Chapitre 2 - Le prince triste

38 6 1
                                    


L’héritier des Hauts de Galante vint au monde par une nuit d'orage, entre les hurlements de sa mère et les craquements du tonnerre. Les douleurs qui déchiraient le ventre de Mélisande étaient aussi violentes que les éclairs qui zébraient le ciel. Au petit matin, les cris nasillards du nouveau né se firent enfin entendre. Mais lorsque le bébé fut présenté à sa mère, celle-ci s'en détourna, considérant la chose emballée comme le témoin trop présent de ses souffrances nocturnes.

C'était il y a onze ans.

Depuis ce jour, Garrigue n'avait comme proche entourage que des nounous allaitantes, des domestiques prévenants, des servantes sympathiques et des précepteurs conciliants. Son entourage était composé d'adultes, car bien sûr il était fils unique, sa mère n'ayant pas souhaité recommencer à donner la vie et surtout ne voulait plus jamais avoir à subir les affres et les tourments qui avaient accompagné la naissance de Garrigue.

Seul enfant du château, le prince était devenu un petit être braillard, désagréable, prétentieux et seul.
En grandissant, son comportement s'était tout naturellement calqué sur les fastes de son rang, il ne savait pas ce qu'était la faim, la soif, le froid… Il ne connaissait pas non plus la signification du mot travailler. Il faut dire que même son précepteur avait eu du mal à lui apprendre à lire et à écrire, car Garrigue n'acceptait de fournir aucun effort. Jamais au grand jamais il n'aurait été opportun de le forcer à apprendre ses leçons, quand bien même celles-ci fussent simples. Il était hors de question de donner des ordres au fils du roi, au futur héritier de la couronne. Pour son éducation, pas moins de cinq précepteurs avaient été nécessaires. Ils y avaient tous perdu la raison ou la vie, car sommés d'obtenir des résultats mirobolants que le petit prince ne pouvait que produire, ils n'avaient comme solution que la fuite ou la mort.

Mais, au fur et à mesure que les années passaient, trop choyé, dorloté et toujours seul, Garrigue s'enfermait dans son ennui. Il ouvrait alors les fenêtres de sa tour du château et regardait jouer les enfants des fermiers, dans les villages qui ceignaient les murailles. Il les voyait courir après un ballon de fortune fait bouts de ficelle et de lambeaux de tissu, il les entendait rire, les regardait chahuter, il les enviait quand ils tombaient, se relevaient, riaient encore plus fort, couraient dans tous les sens.

Depuis qu'il avait atteint l'âge de dix ans, le prince triste passait tout son temps à les épier. Sa fenêtre était toujours ouverte sur sa convoitise. Il aurait voulu aller jouer et courir avec eux. Ce devait être magnifique d'avoir des copains de son âge. Ce manque d'ami le rendait malade de jalousie. La solitude broyait son esprit d’enfant unique dans un milieu d'adultes. Et même si ceux-ci étaient chèrement payés pour être à son service, cela n'avait été amusant qu'un temps. Aujourd'hui, il voulait sortir de son cocon pour se faire des amis et pouvoir lui aussi batifoler.

Pire encore étaient les jours de neige. L'épaisseur du manteau blanc qui recouvrait la terre étouffait les bruits et amplifiait les cris de joies des enfants. Les éclats de rire franchissaient alors les épais murs du château et venaient le narguer jusque dans son isolement. Cela exhumait sa lourde solitude et attisait un sentiment nouveau qui lui arrachait la poitrine et qu'il ne savait pas nommer.

Tous ces gamins, pauvres, souvent affamés, sans le sous, qui avaient une vie dure, aux antipodes de la sienne, semblaient pourtant mille fois plus heureux que lui. Il était là une incohérence que Garrigue ne parvenait ni à admettre, ni à comprendre.

Un jour, n'y tenant plus, il s'était risqué hors de sa prison dorée pour aller à la rencontre de ces enfants. Il était sorti par la grande porte du château et s'était approché simplement d'un groupe d'enfants qui semblaient avoir le même âge que lui, et qui jouait dans la boue.

Bien mal lui en avait pris. Les fils et filles de paysans reconnaissant le fils du roi, le laissèrent un peu s'approcher d'eux, arborant son habituel air niais et supérieur. Puis ne sachant quoi faire ou dire, ont rapidement pris la fuite en ricanant. Ils avaient détalés à une vitesse telle qu'en un instant Garrigue s'était retrouvé tout seul, pataugeant dans les immondices, les pieds couverts de boue.

Honteux et vexé, il n'avait su que hurler, pendant que de grosses larmes commençaient à rouler sur ses joues roses et rebondies.

L'ŒIL DE PAONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant