Shane
Etre retourné au journal en sachant que Walter n'y était pas m'avait provoqué un sentiment étrange, comme si j'étais incomplet, inachevé. Pourtant, je ne me décourageais pas et continuais mon chemin vers les bureaux de l'Independant. En passant les portes vitrées des bureaux, qui annonçaient d'habitude une ambiance chaleureuse, je sentais l'anxiété monter en moi au vu de l'atmosphère tendue qui y régnait. Depuis l'entrée, je pouvais clairement voir que l'espace détente qui était habituellement aménagé pour les pauses avait été converti en bureau, où des employés moroses tapaient sur les touches de leur clavier.
Abby arriva quelque secondes après moi, et déclara :
-C'est triste à voir non ? Ça depuis deux ans, il me tarde vraiment que Walter récupère le journal.
A cette simple phrase, une boule de stress se forma dans ma gorge, quand je réalisais que j'allais devoir travailler dans cet endroit qui me paraissait tout aussi méconnaissable que la maison d'un inconnu. En compagnie d'Abby, je montais donc à l'étage, où l'ambiance n'était guère plus joyeuse qu'au rez-de-chaussée. Alors que j'allumais mon ordinateur et que je quittais mon blouson, la voix encore peu familière mais reconnaissable de Marcus m'interpella :
-Ah Shane, nous vous attendions, je suis ravi de vous revoir, lança-t-il avec un enthousiasme feint.
-Ecoutez, je vais être clair dès maintenant. Pas besoin de jouer la carte de l'hypocrisie avec moi, je ne peux pas vous voir, et vous ne le pouvez pas non plus. Et je pense que bon nombre de mes collègues pensent la même chose que moi, donc ne vous dépensez pas votre énergie à paraitre aimable et courtois, vous perdez votre temps. Donc retournez dans votre bureau, qui n'est pas le vôtre, et laissez-nous faire notre travail.
Il me sembla que les soixante-dix paires d'yeux que comptait le journal étaient rivés vers nous, mais je m'en souciais guère, car il m'avait suffi de croiser leur regard pour comprendre que mes collègues étaient de mon côté.
-M. Jenkins, je vois que vous appréciez les présentations musclées, alors laissez-moi vous répondre. Je vous entends encore une fois ouvrir la bouche pour me répondre et je vous vire sans reste. Ce n'est pas parce que vous avez prétendument vécu l'enfer pendant deux ans que vous pouvez vous croire tout permis.
Sa phrase avait eu de l'effet, surtout quand il avait osé dire que ce que nous avions vécu n'était qu'une mascarade. Je sentais la colère monter en moi, et elle redoubla quand Marcus afficha son sourire qui suintait l'arrogance et l'égocentrisme. Alors que je m'apprêtais à répondre, Abby me coupa dans mon élan et elle répliqua :
-Si vous en arriver à le virer, alors vous pouvez me virer aussi.
Marcus prit un air offusqué face à cette rébellion, mais garda son calme et répliqua :
-Très bien, si c'est ce que vous voulez, vous pourrez partir avec lui. Grand bien vous fasse, répondit-il en esquissant un geste de la main.
Derrière moi, une chaise bougea et la voix de Peter se fit entendre.
-Très alors vous pourrez me virer aussi.
Une autre chaise, et une autre voix se levèrent aussi contre Marcus. Puis plusieurs à la fois, encouragé par l'élan de rébellion qui s'initiait dans les bureaux. Au final, la grande majorité des employés se retrouvèrent debout, faisant face à leur patron pour montrer leur mécontentement. Marcus sembla perdre la main, et la solidarité de mes collègues me fit chaud au cœur.
Sans ajouter un mot, le patron, temporaire, se replia dans son bureau et tous les employés s'applaudirent mutuellement, pour se féliciter et s'encourager dans cet esprit d'équipe. Cette micro-révolution nécessaire pour remonter le moral de toute l'équipe, avait fait germer en moi une idée bien plus grandiose et revancharde.
Toutefois, après les festivités passées, tout le monde se remit au travail. Pour ma part, je pris part à la réunion d'Abby, pour connaître l'actualité et les sujets importants à traiter.
Après la réunion et juste avant que je retourne travailler à mon poste, mon portable vibra dans ma poche. Le message de Walter me mit du baume au cœur malgré sa simplicité, me demandant juste comment la matinée avait débuté. Il m'informa aussi qu'il comptait nous rejoindre pour le déjeuner, et je ne pus que m'en ravir.
Finalement après avoir travaillé pendant une longue matinée, en compagnie d'Abby sur une course de chevaux truquée, au profit de richissimes personnages, la pause du déjeuner sonna enfin. Abby me mit au courant, que tous les employés allait manger dehors car comme je l'avais déjà vu, l'espace détente avait transformé en bureaux.
Nous nous dirigeâmes donc vers une cafétéria, où les repas étaient, à entendre dire, « bons et pas chers », et j'envoyais en même temps un message à Walter pour lui indiquais notre lieu de repas. Celui-ci nous rejoignit dix minutes après que nous fûmes installés autour d'une table. Il nous demanda pourquoi nous mangions dehors, alors que d'habitude, et surtout en hiver, les journalistes préféraient le confort de l'espace détente.
Quand Abby lui annonça que l'espace détente n'existait plus, une expression sombre apparut sur son visage et je m'empressais de lui remonter le moral en lui racontant notre mini-rébellion. Cela le fit sourire et nous félicita pour notre courage et la solidarité qui nous unissait. Il me sembla tout de même assez triste, surement car il n'avait pas pu assister à notre insubordination. J'aurais bien voulu le réconforter d'une manière bien plus explicite, mais je ne savais s'il avait envie nous montrer en public, ou même si j'en avais envie. Je ne savais même pas si nous formions un vrai couple, malgré notre discussion sur le sujet. Pour moi cela me semblait tellement irréel. Après tout j'avais passé deux ans de ma vie à le côtoyer, et cela ne changeait pas vraiment aujourd'hui. Il y avait bien évidemment eu cette fameuse nuit, que je n'oublierai surement jamais, mais depuis, je n'avais pas vraiment l'impression que nous formions un couple à part entière.
Walter me tira de mes propres pensées quand il m'annonça avec réjouissance, l'avocate allait surement prendre en charge son dossier, et son expression enjouée suffit à me réjouir à mon tour. A la fin du repas, nous retournâmes ensemble au bureau, et l'humeur semblait plus allègre que pendant la première moitié de la journée. Walter nous abandonna quand nous rentrâmes dans les bâtiments du journal, et un peu anxieux qu'il reste seul jusqu'à ce soir, il me réconforta en me disant qu'il comptait rendre visite à ses parents et faire quelques courses pour s'occuper l'esprit.
C'est donc un peu plus rassuré que je rejoignis mon bureau. A mon plus grand malheur, Marcus semblait m'attendre de pied ferme et je ralentis le pas pour rejoindre ma destination.
-Ah enfin vous voilà enfin ! Tenez, je veux un rapport sur ce dossier avant ce soir, déclara-t-il en repartant vers l'ancien bureau de Walter.
Je jurais silencieusement dans ma barbe, et me saisis du dossier. Celui-ci était en fait une liste de tout l'inventaire du journal, et je compris largement le message subliminal derrière ces quelques fiches. Il allait m'en faire baver pour ce matin, en commençant par me traiter comme un larbin. S'il pensait me déranger à me donner des tâches comme réaliser un simple inventaire, il se fourrait le doigt dans l'œil, cela faisait partie du travail et j'y avais déjà était confronté lors de mon ancien travail au journal de Chicago. En fait, je trouvais cela plutôt enrichissant. Il fallait certes décompter tout le matériel présent, qui était la partie la plus ennuyante, mais il fallait surtout se plonger dans les archives, ce qui permettait de suivre toute l'évolution du journal en question.
Je passais donc le reste de l'après-midi entre bureaux et archives, remplissant au fur et à mesure les fiches d'inventaire. Quand cette tache fut terminée, je décidais de rapporter les fiches d'inventaire à Marcus. C'est donc en entrant sans frapper, sans un bonjour ou un au revoir que je posais les feuilles sur son bureau, avant de repartir.
Je saluais mes collègues d'un signe général de la main, puis me dirigeais vers le parking sous-terrain de l'immeuble. Une fois le moteur allumé, les questions revinrent me causer tourment. Je repensais notamment à mes questionnements en rapport avec la relation que j'entretenais avec Walter, et pris par un élan de résolution, je roulais en direction de l'appartement déterminé à obtenir des réponses claires.
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Séquestrés {Boy x Boy}
General FictionWalter est un journaliste, qui décide de partir en Irak, à la recherche de témoignages. Il part en compagnie de Shane, un des journalistes qui travaille avec lui, et qui possède aussi cette envie de voyage et de vérité. Seulement, aucun des deux n'a...