Frioul, la belle Frioul. Et les effluves de réglisse mélangées à celles de la vanille le ramenèrent en une fraction de seconde dans les bras de sa belle. Pour conserver un peu ce souvenir si doux, il laissa vagabonder les souvenirs de son corps tout contre celui de cette femme, si captivante. De la douceur de ses cheveux sous ses mains maladroites, du parfum de son cou juste à la naissance des épaules, de ses mots susurrés doucement contre son oreille, et de la beauté de son corps qui épousait si bien le sien.
Pendant que sa tête voyageait dans un passé récent et doux, ses doigts soulevaient doucement la deuxième page. Le temps s'arrêta net et une toute autre manifestation se fit jour. L'espace tout autour de Garrigue se modifiait. La lumière d'abord, les rais clairs du soleil matinal prirent alors une teinte bleutée dans un ciel qui virait au mauve, les couleurs tellement irréalistes rendaient le paysage surnaturel. La brise douce dans les feuilles des branches s'était arrêtée net, le calme devenait suspect, les oiseaux ne chantaient plus. On aurait dit que la forêt toute entière retenait sa respiration. Quelque chose avait coupé le son de la vie.
Sa peau ne goûtait plus la brise légère qui caressait son visage, il était comme dans une bulle qui le préservait de toutes les perceptions de ses sens, soudainement paralysés. Était-ce le fait du livre ?Cette deuxième page lui dévoila un dessin ou plutôt des signes cabalistiques qui se mouvaient et se modifiaient sur une page qui semblait vivante. Ainsi, le vieil homme avait dit vrai, la magie se réalise lorsqu'il en avait besoin. Hésitant, il finit de tourner cette deuxième page espérant trouver quelque chose qui orienterait ses recherches.
Et puis, il avait peur aussi d'être trop curieux en feuilletant trop vite toutes les pages et que son ardeur ne se retourne contre lui. Et cette satanée morsure du feu sous le bracelet qui le rendait furieux et gênait sa concentration.
C'est ainsi qu'un sentiment de haine s'installa envers le sorcier qui l'avait ainsi fait prisonnier d'un morceau de fer et de cuir.
Il releva la tête tout en observant le lointain pendant quelques minutes, fit tourner sa bague sur elle-même, espérant que ce geste machinal lui insuffle encore un peu de courage. Lorsqu'il ramena son regard sur les pages grandes ouvertes devant lui, un chemin se dessinait sur le papier épais du grimoire jusqu'à se fondre dans le paysage qui s'étalait devant lui. Il cligna plusieurs fois des yeux avant de se pencher sur son livre comme pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Une lumière pailletée d'or, évadée du dessin, l'invitait à la suivre, lui indiquant ainsi le chemin...
Fasciné et comme hypnotisé, il se redressa, poussé par un instinct venu d'on ne sait où, il posa délicatement un pied sur la page du livre où était dessiné le chemin et alors ce fut l'apogée. Il se retrouva projeté comme une étincelle, à une vitesse fulgurante où apparaissait devant lui un sentier illuminé qui serpentait entre les arbres et se faufilait à travers les broussailles. Là, il reçut une décharge d'adrénaline, il lui sembla que toutes les cellules de son corps fourmillaient. En un éclair, il vit défiler toute la route qu'il lui restait à parcourir avant d'arriver à son Graal, son fameux trésor. Sortir de cette forêt, trouver un rivage, traverser l'eau et rejoindre cette minuscule petite île surmontée d'une tour. Puis, tel un oiseau, il se vit survoler des marches en colimaçon et arriver au sommet de l'édifice où se trouvait un coffre ceint d'un mur de lumière qui illuminait toute la pièce. A peine le coffre se fut-il ouvert, que tout le chemin inverse se déroula comme un film à l'envers.
Totalement étourdi, mais émerveillé Garrigue se retrouva au sol, il avait été projeté à quelques mètres de son livre. Ahuri et ne comprenant pas ce qu'il venait de se passer, il se releva, puis un sourire au coin des lèvres, ramassa son livre et en referma soigneusement la boucle métallique. Il était tout chose, ne sachant plus trop bien si ce qui venait de se passer était un rêve ou bien la réalité. En tout cas, maintenant, il savait où il devait se rendre, maintenant il n'avait plus qu'à suivre le chemin !
Mais avant, il déchira une bande de tissu de sa chemise et en entoura son poignet à la peau chéloïde, duquel suintait la lymphe. Peut être ce linge le protègerait-il de l'action maléfique du bracelet !
Il regarda tout autour de lui, la forêt vivait à son rythme, le soleil brillait à nouveau d'un jaune éclatant, un vent léger rafraîchissait Garrigue et les feuilles dansaient doucement au bout des branches. Les oiseaux avaient repris leur chant, l'humus du sous bois répandait derechef ses plus belles senteurs typiques.
Le sourire aux lèvres, il remit son précieux livre dans son sac et reprit sa route. Peut être son avenir s'éclaircissait enfin.Panache d'Or trottinait d'un pas léger et Garrigue sentait monter en lui la force, le courage et l'envie, auxquels s'ajoutait, telle une pointe de piment, de la curiosité. Il n'avait plus le sentiment de faire les choses par devoir, mais par envie. Son anneau étincelait, et c'était sans doute à ce petit morceau de ferrraille qu'il devait ces sentiments nouveaux. Il les devinait maintenant en lui et ils lui faisaient du bien.
Il avait bien changé Garrigue.Il lui semblait que cela faisait un siècle qu'il avait reçu ce présent et qu'il avait quitté le château avec sa pauvreté et ses malheurs. Car en quelques jours, il avait vécu plus de choses différentes, nouvelles et enrichissantes que durant toute sa propre vie.
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L'ŒIL DE PAON
FantasiL'œil de Paon est un conte, un folklore oublié. Les contes, c'est de 7 à 99 ans. Cette histoire se déroule à l'époque des châteaux forts, des rois, des manants et où la sorcellerie agissait dans le secret des alcôves dissimulées. Garrigue vivait tr...