Walter
La vague de dépression semblait être passée pour Shane, qui somnolait sur le matelas. Pour ma part, je me sentais dégouté d'avoir loupé la liberté d'aussi près. Une boule de rage était restée coincé dans ma gorge, et ne semblait pas vouloir s'en aller. Ma joue me faisait souffrir à chacun de mes mots, à cause du crochet du droit que je m'étais mangé et ma gorge me brûlait. J'espérais juste que mon comportement face au traducteur, ne nous priverait pas de nourriture ou d'eau.
Un mouvement brusque de Shane me ramena dans la réalité, et alors qu'il se trouvait face à moi, je prenais pour la première fois le temps de l'observer.
Ses cheveux bruns, qui en temps normal, étaient coiffés avec un peu de gel, semblaient être en train de mener une guerre mondiale. Son nez aquilin transcendait entre ses deux pommettes. Sa mâchoire légèrement carrée était maintenant recouverte d'une barbe brune de quelques jours qui lui aurait donné un air ravageur s'il ne s'était retrouvé bloqué ici. Ses bras légèrement musclés retombaient mollement sur chaque côté de son buste qui se soulevait au rythme régulier de sa respiration. Complètement concentré dans ma contemplation, je ne me rendis pas compte du moment où mes paupières se fermèrent, sous le poids de la fatigue et du stress accumulé.
Je courais désespérément, la terre craquelée me brûlait la plante de mes pieds nus, et les nombreux cailloux qui parsemaient ma route m'entaillaient la peau. Pourtant, je ne pouvais pas m'arrêter, j'entendais le vrombissement mécanique, qui se rapprochait de plus en plus. Pas question de se cacher non plus, de toute façon se cacher où ? Le désert s'étendait à perte de vue, sans aucune hauteur pour transcender avec ce calme plat. Une rafale s'abattit quelques mètres derrière moi. Merde ! Ils me tiraient dessus comme l'on tire sur un lapin. Une autre rafale me loupa de peu, j'avais quasiment entendue la balle siffler lorsqu'elle m'avait frôlé.
La prochaine sera la bonne, pensais-je ironiquement.
Cela ne loupa pas. Une balle s'enfonça dans ma jambe faisant gicler la chair et le sang. Mon corps s'écroula lamentablement sur le sol chaud alors que le véhicule s'arrêtait à quelques mètres de moi. La douleur s'était répandue comme un venin et alors que je tenais piteusement mon mollet, le traducteur s'agenouilla à côté de moi. Toutes ses dents grisâtres dévoilées dans un sourire malsain, il lança :
-Belle tentative, dommage que vous n'ayez pas couru plus longtemps, on s'amusait bien à vous voir galoper, en espérant vous en tirer. D'ailleurs, permettez-moi de vous complimenter sur votre endurance, conclut-il, en appuyant du bout de sa chaussure sur l'endroit où la balle m'avait touché.
Je poussais un cri de douleur lorsque le traducteur tira dans mon autre jambe, son sourire victorieux toujours collé à son visage. Il adorait me voir dans un état aussi pitoyable, ça se voyait tellement que même un aveugle aurait pu voir son euphorie. Deux de ses hommes me forcèrent à me lever, pour me tenir face à lui, puis me lâchèrent subitement. Je retombais mollement à genoux face au traducteur qui jubilait encore plus à l'idée de me voir agenouillé devant lui. Surement à cause de la douleur, il me sembla que son sourire s'étira, littéralement, jusqu'à ses oreilles, et que dans ses yeux brillaient une lueur étrange.
-Supplie-moi de te tuer...
-Vas te faire foutre, répondis-je dans une grimace de douleur.
La traducteur apposa le canon de son arme sur mon épaule puis ancra son regard dans le mien avant d'appuyer sur la gâchette. La détonation fit vriller mon tympan et la douleur m'irradia instantanément l'endroit où la balle avait traversé mon épaule. Le traducteur me maintint dans ma même position en m'empoignant mon épaule meurtrie.
-Je répète, supplie-moi !, répéta-t-il en criant cette fois ci.
Trop affaibli pour répondre, je me contentais de lui donner un sourire moqueur. Ma bonne vieille amie, doucereusement appelée douleur vint me tenir compagnie quand une autre balle se logea dans mon autre épaule.
Les sensations semblaient me quitter au fur et à mesure : la douleur s'atténuait progressivement, les sons me paraissaient venir d'un endroit lointain, comme si j'étais en train de m'endormir, et mes paupières tombaient sous leur propre poids. Je sentis juste la main du traducteur qui délaissait mon épaule, et mon buste qui tomba à une lenteur considérable. Quelque chose de tiède se posa délicatement sur ma tempe, et ce contact me parut aussi agréable qu'un morceau de coton. Pourtant, ce morceau de coton s'avéra être beaucoup plus mortel que je ne l'aurais pensé. Mais ça, je n'eus le temps de la calculer que quand la détonation puissante retentit dans le désert silencieux.
Shane
Je me réveillais lentement, encore endormi et fatigué de la journée de la veille. Mon premier réflexe fut de chercher Walter du regard, et à ma grande détresse, je ne le trouvais pas. La pièce était complètement vide. Vide de vide, aucun endroit où se cacher, aucun endroit où chercher. La panique s'empara aussitôt de moi : est-ce qu'ils l'avaient amené pour le torturer ? Pour le tuer ? Un milliard d'hypothèses toutes plus horribles les unes que les autres s'insinuèrent en moi et pourtant aucune réponse ne fût donnée.
Plus les minutes passaient, plus la panique montait en moi et la tristesse l'accompagnait. Je commençais déjà à faire le deuil de mon ami, et je commençais à imaginer ma vie dans cette prison sans aucune compagnie : j'allais devenir fou.
La porte de la cellule s'ouvrit dans son habituel grincement et la silhouette qui se présenta dans le halo de lumière, me salua avec une voix que je reconnaitrais entre mille :
-Salut Shane, bien dormi.
Mon premier réflexe fut de me jeter sur l'homme pour m'assurer qu'il s'agissait bien de lui.
-Qu'est-ce qu'il t'arrive Shane ?, demanda Walter, après que je l'eu examiné sous toutes les coutures.
-Rien, je voulais juste m'assurer que tout allait bien.
Le garde qui patientait à l'entrée nous jeta un regard pressé et Walter m'informa que je pouvais aller prendre une douche, et passer aux toilettes. Cette nouvelle me donna du baume au cœur, et je suivi l'homme vers une petite salle des eaux où je me délectais d'une douche tiède, et j'en profitais pour laver mes vêtements.
Quand je revins dans la chambre, Walter voulu me parler de la nuit, ou plutôt du cauchemar, qu'il venait d'endurer. Je le laissais donc s'exprimer, lui laissant des pauses pour qu'il puisse reprendre ses esprits. J'étais impressionné par la quantité de détail dont Walter se rappeler, notamment lorsqu'il me racontait la douleur qu'il avait ressenti quand les balles l'avaient traversé.
Une fois son récit terminé, je lui demandais pourquoi se confier maintenant à moi, et pas plus tôt. Il m'avait gentiment répondu que ce cauchemar avait été encore plus effroyable que les autres, et il avait pensé que se confier lui ferait du bien. Il sembla soulagé d'avoir pu vider son sac, et cela me réjouit qu'il ait assez confiance en moi pour me confier toutes ses peurs. Mais son rêve me fit aussi penser au fait que la mort veillait sur nous à chaque instant. Comment ferais-je si on venait à m'enlever Walter ? La réponse était évidente : je deviendrais probablement fou. Et inconsciemment, je priais pour que cela ne se réalise pas.
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Séquestrés {Boy x Boy}
Ficción GeneralWalter est un journaliste, qui décide de partir en Irak, à la recherche de témoignages. Il part en compagnie de Shane, un des journalistes qui travaille avec lui, et qui possède aussi cette envie de voyage et de vérité. Seulement, aucun des deux n'a...