Sa découverte dans les murs des remparts et sa rencontre avec cette chouette, hanta la nuit de Garrigue. Chaque fois qu'il fermait les yeux, il revoyait l'oiseau, tranquille, qui s'adressait à lui. Avec le recul, il n'y croyait plus. Il avait forcément imaginé la scène, mais elle lui paraissait tellement vraie. Pour en être tout à fait sûr, il se dit qu'il y retournerait le lendemain...
Au matin, il ne parla pas de sa découverte à ses parents, ni du crucifix en or, ni de l'oiseau qui parle. Les pauvres gens avaient déjà bien assez de soucis, ce n'était pas la peine de leur laisser penser, qu'en plus, leur fils était devenu fou. Et puis, cette chapelle était sa découverte à lui et il comptait bien y revenir tout seul.
Il repartit donc dans les entrailles des remparts et retrouva facilement la petite pièce oubliée.Avant d'y pénétrer à nouveau, il glissa sa tête juste pour s'assurer qu'elle était bien vide et qu'il n'y avait pas d'oiseau à l'intérieur. Le lieu était si étroit, que quelques secondes suffirent à sa vérification. Il régnait à l'intérieur une atmosphère étrange, comme si le temps s'y écoulait plus lentement, la lumière diffuse ajoutait encore sûrement à cette perception. Ici, Garrigue se sentait protégé, en sécurité. Il resta longtemps immobile dans cet endroit privilégié, où il récupérait un peu de sérénité. Il attendit longtemps que l'oiseau revienne lui parler. Mais celui-ci ne réapparut pas.
Ainsi, il prit l'habitude de venir se ressourcer tous les jours dans cette chapelle. C'était devenu son endroit à lui, son secret. Il pouvait y rester des heures. Il se remémorait les quelques mots prononcés par l'étrange volatile. En une dizaine de jours, celui-ci n'était jamais revenu et finalement, cela le tranquillisait. Son cerveau mal nourri et empreint à l'imagination un peu trop naïve avait bien inventé la chouette parlante, il n'était donc pas fou.
Et tous les jours, comme un rituel, Garrigue s'agenouillait devant l'autel, ce lieu le réconfortait et là, enfin, il trouvait la paix. Il lui arrivait même d'inventer quelques prières. Il n'avait jamais appris à en formuler, mais il les improvisait. Des paroles simples qui concernaient sa vie, celle de ses parents et ce maudit bracelet qui lui enserrait toujours le poignet. C'était aussi le seul endroit où il parvenait à faire un point sur ce qui lui arrivait, où il osait contempler son passé avec vérité et sans fioritures.
Garrigue était là comme chez lui alors pour faire de cet endroit son lieu de méditation, il entreprit de déplacer la croix et son support.A peine eu-t-il posé les mains sur le socle que des battements d'ailes attirèrent son attention.
La chouette était là. Elle semblait le surveiller depuis toujours. Il était pourtant sûr de ne pas l'avoir vue à son arrivée. Il retira ses mains du socle froid et, sans quitter la bête étrange des yeux, il se positionna bien face à elle. Il voulait être sûr qu'elle était bien réelle. Si c'était le cas, elle devrait s'envoler, les oiseaux ont peur des humains, il en était ainsi.
Garrigue espérait secrètement que de prier devant cet autel pourrait miraculeusement rapporter un peu d'argent au royaume. Il ne comptait donc pas se résigner à abandonner cet endroit au volatile. Ce n'était pas un hasard s'il avait découvert cet endroit, c'était un signe, c'est sûr. Et c'était pour cela qu'il mettait tout son espoir dans ce lieu.
Ses yeux fixaient ceux de la chouette qui ne montrait aucune appréhension et qui ne s'envolait pas non plus. Alors le prince cria presque :
- Et toi, qu'est ce que tu as à toujours me regarder ! Tu ne peux pas aller voir ailleurs, c'est chez moi ici, c'est mon endroit, va t'en !
Garrigue avait hurlé ces derniers mots, il était presque en larmes. Et c'est alors que, la chouette releva ses lourdes paupières, et articula :
- En fait, c'est toi qui es chez moi.
Et l'oiseau referma ses paupières, comme pour affirmer son pouvoir qu'aucune négociation n'était possible.Garrigue leva la tête au ciel, regarda à droite, puis à gauche à la recherche du plaisantin, auteur de cette mauvaise blague.
- Arrêtez de vous moquer de moi ! Qui est là ? Qui a parlé ? cria le prince d'une voix un peu tremblante et empreinte de terreur.
Il tournait la tête de tous les côtés. Il fouillait désespérément la pièce du regard à la recherche de celui qui, pour se moquer de lui, parlait à la place de l'oiseau.
La chouette, toujours avec les mêmes mouvements ralentis, déployât deux grandes ailes noires qui se mirent à scintiller de mille feux.
C'était un oiseau magnifique. Rien à voir avec les chouettes que l'on pouvait voir dans les granges. Celle-ci était d'abord d'une taille bien supérieure, et puis sa couleur et ses yeux renvoyaient la lumière, même dans cette grotte sombre. Ses pupilles étaient si grandes et expressives, qu'on aurait dit un oiseau tout droit sorti d'un livre de contes pour enfants.
Garrigue était comme paralysé, ses yeux écarquillés n'y croyaient pas. Il était vraiment face à un oiseau qui parle. Un oiseau qui lui parle à lui, Garrigue des Hauts de Galante, prince, déchu.
- Reste calme et apprends à croire ce que tu vois, ouvre ton cœur et ton esprit. Si tu es ici, c'est que tu as besoin de moi. Mais peut être qu'encore tu ne le sais pas.
La chouette s'adressait à lui comme à un enfant.
Le prince passa son revers de manche sur ses yeux, il ne savait plus ce qui n'allait pas chez lui. Mais il fallait se rendre à l'évidence, cet oiseau s'adressait bien à lui.
- Tu parles ? Comment c'est possible ? Les oiseaux ne parlent pas, répondit Garrigue.
- Tu te dis prince et tu es habillé en guenilles. Comment c'est possible ? Les princes sont richement parés habituellement, rétorqua la chouette avant de reprendre son monologue à l'attention de Garrigue. Je t'ai dit qu'il fallait que tu écoutes ton cœur, que tu ouvres ton esprit... Ecoutes moi, et tu verras, tu vivras mieux.
- Ne te moque pas de moi, espèce de volatile, répondit le prince, blessé.
- D'abord, tu es grossier, prétentieux, et naïf. Et à moins que tu sois suffisamment stupide pour t'en aller maintenant, essaies donc d'être tout simplement à l'écoute d'autrui. Dis-moi ce que tu viens chercher ici ? insista la chouette, toujours du même ton placide.
- Je ne sais pas trop ce que je viens chercher, mais quand j'ai trouvé cet autel, j'ai eu l'audace de croire que si je priais devant celui-ci, mes problèmes seraient résolus. Tout allait bien pour moi avant, j'étais le seul enfant du royaume, un avenir enchanteur s'étalait devant moi, et voilà que depuis quelques années, tout a basculé. Toutes les richesses de mes parents se sont envolées, tous nos avantages se sont étiolés, nous n'avons même plus de quoi nous nourrir. Tous les paysans sont partis ou presque et mes parents attendent la mort. Et moi, je n'ai plus qu'à en faire autant.
- Pourquoi tous les paysans quittent le royaume ? questionna la chouette.
- C'est la terre, elle n'est plus bonne. Tout ce que les paysans plantent, meurt ou ne vient pas à terme, le blé reste en herbe, le maïs n'apporte que des feuilles, mêmes les chênes n'amènent pas de glands pour nourrir les cochons, cracha Garrigue.
Alors la chouette écarta à nouveau ses ailes, et laissa paraître des pattes aux ongles étincelants, qui dissimulaient quatre gros cristaux taillés en biseau.
Garrigue contemplait les joyaux de ses yeux ébahis.
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L'ŒIL DE PAON
FantasyL'œil de Paon est un conte, un folklore oublié. Les contes, c'est de 7 à 99 ans. Cette histoire se déroule à l'époque des châteaux forts, des rois, des manants et où la sorcellerie agissait dans le secret des alcôves dissimulées. Garrigue vivait tr...