Chapitre 12 : Comme un air de famille

365 64 1
                                    

— On ne peut pas la laisser ici, Père !

La jeune fille qui venait de s'exprimer était en train de désigner une forme inerte qui reposait sur un autel de pierre. Elle semblait en colère et ses immenses yeux gris parés de reflets violets étaient embués de larmes. L'homme auquel elle s'adressait baissa la tête en signe d'abattement et secoua la tête.

— Mais nous n'avons pas le choix, Enya, répliqua-t-il d'une voix triste mais décidée. Il faut qu'elle reste ici, sinon, tout sera perdu.

— Mais, Père... insista Enya

L'homme leva la tête vers sa fille et la fit taire d'un regard.

Ses yeux étaient de la même étrange couleur gris-mauve, mais ils brillaient d'une lueur déterminée.

— Tu sais que c'est notre seul espoir, tonna-t-il d'une voix forte. Elle doit rester ici pour que la prophétie s'accomplisse ! Ta sœur sait quel est son devoir ! Et elle l'a accepté !

— Mais, ses enfants...

La jeune fille semblait vraiment désespérée et sa voix tremblait en essayant de maîtriser ses sanglots.

— Les triplés seront en sécurité sur Terre, Enya, reprit-il d'une voix plus douce. On leur a déjà fait franchir le portail. On veillera sur eux, ma chérie. Eiliana le sait, tout comme elle sait aussi que nous n'avons pas le choix...

Le lieu dans lequel ils se trouvaient ressemblait à une immense grotte et il semblait y régner un froid polaire. Le père et la fille étaient enveloppés dans de grands manteaux de fourrures, tout comme la jeune fille qui reposait sur l'autel.

— Mais on a le choix ! s'emporta à nouveau Enya. On a le choix de recommencer notre vie à zéro sur Terre, le choix de ne jamais revenir mais de rester ensemble, en famille...

L'homme sembla hésiter quelques instants et la jeune fille se rapprocha de lui pour lui toucher le bras.

— Père, reprit-elle d'une voix douce, cette guerre était une erreur. Nous avons commis une erreur. Mais la vie nous donne une seconde chance ! Partons tous les trois sur Terre et rejoignons les triplés. Refaisons notre vie dans notre nouveau monde et oublions celui-ci. Pourquoi ne pas profiter de ce qui nous est offert ?

— Parce qu'Orcam est notre monde ! intervint soudain une voix forte chargée de colère. Il est hors de question que nous le leur laissions !

Surprise, Enya se tourna vers l'entrée de la grotte et aperçut l'homme qui venait de parler. Ses yeux et ses cheveux étaient noirs comme la nuit et ils brillaient d'une lueur mauvaise.

— Toi ! s'exclama-t-elle avec colère. C'est à cause de gens comme toi que nous devons quitter Orcam en premier lieu ! Si tu n'étais pas si arrogant, tout cela ne serait jamais arrivé !

L'homme eut un rictus de mépris et il avança un peu plus dans la grotte. C'était un homme grand et bien bâti, à la beauté froide, qui inspirait plus la crainte que la sympathie. Il fixa la jeune fille quelques instants puis se tourna vers l'homme à côté d'elle.

— Votre majesté, dit-il d'une voix amusée mais pleine de menaces, votre fille s'égare et je commence à me demander si elle est vraiment la personne adéquate pour...

— Cela suffit, Evan ! tonna l'homme qui était roi. Ma fille fera ce qu'elle a à faire. Tout comme nous tous ! Je ne vous permets pas de la menacer !

Evan frémit légèrement et il sembla un instant qu'il allait répliquer. Mais au lieu de cela, il s'inclina devant le roi en signe de soumission, une lueur mauvaise continuant de brûler au fond de ses yeux noirs.

— Toutes mes excuses, roi Fergal, dit-il sur un ton doucereux. Mais ma belle-sœur vient juste de tenir des propos qui me semblent être de la trahison envers notre Peuple et je ne suis pas sûr que lui confier la garde de mes enfants soit une bonne idée...

Le roi se raidit et ses yeux étincelèrent de colère.

— J'ai dit, ça suffit, Evan ! Vous vous rendez bien compte qu'Enya parle sous le coup du chagrin ! Il s'agit ici de sa sœur, votre propre femme je vous signale !

Un éclair de colère passa dans les yeux sombres d'Evan.

— Si vous croyez que laisser Eiliana ici ne me brise pas le cœur à moi aussi ! Mais je sais aussi que la destinée de notre Peuple compte bien plus pour elle que sa propre vie ! Je ne tolèrerai donc pas que votre fille mette en péril ce pour quoi nous avons œuvré jusqu'ici et l'avènement de notre race !

Les deux hommes s'affrontèrent du regard quelques instants.

— Enya ne trahira jamais son Peuple, reprit froidement le roi Fergal. Elle sait très bien ce que nous devons faire et elle le fera.

Il jeta un rapide coup d'œil à sa fille qui ne bronchait pas. Elle serrait les poings et ses mâchoires se contractaient, mais elle ne fit aucun commentaire.

— Si vous le dîtes, Votre Majesté... capitula Evan en fixant sur sa belle-sœur un regard plein de haine.

— Je le dis et je l'affirme, mon gendre ! Enya élèvera l'un de vos enfants. Je ferai de même avec le deuxième et vous avec le troisième. Chaque membre de leur descendance aura un représentant de notre Peuple pour gardien et ce jusqu'à ce que la prophétie s'accomplisse et que des triplés de Sang-Mêlés voient le jour.

Il fixa sur les deux autres un regard qui ne supportait aucune protestation et tous deux hochèrent la tête en signe d'acceptation.

— Bien, reprit le roi d'une voix ferme. Faites-lui vos adieux maintenant. Il faut nous dépêcher, la malédiction aura bientôt recouvert entièrement notre île.

Enya et Evan s'exécutèrent à tour de rôle en serrant dans leurs bras le corps inerte d'Eiliana.

Puis Fergal s'avança à son tour vers sa fille inconsciente et lui déposa un baiser sur le front.

— Je suis tellement désolé de devoir te laisser, ma chérie, lui murmura-t-il alors qu'une larme coulait sur sa joue. Mais tu es la seule chance pour notre Peuple de revoir un jour Orcam et de reprendre sa place dans notre monde. Ta mère serait fière de toi, ma princesse, tu es aussi forte qu'elle. Nous veillerons sur tes descendants et un jour, ils te libèreront.

Il serra encore quelques secondes le corps d'Eiliana dans ses bras, puis il fit appel à son pouvoir.

Peu à peu un froid encore plus intense pénétra dans la cavité et un cercueil de glace vint entièrement recouvrir la jeune fille.

Soudain, la grotte dans laquelle ils se trouvaient se mit à trembler et un grondement sinistre retentit.

— Dépêchez-vous ! cria-t-il à l'attention des deux autres. Il faut sortir d'ici et franchir le portail, tout de suite !

Ils sortirent de la grotte juste à temps pour voir l'entrée de celle-ci s'effondrer, scellant ainsi le destin de leur Peuple dans une prison de glace.

Juste avant de franchir le portail à la suite de son gendre et de sa fille, le roi Fergal se retourna une dernière fois pour jeter un dernier regard à ce monde qu'il quittait pour toujours. Ses beaux yeux couleur lavande s'embuèrent quand il remarqua que tout, autour de lui, était déjà en train de se couvrir de givre.

— Adieu Eiliana, adieu Orcam, murmura-t-il encore une fois, juste avant de tourner les talons et de franchir le portail qui menait vers la Terre.

****

ORCAM - Tome 1 : Automne (1ère partie)*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant