Chapitre 4 : Le Bal

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Les musiciens avaient pris place sur l'estrade de la grande salle du palais. Composé de Métaïrs, de Faës, de Sorciers, de Fils de la Terre, mais aussi de Métis, le groupe faisait l'effet d'un kaléidoscope géant aux couleurs bariolées. Devant eux, plusieurs couples avaient déjà pris place sur l'immense piste de danse. Çà et là, les tâches de couleurs rouges, bleues, vertes, blanches et dorées, donnaient l'illusion d'un champ de fleurs sauvages.

Debout aux bords de la piste, Lihanna remarqua que la majorité des couples qui s'était formée venait de la même principauté. Seuls Iain et Eiline, Kenneth et Erin, Liam et elle, ainsi que quelques personnes venant de Pa'Auro – la principauté libre – formaient des couples mixtes.

Avant la discussion qu'elle avait eue avec sa mère un peu plus tôt, elle ne s'était jamais vraiment posée de questions sur l'organisation un peu rigide du royaume d'Hériale. Les personnes qu'elle côtoyait à Eliëval étaient en grande majorité des Faës, mais elle ne s'était jamais demandée pourquoi elle voyait si peu de personnes des autres Peuples. Après tout, le meilleur ami de son père était un Fils de la Terre et sa propre mère n'était même pas de ce monde, alors la discrimination que pouvait sous-entendre une telle organisation ne lui avait même jamais effleuré l'esprit. Maintenant qu'elle se faisait la réflexion, elle trouvait cela vraiment dérangeant. Pourtant – sans leur chercher des excuses – elle savait aussi que la majorité des Hérialiens n'étaient pas du tout racistes, mais plutôt empêtrés dans le poids des traditions et d'une organisation ancestrale qui les empêchaient de faire changer leur société. Elle se demanda si, un jour, Kenneth et Erin se liaient – se liaient véritablement bien sûr, par amour, pas comme Liam et elle – seraient-ils obligés d'aller vivre dans la principauté de Pa'Auro ou à Hériali, là où les couples mixtes étaient bien acceptés ? Où pourraient-ils choisir de vivre et d'élever leurs enfants à Aëlia, la principauté Faë ou à Guilaro, la principauté des Fils de la Terre ? Seraient-ils rejetés par leurs propres Peuples ?

Elle en était là de ses réflexions inquiétantes sur l'hypothétique avenir de sa sœur et de ses futurs neveux et nièces, quand elle s'aperçut que Liam posait sur elle un regard insistant et se raclait la gorge pour attirer son attention.

— Tu rêves ou quoi ? demanda-t-il d'un ton agacé. C'est le vin Faë qui t'embrouille encore le cerveau ?

Aussi sûr qu'une douche froide, le souvenir de ce qu'elle avait dit quelques instants plus tôt la ramena directement dans la réalité.

— Oh, c'est bon, hein ! rétorqua-t-elle avec humeur. On pourrait passer là-dessus ? Faire comme si je n'avais rien dit ?

Devant le sourire railleur qu'il lui adressa en retour, elle leva les yeux au ciel.

— Admettons que je veuille bien tirer un trait sur ta déclaration, fit-il pince-sans-rire, qu'est-ce que j'y gagne ?

— Je suppose que ma reconnaissance éternelle ne va pas te suffire ?

Mouais... question stupide. Il ne fallait pas être un génie pour deviner la teneur de la réponse qui allait suivre. Elle s'y prépara mentalement.

— Sérieusement, Mac, que pourrais-je bien avoir à faire de ta reconnaissance éternelle ? Tu prends tes désirs pour des réalités, ma parole...

Malgré sa « préparation », Lihanna se sentit bouillir de l'intérieur et le seul « désir » qui s'insinua en elle à cet instant fut de lui mettre son poing dans la figure – ou un bon coup de pied dans l'entrejambe – pour faire disparaître son sourire suffisant. Au lieu de ça, elle prit une profonde inspiration et se força à garder son calme.

— Je m'en doutais, rétorqua-t-elle froidement. Et si je te proposais un marché ?

Croisant les bras sur la poitrine, Liam la détailla des pieds à la tête en ricanant.

— Un marché ? Et quel genre de marché pourrais-tu bien proposer qui puisse m'intéresser ? Tu noteras tout de suite que je dirai non à des faveurs sexuelles en échange de mon silence, ajouta-t-il avec un air dégoûté.

Que... ? Quoi ?! Mais...

L'envie de le frapper là, maintenant, tout de suite, se fit à nouveau cruellement sentir. Mais encore une fois – et, sérieux, elle trouvait qu'elle méritait une médaille – elle s'exhorta à garder son calme. Ce n'était pas du tout le moment de lui arracher les yeux en public. Elle n'avait pas encore obtenu de lui ce qu'elle voulait.

— Rien à voir. Même si toi aussi tu noteras – juste pour info – que mes faveurs sexuelles sont des talents très recherchés. Le truc que ta Brianna fait avec la langue ? Pfff... Je le fais sans doute dix fois mieux qu'elle, ajouta-t-elle blasée.

Devant l'air quelque peu interloqué du jeune homme, elle reprit :

— Bon, passons... Non, le marché que je te propose est le suivant. Pendant un an, tu ne feras jamais allusion au fait que oui, physiquement, je ne te trouve peut-être pas si mal...

— Carrément canon tu veux dire, la coupa-t-il avec un grand sourire.

Oh... Par les Quatre ! Elle n'allait pas y arriver...

— Note encore une fois, précisa-t-elle comme si elle n'avait rien entendu, que je l'ai dit sous l'emprise de l'alcool et que ça n'a donc aucune réelle valeur...

— Mais bien sûr... Tu crois vraiment à ce que tu dis ou tu es réellement idiote ?

Lihanna continua de l'ignorer – avec beaucoup de difficultés – et poursuivit :

— Bref. Si tu n'utilises pas cette regrettable erreur de langage contre moi durant mon année d'apprentissage et que tu me fiches la paix... en échange, Ruadhan... j'aurai une dette envers toi.

Pendant quelques instants, il la fixa comme si elle était devenue complètement demeurée. Puis, peu à peu, toutes les éventualités offertes par un tel marché commencèrent à se bousculer dans son esprit.

Parce que – Lihanna le savait – dans le royaume d'Hériale, un accord comme celui-ci n'était pas à prendre à la légère. S'ils scellaient ce pacte, elle devrait le respecter sous peine de sacrément morfler.

Liam devait avoir fini de peser le pour et le contre, car un sourire carnassier s'épanouit alors sur son visage.

— Tu sais que je pourrai te demander n'importe quoi, Princesse ? susurra-t-il en se rapprochant d'elle.

Euh... Gloups ?

Elle aurait peut-être dû y réfléchir à deux fois avant de lui proposer ça. Mais elle se ressaisit rapidement – Liam ne lui faisait pas peur, bon sang ! – et pour toute réponse, elle hocha la tête.

Parce que pour l'instant, son seul désir était qu'il la laisse tranquille pendant son année d'apprentissage. Elle s'en mordrait peut-être les doigts plus tard mais, à cet instant, seul comptait son avenir proche.

— Très bien, dit-il en lui tendant la main, marché conclu, MacCormac.

Soulagée qu'il accepte l'accord, ce fut sans réfléchir qu'elle saisit sa main pour accepter ce qu'elle appellerait plus tard sonpacte avec le diable.

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ORCAM - Tome 1 : Automne (1ère partie)*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant