Chapitre 29 - Le prix à payer

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Garrigue, accablé, suivi finalement les conseils du sage. Il renferma le livre et le rangea dans son sac, puis s'écroula pour une courte nuit, près de son fidèle cheval. Le souffle de ses naseaux et le claquement des fers de ses sabots le tranquillisaient. Allongé sur le dos, les yeux perdus parmi les milliers d'étoiles qui illuminaient son ciel de lit, il repensait aux paroles de l'homme en noir.

Donc, c'est parce qu'il avait été curieux qu'il n'avait rien vu dans le vieux grimoire.

Comment fait-on pour ne pas être « curieux » alors qu'on cherche sa route ! ça aussi ce serait de la curiosité. Puis il se repassa en boucle l'arrivée spéciale de l'homme-chouette. En effet, les autres fois où il lui était venu en aide, il y avait d'abord cette odeur délicate, fleurie, apaisante, puis l'oiseau paraissait et ensuite seulement se profilait la silhouette de l'homme. Chaque fois, les choses se déroulaient de la même manière. Ce soir, c'était différent, la manifestation du parfum n'avait pas révélé la présence de l'oiseau. C'est seulement lorsqu'il abandonna sa recherche visuelle que l'homme se fit voir. Que s'était-il passé entre temps ? Qu'avait-il fait ? Il l'avait donc appelé, mais comment ? Il ne le savait pas et c'était là tout le problème que de découvrir quelque chose que l'on fait sans s'en rendre compte.

Cependant, s'il appréciait l'aide de l'homme chouette, qui, il fallait bien l'avouer, lui avait facilité les choses à maintes reprises, ses dires de ce soir l'avaient choqué et interloqué. Garrigue n'avait pas eu cet enseignement là car la bienséance de sa caste faisait que les choses étaient rarement dites sans détours et sans gants, c'était même à des années lumières de son éducation royale, protégée, et surtout tellement hypocrite. Le prince reconnaissait et appréciait la franchise et l'honnêteté dont l'homme chouette avait fait preuve ; mais son orgueil avait été un peu touché, voire profondément blessé. On ne balaye pas des années de pédagogie mondaine en quelques semaines.

Il allait forcément devoir trouver la recette qui lui permettrait de faire venir l'homme-chouette, car l'avenir lui fournirait certainement maintes occasions où il devrait faire appel à lui et pour cela, il vaudrait mieux savoir comment faire.

Il réfléchit encore aux faits qui s'étaient déroulés avant l'apparition de l'homme. Serait-ce la bague ? C'est vrai que lorsqu'il la regardait ou même la touchait, il percevait une force intérieure qui lui donnait l'impression d'être invulnérable. Le parfum embaumait l'air qu'il respirait dès qu'il était en peine. Etait-ce possible que son mal être soit à l'origine de son appel au secours ?

C'est sur ces pensées que Garrigue entama sa nuit.

Au petit matin, Garrigue se réveilla d'une nuit très agitée, causée par le tracas des paroles de l'homme. Cela faisait longtemps maintenant qu'il était confronté à la magie, et ce n'est pas pour cela qu'il parvenait à en comprendre les rouages. Et puis surtout, ce n'était jamais lui qui en était à l'origine, mais, par contre, il en supportait souvent les conséquences.

A la fontaine aux milles incantations d'abord, puis les diverses apparitions de l'homme en noir, et aussi lorsque il dû avaler la potion, chez les femmes Maldia afin qu'elles entrent dans son cerveau et visitent son esprit et encore lorsque avec Frioul, ils ingurgitèrent le philtre qui allait leur permettre de se retrouver.
Frioul... L'espace d'un instant, la vie de Garrigue s'éclaircit, les beaux yeux de la jeune femme s'imprimèrent derrière les paupières du prince. Un bref instant seulement.

Les inquiétudes de Garrigue refaisaient surface. Car le maniement de la magie impliquait des « prix à payer ». Inconsciemment, il ne le savait que trop bien. Sa rencontre avec le sorcier de la fontaine, il y a cinq longues années, le lui avait appris de la manière la plus virulente possible, puisqu'il avait dû vivre la déchéance de sa famille. Tribut bien lourd à porter pour un enfant de onze ans, et il n'était guère disposé à subir de nouveau les retentissements d'un sort.

Tout cela le hantait et la nuit passée, ses rêves s'étaient plus apparentés à des cauchemars et étaient peuplés de visites inopinées de Frioul d'abord, puis de l'homme en noir, du sorcier de la fontaine, il eut même une conversation avec Panache d'Or. Perdait-il la tête ?

Ebouriffé, les yeux hagards, c'est le frimas de l'aube qui finit de rendre ses esprits à un Garrigue en nage, il lui fallut quelques minutes pour reprendre pied avec la réalité et se remettre de ses tourments nocturnes. Son sommeil dérangé ne lui avait pas apporté le repos qu'il escomptait et Garrigue se releva difficilement, ramassa ses affaires et entreprit de seller Panache d'Or. Il voulait vite quitter ce lieu. L'endroit le rendait mal à l'aise. Il s'était débattu toute la nuit parmi des fantômes improbables et avait pris conscience de la sorcellerie. Il enfourcha rapidement Panache d'Or.

Perché sur sa monture, les lourds rayons du soleil noyaient les plaines qui s'étendaient devant ses yeux. Plusieurs chemins s'offraient à lui, mais il ne savait pas lequel choisir. Il repensa au grimoire, c'était sûrement sa solution, car comment savoir qu'elle direction suivre ? Et sur ce point là, ni l'homme en noir, ni Frioul ne lui avaient été d'une quelconque utilité. Ils lui avaient dit que le grimoire l'aiderait, ils ne lui avaient pas dit comment. C'était à lui maintenant d'user de magie tout en sachant qu'il y aurait un revers à la médaille.

Il tripota nerveusement sa bague tout en figeant son regard sur le lointain et sauta au bas de son cheval. Sa main fouilla son sac et la brûlure qui se déclencha aussitôt lui confirma le lien de cause à effet entre le grimoire et le bracelet. Une grimace sur le visage, il négligea la douleur infligée et défit toutes les pattes et attaches qui interdisaient une ouverture impromptue du livre. Il souleva délicatement la première page. A cet instant, il marqua une pause et se souvint des conseils livrés la veille par l'homme : « comprendre la mise en œuvre de la magie » et pour cela il se devait de prêter une attention toute particulière à tout ce qui allait se passer.

Ce faisant, il se remémora les différentes étapes où, par le passé, la magie s'était opérée. Il en allait de même toutes les fois, d'abord un phénomène étrange, le vent qui se lève, une fragrance, ou encore un brouillard, puis une apparition soudaine, et une transformation de la première vision. Ainsi le vieil homme de la fontaine était apparu brusquement après la formation du brouillard violet, puis se transformait en homme plus jeune, quant à la chouette, elle se révélait être un homme... Là, les étapes semblaient identiques, c'est d'abord son sens olfactif qui captait une odeur douce et âpre à la fois, semblable à celle qu'il avait pu sentir dans l'alcôve de Frioul.

L'ŒIL DE PAONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant