avoir quitté le village avant le lendemain midi.

De jeunes enfants portant des fleurs, des boissons et des plats ouvrirent la route en direction de la table du souper. C'était un dîner commun, où toutes les femmes étaient conviées. Le village entier allait se nourrir des mêmes mets, à la même table. Garrigue y était invité aussi et il eut loisir de converser avec plusieurs de ses hôtes et finit par admettre certains de leurs points de vue. Ces femmes n'étaient pas des sorcières au sens basique du terme, c'étaient des femmes d'une grande intelligence qui ne supportaient pas d'être dominées au seul motif que leur sexe était différent de celui de ceux qui se considéraient comme leurs maîtres. Et elles s'étaient affranchies de cette soumission. Garrigue était fier pour elles. Lui, n'avait pas le même courage et il était un peu honteux de cela.

La soirée se termina dans une ambiance bonne enfant. Garrigue eut l'impression de s'être fait des amies.
Mais c'était faire fi des paroles du matin de Frioul.

Installée en bout de table, elle se leva, demanda le silence et éleva au-dessus de sa tête un énorme calice, elle prononça des mots de sa langue, toutes les femmes tournèrent leur visage vers la Chamane et écoutèrent les paroles sans un bruit, l'assemblée baissa les yeux et Frioul but une gorgée. Elle fit ensuite circuler l'objet. Il passa de mains en mains. Chacune des convives porta le calice à ses lèvres et avala une gorgée. Garrigue reçu l'objet en dernier. Il hésita un instant et devant tous les regards tournés vers lui, il obtempéra et trempa ses lèvres dans le liquide. Cette fois, la boisson, de couleur rose, était sucrée et douce comme du miel. Il déglutit non sans inquiétude, Que lui réservait encore cette potion, quels en seraient les effets ? Chaque fois qu'il avalait quelque chose, les résultats étaient toujours surprenants et maintenant que Frioul lui avait expliqué, il doutait...

L'ŒIL DE PAONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant