CHAPITRE 14

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Walter

Combien de temps à passer depuis que nous sommes enfermés ici ? Je n'en ai pas la moindre idée. Un mois ? Plus ? Probablement. A chaque fois que je le demande au traducteur ou à un garde, on me regarde d'un œil mauvais et la réponse n'est jamais donnée.

La vie n'est plus aussi horrible qu'aux premiers jours, je ne fais plus de crise par rapport au manque de cigarette. A croire qu'il avait fallu que je me fasse prendre en otage, pour que j'arrête définitivement cette merde.

Malgré notre situation précaire, une sorte de routine avait réussi à s'installer dans nos vies : je me levais toujours le premier, et le plus souvent j'allais m'installer contre le mur qui faisait face au matelas. En attendant que Shane se lève à son tour, j'essayais, tant bien que mal, de me vider la tête, mais bien souvent, les souvenirs de mon « ancienne » vie refaisaient surface, que ce soit mes souvenirs d'enfance avec mon frère, ou bien les moments passés avec Abby, Jody et Ryan. La plupart du temps, je me laissais happer par ces doux souvenirs, qui me réchauffaient, mais dès que je revenais à la réalité, elle était toujours plus brutale et froide.

Quand Shane se levait enfin, il commençait toujours par une séance de musculation. Il disait qu'il voulait se maintenir en forme, pour ne pas montrer l'emprise qu'avaient ses connards sur nous. Je trouvais ça stupide, mais je le laissais faire. Ensuite, quand il avait fini, on passait la journée à discuter, de tout. De chacun de nos souvenirs, si bien que je connaissais bien plus de choses sur Shane, que je ne l'aurais jamais imaginé. Par exemple, il avait une cicatrice en forme de « Y » dans le dos, parce qu'il était tombé d'un arbre, en voulant récupérer un ballon.

Après ces longues heures de discussions, nous finissions toujours par retourner nous coucher, et le cycle recommençait inlassablement.

Je détestais la routine. Je détestais le fait de répéter sans cesse les mêmes choses, principalement parce que je trouvais cela lassant, mais aussi, parce que c'était réconfortant. Quand une routine s'installe, c'est réconfortant de voir que tout se passe comme la veille, et l'avant-veille, mais dès que le moindre petit évènement bouleverse votre routine, on perd tout repère et notre vie en est chamboulée. C'était une des raisons qui m'avait fait choisir la voie du journalisme : pour l'imprévu que ça apporte, même dans des cas dangereux, comme celui dans lequel nous nous trouvions. Pas que j'aime cette situation d'otage où la mort nous menace à tout instant, mais je préfère largement prendre des risques pour défendre une cause, que de rester dans un bureau, en attendant gentiment la retraite, et me rendre compte, trop tard, que je n'ai rien fait de ma vie.

Il y a plusieurs jours, peut-être quelques semaines, le traducteur était venu nous voir, son sourire détestable toujours présent. Je me souviens encore de la mine ravie qu'il affichait quand il m'a tendu les photos. La première était floue, mais l'on pouvait comprendre que le photographe se trouvait dans une foule importante. Sur la deuxième, l'angle avait changé, le photographe se trouvait en hauteur et surplombait la foule. Au centre de celle-ci, une petite estrade en bois avait été érigée. Dessus, une personne était agenouillée, les épaules basses et le visage rivé vers le sol. Sur le cliché suivant, un homme était monté sur l'estrade et montrait le visage de l'accusé à la foule. La ressemblance ne me frappa de suite, mais quand je reconnus le visage fermé de Sana, mon sang ne fit qu'un tour. Elle était torse nu, blessée, brulée, et la foule semblait prête à la lapider. Alors que je m'apprêtais à me jeter sur le traducteur, Shane me retint, en me bloquant par les bras.

-Qu'est-ce que vous avez fait bordel ?!

-Moi ?, demanda innocemment le traducteur. Absolument rien, je l'ai juste remis aux autorités, qui l'ont jugée selon les règles. Vous avez ce que l'on dit : «Le Messager de Dieu a maudit ceux des hommes qui cherchent à ressembler aux femmes et celles des femmes qui cherchent à ressembler aux hommes». Et maintenant, elle est probablement en train de pourrir dans une prison, pour payer son indiscipline de femme. Sur ce, messieurs, excellente journée.

Il quitta la pièce, non sans nous jeter un dernier regard empli de haine. Une fois parti, je me reconcentrais sur les photos. Si les « traditions » étaient bel et bien respectées, Sana devait se trouver dans une prison, où le peu de femme qui s'y trouvaient, étaient battues, violées et humiliées. J'avais déjà travaillé sur les châtiments donné aux prisonniers au Moyen-Orient, pas directement en Irak, mais j'imaginais bien que les traditions devaient être les même : les prisonniers étaient humiliés en public, torturés, menacés avec la présence de chien, qui dès que le maître l'ordonnait, allaient mordre, voire manger un des prisonnier.

En imaginant Sana, si forte, devoir se battre contre toute une prison qui voulait sa mort, un sentiment puissant de remord s'empara de moi. Depuis que j'étais ici, j'avais condamné deux de mes amis, par ma faute, et le sentiment de culpabilité dont j'avais réussi à me débarrasser revint à l'assaut. Pourtant, je n'arrivais pas à pleurer, je n'y arrivais plus. J'avais perdu trop de choses, et j'avais déjà assez pleuré. Je me sentais comme un monstre de ne pas pleurer pour mon amie, pourtant les larmes restaient toujours absentes.

-Elle n'est pas morte, s'est déjà l'essentiel, m'affirme une petite voix innocente dans ma tête.

Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un rire sarcastique. Elle n'était pas morte, mais c'était tout comme. Elle était en prison, elle était sûrement humiliée par tous les gardes et les autres prisonniers, probablement violée. Et si jamais elle arrivait à sortir de prison, on se dépêcherait de la marier, à un homme qui la forcerait à être une moins que rien, à porter le voile, alors que Sana, détestait l'idée de le porter, on la priverait de toutes libertés.

A la place du chagrin, s'installa bientôt la colère. Je la sentais monter en moi, en même temps que le sentiment de culpabilité, et malgré moi, je n'arrivais pas à le contrôler. J'avais envie de frapper, n'importe quoi, tout ferait l'affaire, même mon propre corps. Je lançais mon poing dans le mur le plus proche. Une, deux, trois fois, mes jointures me faisaient mal, mais j'avais l'impression que ça allait mieux. Alors que je voulais frapper une quatrième fois, la poigne solide de Shane m'en empêcha. Il n'avait pas le droit de me faire ça, il fallait que ça sorte, si bien que sous l'effet dévastateur de la colère, je le frappais lui, au niveau des côtes, ce qui le fit grimacer, mais il ne lâcha pas mon poignet.

-Lâche-moi putain !, m'écriais-je en agitant lamentablement mon bras.

En me préparant à le frapper une deuxième fois, celui stoppa ma deuxième main, et me plaqua contre le matelas dur.

-Ecoute-moi bien Walter, je sais que tu te sens coupable pour l'emprisonnement de Sana, mais tu n'as pas à l'être. Elle avait décidé d'elle-même de faire cette interview car c'est ce qui lui semblait être le plus juste. Je ne la connais pas assez, mais je pense qu'elle ne te pensera pas coupable, de sa situation actuelle, aussi horrible soit elle.

Son ton avait été dur et froid, mais il avait été juste, ou du moins je l'espérais au fond de moi.

C'est à ce moment-là que les larmes décidèrent de se déverser sur mon visage. La sensation était étrange, un mélange entre de la tristesse, de la colère contre soit, mais aussi une part de soulagement, car les choses qui avaient besoin d'être dites, l'avaient été. Shane relâcha mes mains, et s'assit sur le bord du matelas.

-Désolé de t'avoir frappé, lâchais-je doucement, entre deux sanglots.

-C'est rien, t'avais besoin de te défouler, j'comprends.

Il s'en suivit d'un long silence, pas un silence gênant ou lourd, mais plutôt une pause qui nous permettait de réfléchir à ce qui venait de se passer.

[Désolée, cette semaine, un chapitre court et chiant, mais le prochain sera plus long, et beaucoup plus intéressant]

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Séquestrés {Boy x Boy}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant