Les préparatifs, la décoration de la place centrale, les potions nécessaires à la féminisation de l'enfant encore tout minuscule, tout était bien entamé et se déroulait selon la tradition. C'était des moments éprouvants où il fallait chercher, ramasser et préparer les bonnes herbes pour qu'à l'issue de la messe, l'enfant soit une fille ou ne soit plus. Idée qui faisait trembler Frioul. Ainsi pour dissimuler son anxiété aux autres, Frioul se mêla aux femmes qui partaient à la recherche de l'œil de Paon, cette jolie plante aux couleurs vives tantôt rouges, mauve, rose, orange ou jaunes, fleur essentielle, entrant dans la composition de la potion, ne vivait qu'une seule journée. Il fallait donc la dénicher rapidement afin de la cueillir le jour de son utilisation.Garrigue, ne sentait plus son corps, il était léger comme une plume, plumes qui d'ailleurs étaient éparpillées tout autour de lui. Ce n'était pas des plumes noires, brillantes et luisantes comme celles de son amie la chouette, non c'était des plumes aux couleurs de l'arc-en-ciel, comme celles des aras qu'il avait vu sur l'île. Garrigue avait perdu toute notion du temps et d'espace, il ne savait pas où il était. Le temps s'était-il accéléré ? Ralenti ? La nausée anéantissait sa raison, le soleil cramait sa peau et brûlait ses pupilles, ses vêtements moites lui collaient au corps et tous les bruits étaient exacerbés. Et voilà que maintenant Panache d'Or renâclait tout près de son oreille. Plusieurs minutes lui furent nécessaires pour comprendre qu'il avait quitté l'île. Mais où se trouvait-il alors ? De vertes prairies apaisantes s'étendaient tout autour de lui. Son environnement immédiat était serein, les arbres résonnaient du chant des oiseaux, une brise légère lui rafraichissait le visage, l'odeur de l'herbe écrasée lui emplissait les narines. Toute cette verdure, ce cadre attrayant rappelait à Garrigue tant d'agréables souvenirs, des sensations si douces.
Un constat s'imposait, il n'était plus sur l'île.
Comment cela était possible ? Comment avait-il retraversé l'étendue d'eau ? Heureusement, il avait toujours en sa possession ses effets et le sac contenant le grimoire Maldia ! C'était ça le plus important. Le reste était du domaine du mystérieux. Sans doute la puissance d'un sortilège l'avait conduit là, mais il ne pouvait rien s'expliquer.
Il essaya de se redresser sur ses pieds pour scruter l'horizon, peut être pourrait-il reconnaître les lieux. Très loin de n'être qu'une épreuve, se tenir à la verticale était un supplice. Ses entrailles le brûlaient comme si les feux de l'enfer s'y déchaînaient. Il parvint tout de même à se maintenir, avec l'aide de Panache d'Or qui lui servait de tuteur. Doucement, ses yeux plissés questionnèrent l'horizon. Etrangement, toutes ces prairies verdoyantes ne lui étaient pas tout à fait inconnues, c'était comme un sentiment de déjà vu. Alors ? son regard se porta sur les maisonnettes d'un petit village accueillant, dont les toits pointus surmontés de petites cheminées laissaient s'échapper de légères fumées claires. Son cœur s'emplit de joie. Le village Maldia...
Si ce n'était pas lui, en tout cas il lui ressemblait à s'y méprendre. Cette vision tranquillisa Garrigue et une bouffée d'air rafraîchit son front.
Cependant, une chose ternissait sa joie. Car même s'il s'agissait du village Maldia, là où il avait fait la rencontre de cette femme exceptionnelle, ce n'était pas « son » village. Il devrait donc encore envisager son avenir.
Allait-il rentrer au château des Hauts de Galante, comme un miséreux ? Il était trop faible pour répondre à cette question maintenant.
Il mobilisa toutes ses forces pour se hisser sur le dos de son cheval et entama doucement sa progression vers ce village, souhaitant plus que tout au monde qu'il s'agisse bien du village de Frioul.
L'adrénaline et la peur libéraient de drôles d'endomorphines. Les substances créées par son anxiété à revoir Frioul et par sa trop fertile imagination irradiaient tout son corps. Cela lui prêta l'analgésiant nécessaire pour éviter à sa tête d'extrapoler des plans, comme de penser qu'il se jetait peut être dans un village inconnu, habité par un peuple hostile.
Cet afflux de bonnes sensations construisait en lui un fort sentiment de rentrer chez lui, de revenir dans un lieu qu'il appréciait, dans lequel il se sentait bien, en sécurité et confiant et qui lui apportait l'apaisement. Et ça, c'était quelque chose dont Garrigue avait bien besoin après toutes ses péripéties.
A supposer que ce soit le bon village, est-ce que Frioul se rappellerait bien de lui, car finalement, il ne savait pas depuis combien de temps il était parti. Avec la magie, le temps devient élastique, et toutes ces potions n'avaient de cesse de déstabiliser son équilibre mental.
S'il arrivait dans ce village et qu'après avoir été fouillé, on l'accuse tout simplement d'avoir volé le grimoire ?
Garrigue appréhendait son arrivée, il ne voulait plus réfléchir, ne voulait plus imaginer, orchestrer, inventer ce qui allait se passer. A trop se raconter des histoires, sa tête le faisait souffrir. Il aspirait simplement à avaler un grand verre d'eau fraîche et à dormir. Il souhaitait plus que tout au monde que cette histoire touche enfin à sa fin. Cette idée le berça un instant, se coucher dans des draps propres, sur une couche souple, moelleuse et tiède. Alors, son cerveau lui fabriqua tous les ingrédients requis par sa rêverie, et avec une telle réalité de détails que l'illusion semblait parfaite. Il se voyait allongé, à profiter des bienfaits de ce repos tant mérité quand tout à coup, quelque chose vint lui battre le bas du dos avec une extrême violence.
Il sursauta. Rouvrit les yeux pour constater qu'il était au sol, flanqué sur son séant, les jambes en l'air.
Panache d'Or avait poursuivi sa route de quelques pas avant de s'arrêter, sans comprendre pourquoi son cavalier se retrouvait soudainement au sol.
Le dos de Garrigue le faisait atrocement souffrir ; il venait de tomber de cheval emporté par ce délire sournois, qui lui avait fait, à l'excès, mêler rêve et réalité. Il s'était allongé, persuadé de le faire sur ce lit imaginaire qui lui ouvrait grand les bras ; cascade totalement déconseillée lorsqu'on est installé sur le dos d'un cheval !
Il fallait maintenant remonter en selle.
Panache d'Or épia Garrigue alors qu'il se relevait péniblement et rappliquait jusqu'à hauteur de sa selle. Ses yeux en disaient long. Il ne lui manquait que la parole. Garrigue ne put retenir une remarque :
- Arrêtes de te moquer de moi !
Il faut dire que depuis ses multiples rencontres avec la chouette, Garrigue avait admis l'idée que les animaux eux-aussi pouvaient avoir leurs mots à dire et il n'hésitait plus maintenant à s'adresser à son cheval comme s'il s'agissait d'un humain. Car il avait toujours espéré, secrètement, que finalement celui-ci comprenne ses paroles.
Enfin remis en selle, Panache d'Or continua son chemin. Garrigue se laissait porter par le pas régulier du cheval. Il pouvait laisser libre court à son imagination. Il réfléchissait à ce qui allait se passer, imaginait ses retrouvailles avec Frioul, s'inventait des suites à son histoire, les plus inattendues et les plus folles, peut être aussi improbables.
Mais il était rêveur. C'était ainsi. Et c'est à moitié dans les bras de Morphée qu'il fit son entrée dans le village. Même les cris aigus des paons ne réussirent à l'extraire de sa léthargie. Lorsqu'il déboucha par une petite ruelle entre deux maisonnettes, les femmes qui travaillaient tout près ne prêtèrent aucun intérêt au duo et poursuivirent leurs activités. Seules, des enfants aux voix nasillardes les escortèrent. Des petites filles, des plus grandes, toujours que des filles.
Garrigue entrait à nouveau dans le village Maldia. Le cheval s'arrêta de lui-même.
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L'ŒIL DE PAON
FantasyL'œil de Paon est un conte, un folklore oublié. Les contes, c'est de 7 à 99 ans. Cette histoire se déroule à l'époque des châteaux forts, des rois, des manants et où la sorcellerie agissait dans le secret des alcôves dissimulées. Garrigue vivait tr...