Partie 38. Les filles d'Halloween

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« Les filles d'Halloween »

Je dénombre dans mon quartier beaucoup plus de sorcières que de sorciers. Je le sais statistiquement parce qu'elles sortent toutes pour Halloween. Certains disent que ce sont des enfants. C'est vite dit.

Elles sont petites, grimées, masquées, rient sous cape, sourient et menacent les passants. Je reconnais bien là tous les signes d'authentiques sorcières.

Elles sonnent nuitamment à ma porte, et font mine de quémander des bonbons. Mais c'est un prétexte pour mieux m'observer et savoir ce que contiennent mes placards.

D'ailleurs dès la mi-octobre, elles envoient leurs chats pour me surveiller. Je les vois passer sous ma fenêtre. Ils font mine de flairer les géraniums ou font semblant de s'embusquer pour déloger les souris, en réalité, ils m'épient pour tout raconter à leurs maîtresses traitresses.

Moi aussi, j'ai mené mon enquête et repéré quelques adresses suspectes ; le soir venu, par les fenêtres éclairées, je les surprends parfois. Elles sont assises sagement et semblent étudier des leçons. Mais en observant attentivement, j'ai repéré l'ordinateur connecté, l'écran de leur smartphone qui clignote, leurs écouteurs dans les oreilles : les sorcières communiquent entre elles, ce sont des réseaux d'active sorcellerie. C'est évident !

D'ailleurs la preuve en est, le chat est couché à proximité sur le lit. Parfois il dort, parfois il vient lire l'écran, passe ses moustaches sur le verre. Ce sont des grimoires numériques.

A l'occasion de mes observations, j'ai pu surprendre quelquefois des incantations mystérieuses. J'entendais crier : « lol ! » ou d'imprononçables propos pour le commun des mortels : « mdr ! » Cela me conforta dans mon hypothèse qu'elles répétaient des rituels secrets en vue du sabbat.

Souvent il a lieu dans le quartier même, ces sorcières ne se cachent pas. Je le sais, parce que subitement, certains samedis, des ballons multicolores sont suspendus à une barrière.

C'est un code.

Je l'ai appris, le mot de passe est : « anniversaire ».

En général, dès 14 heures, tout commence par un ballet de voitures, les sorcières sont déposées discrètement, déguisées, pour mieux passer inaperçues. Il faut se méfier car le plus souvent, en ces occasions, pour tromper les populations, elles arborent des costumes de fée.

Vous pensez que je ne suis pas dupe. Leur apparence est inoffensive, mais leurs pouvoirs sont redoutables.

Vous dire ce qui se passe ensuite pendant le sabbat, je ne saurais vous le préciser, car dès 14h15, une déferlante musicale assourdit tout le quartier pendant quatre heures pour couvrir leurs agissements. A 18 heures les voitures repassent, les sorcières repartent en chantant, toute excitées. Tout semble rentrer dans l'ordre.

Mais à ce moment leurs chats entrent en action, et comme la nuit tous les chats noirs et blancs deviennent gris, qu'il y ait lune ou pas, je ne vois pas grand chose.

Je ferme les volets pour ne pas être espionné.

En conséquence, à l'occasion d'Halloween j'ai pris mes précautions : 3 kg de bonbons et 35 sucettes. Je ne voudrais pas faire l'objet d'un mauvais sort dans les visites qui me seront faites. Quand on sait ce que je sais, quand on voit l'état des tuiles de mon toit prêtes à s'envoler, on ne plaisante pas avec cela...


Fables vertes et contes bleusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant