chapitre 4 - Des guenilles parfaites

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Le petit gros n’était ni hardi, ni audacieux et il allait devoir se procurer des vêtements de paysans. Ce sésame était indispensable à l’atteinte de ses objectifs.

Un moment il pensa demander à ses servants, ceux-là étaient obligés de lui obéir. Mais comment leur expliquerait-il cette envie d’avoir des vêtements sales et usés ?

Heureusement, au fil du temps, Garrigue avait tissé des liens de franche complicité avec ces adultes dépêchés à son unique service. D’ailleurs, de leurs côtés, ils avaient bien compris aussi qu’ils étaient les seuls à procurer un peu d’amour et d'amitié à ce petit seigneur, même si celui-ci leur donnait des ordres et les sous-estimait, sans aucune honte. Cette considération mutuelle et injuste les unissait pourtant.

La solution lui fut servie sur un plateau alors qu’il traînait, un matin, vers les écuries. Il épiait les lads en train de nettoyer les boxes des chevaux. Sous ses yeux, trois garnements se chamaillaient tout en exécutant leur labeur. Ces enfants étaient guère plus âgés que lui et pourtant, ils devaient travailler pour mériter le pain qu’ils mangeraient. Cette pensée s’effaça aussitôt qu’il aperçut l’avantage qui s’offrait à lui : leur âge semblable au sien faisait que leurs vêtements lui iraient sans nul doute.

Mais comment les leur ravir ?

Ce jour-là, la chance était de son côté…

Lorsqu’après s’être aspergés copieusement avec l’eau de l’abreuvoir, les trois gamins ôtèrent leurs vêtements pour les faire sécher au soleil de midi. Garrigue avait tout vu, il les avait entendus rire aux éclats, bavarder, plaisanter, cela ne lui crevait plus le cœur, mais une douleur aiguë le cisaillait encore. Même ces enfants, qui tous les jours devaient effectuer des tâches ingrates, trouvaient le moyen de se divertir. Il les enviait. Il les entendit grimper dans le fenil où ils continuèrent leurs amusements dans le foin.

C’était le moment ou jamais, un éclair de témérité le poussa à se saisir de leurs vestes et de leurs braies. Puis, son forfait accompli, il ne s’éternisa pas sur les lieux et s’enfuit à toutes jambes, en direction de ses appartements. Il arriva, haletant mais souriant. A l’abri dans ses propres quartiers, il étudia les loques, objet de son larcin, et les battements de son cœur ralentirent pour laisser place à une sorte d’euphorie, de fierté, d’exaltation. Il aurait crié si cela n’avait pas attiré l’attention de ses servants, toujours prêts à accourir. Il avait réussi tout seul. Il avait volé des vêtements qui empestaient, étaient laids, mal cousus, taillés dans un tissu grossier, mais c’étaient des vêtements parfaits.

Vêtements à l’opposé de ce à quoi son rang l’avait habitué, mais ces guenilles lui permettraient d’atteindre son objectif. Il avait envie de rire, de sauter, de crier au monde entier qu’il avait r-é-u-s-s-i. C’était la première fois qu’il ressentait une telle émotion.

C’est lorsque son habilleuse entra dans ses appartements, le visage tordu par une grimace de dégoût qu’il comprit que les frusques devaient avoir embaumé toute la pièce. Il était urgent d’intervenir rapidement car s’il était démasqué, il allait perdre le bénéfice de sa rapine. Cacher ces habits avant que ceux-ci ne soit décelés, car les effluves nauséabondes qu’ils dégageaient, ne tarderaient pas à faire entrer en piste les femmes de chambre, infaillibles à briguer les mauvaises odeurs. Il devenait urgent d’offrir aux vêtements puants des garçons d’écurie, une cachette sécurisante, dotée d’émanations fortes pour ne pas révéler leur emplacement. Et là, Garrigue connaissait l’endroit adapté. Il allait jouer fin.

Depuis tout petit, le prince traînait dans les jambes des cuisinières, surtout dans celles de Noémie, cette bonne grosse femme, aimante à outrance, qui avait perdu son seul enfant alors que lui n'était âgé que de cinq ans. Elle avait reporté tout son amour sur Garrigue et le traitait comme sa propre progéniture, alors que les autres cuisinières le chassaient souvent gentiment, en lui balayant les jambes ou en faisant mine de l'assommer avec leur grosse louche.

Le tour de taille encombrant de Noémie lui rendait l’accès difficile à l’étroite cabane qui se situait tout près de l’entrée de service de la cuisine et qui faisait office de petit poulailler. Aussi, lorsque Garrigue traînait dans ses pieds, elle faisait semblant de se coincer dans la porte et lui demandait son indispensable aide pour ramasser les œufs. Seulement trois ou quatre belles poules vivaient là, juste assez pour fournir tous les matins les œufs frais à la royale famille. Garrigue, se sentait l’âme d’un sauveur indispensable ; et se faufilait allègrement dans l’étroite cabane, même si l’odeur particulière lui faisait froncer le nez et les sourcils.

C’était-là, la cachette idéale pour ses guenilles malodorantes et il n’aurait aucun mal à y dissimuler ses nouvelles affaires, il était pour ainsi dire le seul à s’y rendre. Quant à ses passages répétés dans la cuisine, ceux-ci n’étonneraient personne.

Serein, Garrigue regagna ses quartiers. Il avait les vêtements, il avait une cachette et la circulation importante qui régnait autour des cuisines lui permettrait de s’échapper du château dans ses habits volés sans être démasqué. Maintenant, la seconde partie de son plan allait pouvoir se mettre en place.
Bien sûr, il lui faudrait du temps, pour s’approcher sans être remarqué, mais quand il connaîtrait un peu mieux la façon de vivre, les activités et le fonctionnement des paysans, il pourrait alors accoster les enfants, leur parler et enfin, jouer avec eux. Son objectif restait immuable, il voulait des amis de son âge, et il était prêt à en payer le prix.

Un jour, il finirait bien par rencontrer quelqu’un qui accepterait de lui parler.

Depuis sa première mésaventure et les moqueries des enfants, Garrigue avait changé, il s’était endurci et était devenu un peu moins fier, un peu moins sûr de son aura.

L'ŒIL DE PAONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant