Vert cactus

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— Tu es bien apprêté, mon fils, tu as rendez-vous avec quelqu'un ?

Je me fige comme un cactus et me retourne d'un seul bloc vers mon père qui vient de balancer ça comme si de rien n'était. Je le fixe droit dans les yeux et tords mon sourire comme un torchon.

— Est-ce que tu as parlé avec maman ?

— Il se pourrait bien que oui.

Je sens des épines traverser le tissu de mon t-shirt, mon préféré. Je vais devenir aussi vert qu'une plante du désert.

— Ah.

— J'espère que ça se passera bien en tout cas. C'est drôle de te voir faire autant d'effort. J'ai l'impression de te revoir à la Saint-Valentin en février.

— Mais... ça... te dérange pas ? Je veux dire... si maman t'as parlé de...

— Hein ? Me déranger ? Mais qu'est-ce que tu me chantes là ? Tu fais ce que tu veux ! Je suis tout à fait d'accord avec elle sur ce qu'elle t'a dit. Je ne te demande pas de tout me dire. Mais s'il se passe quelque chose d'important, n'oublie pas d'en parler à ton papounet, n'est-ce pas ?

Les épines tombent d'un seul coup et je vais serrer mon père dans mes bras, accrochant le bleu de son haut.

— Vous êtes des parents beaucoup trop géniaux en fait. Et dire que j'avais peur de vous en parler. Ce que je suis cloche quand je m'y mets.

— Non, t'es pas cloche. Je pense que tu as dû entendre de sales histoires sur ce genre de révélations, même si tu n'arrives pas encore à te définir toi-même. Le monde est cruel. C'est soulant, mais il faut faire avec.

Je le fixe d'autant plus, levant un sourcil.

— Depuis quand tu sais tout ça ? On n'en a jamais parlé à la maison.

Il me sourit de toutes ses dents et pose ses mains sur mes deux épaules.

— Eh bien, parce que mon premier amour était un garçon. J'avais à peu près ton âge, je crois, peut-être un peu plus âgé.

— Et maman le sait ?

— Que je suis bisexuel ? Bien entendu. On a parlé de nos passés respectifs quand on s'est rencontrés. Alors, forcément, le sujet est arrivé sur la table. Elle n'a pas fait de remarques, contrairement à d'autres femmes avec qui j'ai pu passer la soirée. C'est à ce moment-là que je me suis dit qu'elle n'était pas comme les autres.

— Oh bah, fichtre. Sacrées révélations, dis-moi. Mais bon, ça explique un paquet de choses, en effet.

— Comme le fait que je te comprends si bien, mon fiston. Allez, file retrouver ce fameux Curtis et amuse-toi bien.

— Et toi, passe un bon moment avec maman ! Je vous aime les parents, vous êtes vraiment trop top. Enfin, sauf que vous essayez de comploter contre moi.

— Mais c'est un jeu qu'on adore, avec Salomé. Alors on ne va pas arrêter de sitôt de te faire tourner en bourrique, mon fils !

Et je passe la porte avec un immense sourire aux lèvres. Je ne suis plus du tout un cactus. 

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant