Vert d'eau

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Le temps répare les blessures. C'est ce que ma mère m'a dit, lorsqu'elle est sortie de ma chambre, en ce jour de la Saint-Valentin. J'étais assez sceptique, de prime abord, parce que j'avais le coeur brisé, évidemment. J'avais donc commencé à éviter mon amie, séparant notre groupe en deux parties distinctes pour le reste de l'année scolaire. Ca avait été horrible, surtout au moment de passer les concours d'entrée pour les Grammar School, pour ceux et celles qui voulaient changer, exactement comme moi. Le programme sportif de notre école se résumait à du volley ball, que j'exécrais du plus profond de mon être — une sale histoire de balle prise sur le nez et qui m'avait fait saigner. Clear Lake avait été toujours dans mon viseur, parce qu'ils proposaient un programme athlétique des plus alléchant. J'avais même obtenu une bourse artistique alors du côté de mes parents, c'était tout bon. 

Mais j'avais eu la mauvaise surprise de retrouver Daisy, que je souhaitais par dessous tout éviter, dans la même salle que moi, à passer les mêmes épreuves que moi, pour la même Grammar School que moi. J'étais devenu plus blanc qu'un fantôme et je m'étais focalisé sur mes maths. En sortant, elle avait voulu m'adresser la parole, mais je l'avais évitée comme la peste.

Je n'ai repris le contact qu'il y a deux semaines, juste au début des vacances. Je savais qu'elle me laissait le temps, le temps de l'oublier, le temps de passer à autre chose, le temps qu'elle redevienne seulement mon amie. Mais je n'avais pas eu le temps de refaire confiance à l'amour, ou même à la séduction. Pour moi, tout ça craignait encore. Craignait particulièrement.

Même maintenant, en plein été, alors que nous allons à la plage avec Daisy — nous avons la chance d'habiter non loin de l'océan — la vue de tous ces maillots de bain ne me fait pas le moindre effet. Je suis fermé comme les huitres que nous trouvons sur les rochers. Le seul avantage avec ces sorties, c'est que nous pouvons revoir nos anciens amis. Et ça, je ne l'échangerais pour rien au monde.

— Sheridan ! T'es venu, finalement ! Ça fait plaisir de te voir ! hurlé-je en apercevant un petit groupe avancer vers nous.

La rose a attaché ses cheveux en une queue de cheval, placé des lunettes de soleil sur ses yeux. Une robe blanche la protège des regards douteux, le temps qu'elle entre dans l'eau avec le reste de la troupe.

— C'est moi qui ai la berlue ou il y a quelqu'un d'autre avec eux ? Ils ne sont pas quatre, mais cinq.

En effet, une cinquième personne est en arrière du groupe, les cheveux d'un rouge flamboyant et les yeux baissés. Je n'ai jamais vu une couleur aussi éclatante, même sur Daisy juste après son passage chez le coiffeur.

— Bah, plus on est de fous, plus on rit, n'est-ce pas Valentin ?

J'acquiesce et m'approche de toutes ces personnes. Les salutations laissent place aux présentations d'avec cet inconnu, qui ne le reste pas longtemps.

— Il est dans notre classe, à Sheridan et moi, commence Harold. On a sympathisé quand on a passé les examens d'entrée, pour le lycée Sud et puis, je sais pas, on a gardé contact. Il ne savait pas quoi faire cet été, vu que son frère et sa sœur sont partis sans lui au Pakistan, leur pays natal. Alors on s'est dit qu'on pouvait l'inviter et l'intégrer peut-être à notre petite bande.

— Je me nomme Curtis. Ravis de faire votre connaissance. J'espère que l'on s'entendra bien.

Il relève la tête, croise mes pupilles. Les siennes sont vertes d'eau, presque turquoise.

Dieu que c'est beau. 

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant