Chapitre 11 - Pauvreté et solitude

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Cinq longues années s'étaient écoulées depuis son escapade jusqu'à la fontaine et sa rencontre avec l'homme étrange. Garrigue était maintenant âgé de seize ans.

Durant ces années, notre jeune fils de roi gras et mou s’était mué en un jeune prince, grand, fort et athlétique. Un beau jeune homme au visage parfait et doux. Il avait conservé ses cheveux blonds et bouclés mais avait sacrifié ses anglaises enfantines. Ses pommettes hautes et ses yeux clairs laissaient émaner de sa personne toute la classe que l'on peut trouver chez un être de strate royale. Pourtant, il était devenu un prince pauvre et ne lui restait de majestueux que son nom, car son  château tombait en ruine.

Le manque de nourriture ne l'avait pas empêché de grandir.

Il vivait très chichement avec ses parents, car la royale famille vivotait. Abandonnés de tous, les royautés alentours ne lui donnaient plus signe de vie. Le roi et la reine des Hauts de Galante étaient devenus les oubliés des invitations aux prestigieux banquets. Evincés des listes mondaines, ils n'intéressaient plus personne depuis leur déchéance. Car, comme eux auparavant, leurs connaissances ne s'adressaient qu'aux riches.

Ils étaient seuls.

Mélisande n'avait plus d'habilleuses, tous ses serviteurs, habilleuses et femmes de chambres avaient été congédiés, sans même recevoir leur maigre solde. Toutes les plus belles parures de la reine, ses bijoux et pierreries avaient été vendus et l'argent avait servi à acheter de la nourriture et à rembourser les innombrables dettes contractées pour maintenir leur niveau de vie, un certain temps, alors qu'ils n'avaient déjà plus rien.

L’hiver, ça avait été au tour des meubles de finir leur vie dans l'âtre.

Puis les robes de bal de Mélisande avaient fait l'objet de troc. Et à la fin de l'hiver dernier, qui n’en finissait pas, le reste de sa garde robe avait servi à alimenter le feu dans la grande cheminée, pour ne pas mourir de froid.

Cet acte avait été d'une violence extrême pour Mélisande qui ne vivait que pour son apparence. Il lui avait fallu choisir entre sa vie et ses vêtements. Cruel dilemme.  Et si la chaleur dégagée par la combustion des soieries avait réchauffé les corps, elle avait cependant glacé son cœur à tout jamais.

Les orfèvreries, la porcelaine, l'argenterie, tout avait été bradé jusqu'à la dernière petite cuiller. Mélisande avait perdu tous ses repères, et vieillit d'un seul coup. Elle s'était alors repliée sur elle-même. Aigrie, elle refusait même de parler.

Le roi, quant à lui, avait presque cessé de s'alimenter. Il était devenu si faible, qu'il n'avait plus la force de se lever de son lit.

Le château n'était plus entretenu. Aubaine pour les voleurs, ils n’avaient qu’à se servir puisqu’il était évident qu’il n’y aurait pas de représailles.

Les murs d'enceinte se dégradaient et étaient par endroits totalement effondrés. Le vol des pierres, inévitable, en était ainsi facilité. Les voleurs s'en serviraient ensuite à la reconstruction de leurs maisons, plus loin dans le pays.

Devant la disparition des richesses et l'incapacité du roi à protéger ses paysans, ceux-ci désertèrent, les uns après les autres, pour proposer leurs services auprès d'un autre roi, plus riche, plus noble. Mais avant de partir, ils n'avaient pas hésité à dépouiller le domaine en chargeant leurs bagages de ce qui ne leur appartenait pas.

Les terres n'étant plus assez fertiles, les récoltes de céréales ne donnaient plus ou étaient si faibles qu'elles ne permettaient plus de nourrir les familles. Les animaux quand ils ne crevaient pas, maigrissaient par manque de pâture, les vaches et les chèvres, trop maigres, ne produisaient plus de lait, ni pour la confection de fromage, ni pour leurs petits qui mouraient les uns après les autres.

Les bêtes ne valaient plus rien et les maquignons ne se déplaçaient plus. Il en était de même pour les marchands ambulants qui ne s'arrêtaient plus pour proposer leurs étoffes, mêmes les plus minables. Le roi du domaine de Galante n'avait plus le sou et cela se savait bien au-delà du domaine.

Le prince assistait, malheureux, à tout cela. Tous dépérissaient : de honte pour la reine, de maladie pour le roi, de tristesse pour le prince.

Leur vie d'antan si belle et si facile était devenue aujourd'hui un enfer qui recommençait chaque jour. Garrigue comprenait maintenant ce qu'il avait perdu.

Mais que s'était il passé pour qu'il passe de prince couvert d'or et de bijoux et soigné comme un pacha, à affamé, sans le sou et en haillons ?

Qu'était il advenu des fastes du château ?

De la suprématie du roi et de la reine Des Hauts de Galante ?

Dans un petit coin de sa tête, Garrigue le savait bien. Mais il n'osait l’avouer à ses parents. Sa mère ne le supporterait pas et son père en mourrait.

Il était, à lui tout seul, responsable de la déchéance de tout leur royaume.

C'est un lourd fardeau pour un jeune homme.

L'ŒIL DE PAONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant