Fables vertes et contes bleus

Partie 57. Le Kleenex sauvé des eaux

« Le Kleenex® sauvé des eaux »

C'était un ancien kleenex®, par chance devenu marque-page.

Il avait lu tout Shakespeare.

« Être ou ne pas être » n'avait pas été pour lui une question facile.

Puis ce fut une révélation.

Ayant échappé de peu aux effluves nasales et à l'humiliation de la poubelle,

Il en avait conclu qu'il était ce qu'il n'aurait jamais dû être.

Par la grâce d'une sorte de surexistence, il était ...

Non plus mouchoir, mais marque-page : un page pour le lecteur.

De méprisable papier, on l'avait promu au rang de « papier secrétaire »,

Entre les feuillets de papier Bible.

Dignité de fréquenter les plus grands penseurs.

Un jour on glissa dans son repli une petite violette.

Quelle preuve de confiance : il était devenu herbier.

Ils sympathisèrent, il lui raconta le début du livre,

Roméo, Juliette, Hamlett ...

Puis la violette se dessécha, s'endormit, il la secourut de son mieux.

Elle mourut. Il comprit qu'elle avait une âme,

Mais que lui, tout savant qu'il était, n'en aurait jamais.

Il resterait papier.

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« Mouchoir de Précieuse »

Qu'est devenu votre précieux mouchoir, qu'au Grand Siècle vous laissiez choir dans le noir de quelque manoir ?

Il était l'infusoire de vos larmes, le fanion de vos espérances,

Prémices d'amour froissées sur un dallage.

Aujourd'hui le mouchoir n'est que papier,

Simple carré pour rhume ou chagrin express.

Tout est devenu jetable en ce nouveau siècle.

Plus personne ne laisse choir son mouchoir sur le parquet d'un boudoir

Ou le carrelage d'un hall de gare.

Au plus vite il finit dans la poubelle.

Vous n'imaginez pas toutes les romances interdites par l'hygiène

Et le principe de précaution.

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« La Lucidité »

Trouve-t-on de l'acidité dans la lucidité ?

Il est vrai que ce qui est lucide est acide, la vérité n'est pas vraiment sucrée.

Ce qui est lucide finit-il par ronger comme l'herbicide qui s'attaque à l'herbe mauvaise ?

On a connu, en des temps anciens, des régicides dont certains sortaient la tête en moins pour l'orienter vers d'autres cieux.

Il y a toujours eu, en haut lieu des grandes entreprises humaines, des bonnets de nuit, un peu benêts, qui ne voyaient pas venir l'éclatement de la vérité. Ils restaient au lit, gardaient la chambre ... consultaient dans l'antichambre quelques flatteurs hypocrites.

Mais le jour où le soleil les rendait lucides, ils eussent aimé depuis longtemps avoir été extralucides pour sauver leur fauteuil, les apparences, leur tête et leur raison d'être.

C'est la longue Histoire du cheminement de la Vérité vers la lumière.

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