Chapitre 15 - La magie noire

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- Tu vas devoir t'en libérer. Pour cela, il va falloir que tu apprennes à croire en la magie, que tu l'acceptes et que tu l'apprivoises. La magie existe, les sorts existent, tout comme les sorciers et les sorcières, ou les mages ou tu peux leur donner le nom que tu veux. C'est un fait, ils sont bien réels. Et ils vivent en général parmi nous. Il est très difficile de les démasquer. Parce que, comme tu peux t'en douter, leur magie ne se voit pas sur leur visage et lorsque l'on est soumis à un sort, on ne s'en rend pas compte immédiatement, c'est beaucoup plus tard que les choses apparaissent. C'est un petit peu comme un poison qui agirait très lentement...

Je suis en mesure de t'apporter mon aide pour te sortir de ce mauvais pas. Mais tu devras être humble, courageux, et honnête. La tâche qui t'attend sera des plus laborieuses. Tu vas devoir laisser de côté ta supériorité de fils de roi et devenir encore plus humble que le vermisseau sous le bec de la poule.

- Es-tu prêt à faire tout ce que je te dirai, Garrigue fils de roi ?

Garrigue baissa la tête et en acquiesçant murmura : Je le promets.

- Montres moi ce bracelet qui t'a été offert, reprit l'homme.

Garrigue s'exécuta, il baissa les yeux et montra le bracelet qui lui ligotait le poignet droit.

- Bien sûr ! C'est un bracelet maléfique, pourquoi ne l'as tu pas enlevé ? demanda alors l'homme.
Ce bracelet, lui permet de contrôler ta vie. Ainsi, la pauvreté au château est arrivée par toi, via ce fameux présent, en remerciement...

- C'est à dire que chaque fois que j'ai pensé l'enlever, je ne sais pas pourquoi, au moment de le faire, j'avais déjà oublié. Je crois que quelque chose m'en empêche...

- Tu vois, Garrigue, tu commences déjà à croire un peu à la magie ! C'est parce que ce bracelet est ensorcelé que tu ne peux pas l'enlever, il limite ton cerveau et contrôle ta volonté. Moi non plus d'ailleurs je ne peux pas t'en défaire, car ce qui a été mis en place par la magie noire, ne pourra être annulé que par la magie noire. Et je n'ai pas ce pouvoir.

- Mais alors comment-vais-je faire ? Je suis condamné à vivre avec ? déclara Garrigue totalement dépité.

- A toi de trouver plus fort que la magie noire. C'est ta volonté qui t'en délivrera. Mais il faudra d'abord que tu acceptes que tu puisses être plus fort que le bracelet. Et pour cela, je vais te donner quelque chose qui va t'y aider.

L'homme en noir tendit à Garrigue une bague, mal ciselée, d'un métal vieilli et terne, un peu tordue qui était tout à fait à l'opposé du rutilant bracelet reçu en cadeau à la fontaine.

- Cette bague, glisse-la à un doigt de ta main gauche, le côté du cœur, et surtout crois en elle. Chaque fois que tu t'estimeras trop faible, touche-la, regarde-là, pense à ce que je suis en train de te dire et surtout ait confiance en elle. Elle t'aidera à surmonter bien des frayeurs et des découragements.

Garrigue enfila doucement la bague à son index gauche, seul doigt suffisamment gros pour ne pas laisser s'échapper l'anneau, et resta ainsi immobile les yeux rivés à ce bijou de pacotille qui allait peut-être devenir son salut. Lorsqu'il releva la tête pour remercier l'homme, celui-ci avait disparu.

Il parcourut des yeux toute la petite pièce, personne, ni homme, ni oiseau.

Mais il portait à son index gauche la preuve de sa rencontre avec un homme bienveillant, peut-être un sauveur. A cette pensée, le cœur de Garrigue devint un instant plus léger. Un court instant car il portait toujours le bracelet qui cerclait son poignet droit et emprisonnait sa volonté.

Le prince rentra au château où son absence, aussi longue fût-elle, ne semblait pas avoir été remarquée.

Bouleversé par la curieuse rencontre qu'il avait faite un peu plus tôt, il rejoignit sa mère à la cuisine. Celle-ci préparait une maigre soupe avec quelques légumes abîmés glanés le matin même, à la fin du marché. Les quelques paysans, qui passaient pour vendre leur maigre butin aux survivants du château, se plaisaient à jeter au sol de la marchandise abîmée. Ils appréciaient à faire l'aumône à la garce de reine. Ils la regardaient se courber pour ramasser les légumes à moitié pourris que eux ne voulaient plus. Et Mélisande les remerciait mille fois, ce qui les comblaient de bonheur. Un juste retour des choses.

Il s'assit face à elle et machinalement ses doigts se mirent à faire tourner la bague qu'il avait reçu en cadeau un peu plus tôt, dans la chapelle.

- Mère, je crois que je suis assez grand maintenant et que je dois partir pour essayer de faire fortune. C'est moi qui ait le pouvoir de vous rendre tout le faste que vous avez perdu et auquel vous et père avez droit. Je prendrai le cheval et je partirai. Vous ne devrez pas vous inquiéter pour moi, j'ai l'âge de vivre seul. Je ferai fortune et je rentrerai au château et vous vivrez à nouveau comme lorsque j'étais petit, dans le luxe. L'argent ne vous manquera plus et vous pourrez manger à votre faim, à tous les repas.

La mère du prince releva la tête tout en essuyant les mains sur son tablier. Elle vint s'asseoir sur le même banc que lui et se confia à voix basse :

- Tu ne dois pas te sacrifier pour nous. Ce qui arrive n'est pas ta faute. Je ne veux pas que tu partes et que tu risques ta vie ainsi pour nous permettre de vivre à nouveau comme les souverains que nous étions. C'est du passé, tout cela. Regarde ton père, il ne pourra plus jamais avoir la même aura que celle qu'il avait lorsqu'il régnait sur le plus vaste des royaumes. Regarde moi, je suis devenue vieille et laide. C'est le travail et le manque de nourriture qui m'ont changé ainsi. Je suis devenue comme ces paysannes que je regardais de haut, il n'y a pas si longtemps.

Mélisande avait perdu toute sa grâce et en échange avait gagné un tout petit peu de cœur et d'amour. C'était la première fois de sa vie que Garrigue entendait des mots gentils sortir de la bouche de sa mère.

- Mère, ma décision est prise, je partirai demain matin.

Mélisande, femme austère, n'était plus intéressée par son reflet tant celui-ci était dégradant. Le manque d'argent et de nourriture l'avait transformée en une femme, simple, pas encore aimante mais prévenante vis-à-vis de son fils.

Les yeux emplis de larmes, elle découvrait alors tout le bon cœur dont pouvait faire preuve son seul enfant, sans soupçonner un seul instant les moments douloureux qu'il avait pu vivre dans son enfance.

Autour de la table, le frugal souper fût avalé en un rien de temps, et sans discussion. Mélisande ne bronchait pas et Garrigue n'osait même pas croiser le regard de son père. Malgré ses seize ans, lorsque son père le fixait, il était encore incapable de soutenir son regard sans lui dire immédiatement ce qu'il voulait entendre.

Le prince regagna sa couche. Il retira la bague de son doigt et la glissa sous son oreiller, ignorant le bracelet qu'il ne pouvait ôter. Les yeux rivés au plafond, il se demanda soudain pour quelle raison il avait bien pu exprimer à sa mère, un désir de partir faire fortune. Désir qu'il n'avait absolument pas. Qu'est ce qui avait bien pu le pousser à lui dire qu'il allait quitter la maison le lendemain. Il n'avait aucune idée de l'endroit où il pourrait bien aller pour réussir une prouesse pareille.

La nuit fut courte tant le prince ne put fermer les yeux, il lui était impossible de dormir avec, en épée de Damoclès, une promesse qu'il était incapable de tenir.

Comment maintenant allait-il pouvoir se rétracter sans passer pour le pauvre petit bébé prince à qui on a toujours tout donné, sans qu'il n'ait eu besoin de souffrir un peu.

S'il ne voulait pas se ridiculiser, il se devait de respecter ses dires de la veille, il n'avait plus le choix. Car supporter la honte d'avouer le lendemain matin, qu'il n'était pas capable de faire ce qu'il avait dit la veille était au-dessus de ses moyens. Il devait se résigner et puisqu'il n'était qu'un minable, il ne lui restait plus qu'à partir se cacher et surtout ne plus jamais revenir. Ainsi personne ne pourrait dire s'il avait ou non fait fortune et on n'entendrait plus jamais parler de lui dans la région des Hauts de Galante.

C'était facile à dire, mais pas facile à réaliser. Ici, il avait peu, mais là où il irait, il n'aurait rien du tout.

L'ŒIL DE PAONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant