Chapitre 7 - La fontaine aux mille incantations

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Malgré son jeune âge, aucun garde ne se permit de demander au hautain jeune prince où il se rendait et encore moins de l'en empêcher. Il put donc franchir la grosse grille en fer sans être ennuyé. Il était des époques où s'interposer à une décision royale menait directement à l'échafaud. Ce rempart était sa dernière protection avant l'aventure ; il était sûr de lui.

Panache d'Or trottinait serein sur le petit chemin qui serpentait tout en s'éloignant du château. Il franchit la haie de feuillus, sans changer de cadence.

Ces arbres, immenses, masquaient la vue depuis le château. Garrigue les avait souvent imaginés comme des quilles géantes qui auraient été le terrain de jeux d'un géant et se plaisait à rêver ce qu'elles pouvaient dissimuler. Aujourd'hui, il se tenait à leur pied et ce paravent naturel était en fait beaucoup plus épais qu'il n'y paraissait. Leur plantation était inquiétante aussi, car elle formait une sorte de coupure entre deux mondes tant et si bien que l'on aurait pu croire que l'on venait d'entrer dans une région totalement inconnue, tellement le paysage y était différent. Jamais il n'aurait pu soupçonner cela depuis sa chambre.

Il gonfla sa poitrine, comme les conquérants, pour se donner du courage. L'air était doux et embaumait le début du printemps avec son herbe bien verte parsemée des premières fleurs de coucou. La chaleur diffuse des rayons du soleil réchauffait l'atmosphère alors qu'une brise légère chahutait doucement les grandes tiges, qui se dressaient au-dessus de l'ondulation lente et monotone des herbes de la prairie. Les piaillements des oisillons, dans les nids alentours, rappelaient la période du recommencement annuel, mais surtout Garrigue avait dans la bouche un goût de liberté, mêlé à un peu d'inquiétude, ce qui lui donnait des ailes.
Le soleil irradiait tout le domaine, le chant des oiseaux le charmait et lui donnait du baume au cœur. C'était sûr, ça allait être une belle journée. Une journée de réussite.

Lorsque qu'il eut laissé à bonne distance les arbres derrière lui, il se retrouva sur une colline dominant une sorte de rocher entouré de baliveaux, il tira un peu sur les rênes pour stopper son cheval. Il n'était pas très sûr, mais il lui semblait bien que ce qui s’’offrait à lui, en contrebas, pouvait être la fameuse fontaine. Elle n'était plus qu'à quelques enjambées de son cheval. Machinalement, Garrigue se retourna pour mesurer la distance qui le séparait du château. Mais les arbres géants lui masquaient la vue. Un lien visuel l’aurait apaisé, rassuré peut être.

C'était la première fois qu'il se risquait aussi loin et les douleurs dans son dos lui confirmaient que cette fontaine n'était pas aussi proche qu'il avait pu le croire.

Ses yeux se posèrent sur le lieu tant convoité. La fontaine était bien là, devant lui, quelques dizaines de mètres un peu plus bas. Il en prenait plein les yeux. Il touchait au but. Enfin, il réussissait quelque chose. Maintenant, faire boire son cheval ne serait sans doute pas bien compliqué. Des papillons virevoltaient dans son ventre.

La fontaine en question n'était pas qu'un simple trou d'eau perdu dans des herbes folles, comme il l'avait imaginé. Il s'agissait d'un mur assez haut, bâti de pierres sèches, adossées contre une sorte de rocher. A sa base, l'eau se déversait dans un bac dont les bords étaient si lisses qu'ils avaient dû être polis pendant des centaines d'années. Des marches, taillées dans le roc, usées par des milliards de pas formaient un escalier qui grimpait de chaque côté de l'édifice et permettaient d'accéder sur un promontoire qui surplombait le bassin récepteur. Sur le mur était serti d’une croix entourée de signes étranges, qui semblaient jaillir du mur.

Depuis le haut de la colline, la fontaine ressemblait à un visage : les arbres hauts et touffus à l'arrière et les saules pleureurs sur les côtés pouvaient représenter les cheveux, les escaliers dessinaient les joues et les écritures de part et d'autre de la croix faisaient office d'yeux. Cette vision rendait le lieu encore plus étrange. Peut-être était-ce simplement cela qui faisait peur aux paysans et suscitait tellement d'histoires.

Une appréhension naissante mêlée à sa supériorité originelle déclencha tout de même un frisson qui foudroya, en un éclair, toute l'épine dorsale de notre petit aventurier.

L'ŒIL DE PAONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant