Lorsque la table fut vidée de tous les plats savamment préparés, Frioul frappa dans ses mains et chacune des femmes se retira, sans bruit, dans sa hutte, Garrigue ne savait pas trop ce qu'il devait faire, mais déjà Frioul se dirigea vers lui et l'entraîna jusqu'à la petite hutte dissimulée derrière les peaux, dans le fond de la grande cabane. Ils rejoignaient ensemble la cabane de la Chamane, la cabane de Frioul.
Là, face à l'autel qui servait de tête de lit à leur couche, Frioul passa sa main lentement au-dessus des bougies qui aussitôt s'allumèrent. Elle resta ainsi, tournant le dos à Garrigue. Lui ne voyait de la belle que ses longs cheveux fins savamment noués en une belle tresse noire. Frioul se mit à lui parler dans une voix empreinte de tristesse :
- Je sais ce que tu es venu chercher ici, Garrigue. Je l'ai vu lorsque je suis entrée dans ton esprit lors de la cérémonie.
Le cœur de Garrigue s'arrêtait. Il allait être démasqué...
- Ce n'est pas souvent que l'on me surprend. Mais je suis obligée de reconnaître que j'ai été charmée. Tu es un être pur. Tu dois être fier de cela.
Garrigue n'en croyait pas ses oreilles. Il était là à écouter cette ravissante inconnue qui lui faisait des compliments que même ses parents n'avaient jamais été en mesure de lui dire.
Frioul se retourna alors vers celui qui occupait son esprit, sourit largement, et rajouta :
- De plus, je te trouve à mon goût, c'est pour cela que j'ai consenti à te ramener dans ma hutte ce soir pour rester avec toi encore cette nuit. Tu es différent des autres hommes qui sont venus dans le village. Mais je dois restée discrète car je suis la Chamane du village, j'ai un rang à tenir.
La voix de Frioul se faisait douce et presque enfantine, ce qui étonna Garrigue.
Il ne savait plus quoi dire. Il balançait entre l'envie de prendre cette jolie fille dans ses bras et en même temps, lui revenait en mémoire les paroles de l'homme chouette qui lui avait dit de s'emparer du grimoire. Si Frioul savait ce qu'il était venu chercher, il n'allait pas être simple de le subtiliser maintenant, elle allait le protéger comme la prunelle de ses yeux.
- Je sais Garrigue que tu as besoin de notre livre pour ta quête et je consens à te le prêter. Je n'en ai pas parlé aux autres femmes, j'ai eu peur qu'elles n'aient plus confiance en moi si je leur confiais mes intentions. Alors voilà, demain lorsque tu partiras, je te remettrai notre ouvrage ancestral, il a été écrit par des générations de sorcières, tu devras en prendre soin comme s'il s'agissait de ta propre vie.
Frioul désigna la boîte qui se trouvait sur l'autel derrière elle, cette boîte que Garrigue avait remarquée un peu plus tôt était en fait le grimoire Maldia. Puis elle ajouta : il sera à toi au lever du jour et tu devras bien sûr me le ramener...
Elle laissait traîner sa voix. Elle étudia les flacons posés sur l'autel et choisit une petite fiole emplie d'un liquide luisant. Après en avoir soigneusement ôté l'opercule, elle s'en renversa une rasade dans la gorge avant de tendre la petite flasque à Garrigue, lui intimant l'ordre de l'imiter, de son regard bleu comme les profondeurs de l'océan. Un peu rebuté par les potions diverses qu'on le forçait à boire Garrigue eut un geste de recul. Les expériences qui suivaient la prise des potions l'effarouchait, et revenaient trop souvent à son goût. Mais les sourcils de Frioul se rapprochèrent l'un de l'autre, et le visage qu'elle offrit au jeune homme devenait soudainement moins accueillant. Ce qui coupa net toute tentative de soustraction de Garrigue.
- Avale ça, dit sèchement Frioul.
Puis, elle poursuivit d'une voix plus calme.
- Je vais te prêter « Le » livre du village. Il faudra donc que tu sois en mesure de me le ramener. Pour cela, tu ne dois donc pas oublier où se trouve notre village. Frioul s'assit alors face à lui, lui sasisit les poignets et lui expliqua qu'ils venaient d'avaler un antidote. Tout à l'heure à table, tout le village a absorbé la «potion de l'oubli» ce fameux liquide doux et rose, qui n'a d'autre but que d'effacer des mémoires des femmes le passage d'un mâle dans le village. En ingurgitant cette antidote, lui et Frioul pourrait se souvenir l'un de l'autre. Garrigue n'oublierait pas l'emplacement du village Maldia et pourra ainsi retrouver Frioul pour lui restituer le grimoire.
Frioul savait qu'elle allait à l'encontre des coutumes de ses congénères, et le doute lui faisait manquer d'assurance. Elle ajouta, pour contraindre Garrigue, que dans le cas où il se dispenserait de ramener le fameux recueil, leur magie était assez puissante pour pister le grimoire même s'il était à des lieues d'elles, et que si elles devaient arracher le registre aux mains de l'emprunteur, il y laisserait la vie.
Garrigue la dévisagea, il lui semblait que pour la première fois il pouvait soutenir son regard. Il porta la fiole à sa bouche, regarda fixement la belle jeune femme, puis ferma les yeux et balança sa tête en arrière. Le liquide visqueux qui composait l'antidote fut englouti en entier. Les mots, qu'avait prononcé Frioul, tétanisaient Garrigue et en même temps le rassuraient car il lui semblait qu'il venait de rencontrer une alliée. Et puis cette jeune femme ne le laissait pas indifférent. Ce qu'elle lui avait fait découvrir la nuit précédente, il n'était pas prêt de l'oublier. Comme la beauté de son corps et la douceur de sa peau.
Sans quitter Garrigue des yeux, Frioul déposa son poignard sur le sol. Enfin, devant celui qui, exalté, se débarrassait de ses propres habits, elle ôta tous ses vêtements face à cet enfant devenu homme. Ils s'allongèrent l'un contre l'autre serrés, pour leur dernière nuit, sur la couche recouverte de fourrures sauvages aux longs poils soyeux.
VOUS LISEZ
L'ŒIL DE PAON
FantasyL'œil de Paon est un conte, un folklore oublié. Les contes, c'est de 7 à 99 ans. Cette histoire se déroule à l'époque des châteaux forts, des rois, des manants et où la sorcellerie agissait dans le secret des alcôves dissimulées. Garrigue vivait tr...