Partie 24. Le philosophe mondain

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« Le philosophe mondain »

Sous le blazer griffé, le T-shirt décolleté montre le bronzage ultramarin ; c'est un philosophe de plateau tv, un philosophe mondain.

Il tient des propos d'estrade : il faut bien vendre son dernier opus quand l'huissier menace ...

et que l'éphémère gloire est passée.

Vieilli, il ne semble plus avoir beaucoup d'idées – en a-t-il jamais eues ? – aussi pauvre en concepts que pourrait l'être un analphabète.

Peut-être a-t-il tout simplement, et depuis longtemps, manqué de raisonnement.

Alors il glose. N'en disons pas plus de mal, un philosophe doit pouvoir manger comme tout homme.Même Tartuffe passe à table.

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« Station-service »

C'est un grand corps métallique qui se dresse sous une haute toiture. Pour l'automobiliste, passer dans ce temple minimaliste est une obligation ; là on honore les énergies fossiles, idoles fortunées dont le rituel demeure immuable.

Tout d'abord, le fidèle s'est incliné pour introduire correctement sa carte bancaire au niveau du coeur. En cas de refus, la carte éjectée ne laisse que peu de temps au mécréant pour disparaître au plus vite.

L'adepte reçu doit suivre scrupuleusement la série d'injonctions que la divinité fait apparaître sur son écran. Phrases sibyllines pour le non-initié : « GO », « ESS95 », « ESS98 », auxquelles il faut répondre immédiatement comme on donnerait spontanément des articles de foi.

Trop de lenteur, une légère hésitation, un manque d'enthousiasme : le refus est immédiat.

Ayant choisi le rituel « GO », « ESS95 » ou « ESS98 », vous êtes sommé de vous servir au plus vite. Un délai de grâce est accordé, le temps de soulever le bras de caoutchouc et d'introduire le pistolet dans le réservoir, tandis qu'une voix de ventriloque sortant du corps métallique vous redit nasillardement ce qui est affiché sur l'écran : « vous avez choisi le super-carburant. » Mais la grâce a son prix, et le prix s'envole.

Soudain le visage de verre s'anime. Deux yeux tournent en clignotant : indication de la quantité. Un peu en dessous, le nez suit le mouvement des yeux : montant du débit.

Il semble qu'ils se livrent à une course poursuite.

La bouche reste statique : prix au litre.

Le réservoir rempli, vous replacez le bras le long du corps métallique, la main au repos sur l'épaule de la pompe.

Le visage s'est immobilisé, impassible et sévère.

Il vous indique dans un rictus de chiffres, le montant astronomique et TTC dont sera débitée votre carte bancaire. Offrande fiscale et pétrolière.

Automobiliste, tu n'as pas pompé impunément le « super-carburant ».

Maintenant, ne t'attarde pas, veux-tu bien circuler et passer ton chemin !


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« Le Shampooing »

Avant tout chose, veillez à bien orthographier le mot « shampooing » correctement.

Son « sh » anglais doit siffler entre les dents : « to shampoo ».

Veuillez répéter ! « to shampoo ».

Ensuite veillez bien aux deux « o » qu'il contient : ce sont les deux yeux du mot « shampooing. Et ce n'est pas anodin ...

Rappelez-vous qu'il faut bien fermer les yeux pour se laver les cheveux.

Car le shampooing est un produit dangereux qui pique les yeux.

Au choix, le dictionnaire vous y autorise, vous pourrez soit vous shampooingnez la tête, soit vous la shampouinez.

Mais une fois l'orthographe choisie, quelle qu'elle soit ... se laver la tête se fait en aveugle.

Au moindre clin d'oeil, vous aurez à souffrir le châtiment de l'aiguille.

Si vous êtes trop maladroit, recourez à la shampooineuse. Experte, elle vous protégera le regard, mais bavarde ou distraite, elle ne fera pas mieux que vous.


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 « Perceptions »

De loin, il me semble apercevoir ma voisine suspendue à l'envers dans son jardin. Travaille-telle dans un cirque ? Aurait-elle appris récemment à faire le poirier ?

De près, je m'aperçois que c'est sa robe suspendue à l'étendage. Tout est en ordre, mais il faut absolument que je retrouve mes lunettes.

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Fables vertes et contes bleusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant