Rose cerisier

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Ce matin, en éternuant, je me dis que le temps est passé drôlement vite. Déjà l'hiver, déjà décembre. J'éternue une nouvelle fois, sous les sursauts de Daisy.

— Tiens, tu me fais de la peine, dit-elle en me filant un mouchoir. C'est ça de se balader sans écharpe et sans bonnet. Tu chopes la crève.

— C'est pas ma faute ! C'est Curtis qui l'avait la semaine dernière et il... atchoum ! me l'a refilée. Et comme monsieur est guéri, monsieur ne veut plus m'approcher. C'est absolument pas juste.

— T'as pas intérêt à te plaindre d'avoir un copain et de pouvoir lui rouler des pelles. Sinon, je te fais connaître toute la douleur de mon célibat.

Elle me présente son poing serré dans son gant rose et j'avale difficilement ma salive. Quand elle s'y met et qu'elle est décidée, Daisy fait drôlement peur.

— D'ailleurs, comment ça va, vous deux ?

Je lève les yeux qui se plantent dans le blanc du ciel d'hiver. Ce n'est pas une question piège ou une question bizarre. C'est juste que je ne sais pas comment bien y répondre.

— C'est comme une montagne russe, tu vois. Ça fait de sacrées montées et après, ça redescend abruptement. Pour l'instant, je supporte, mais à un moment, je vais finir par être malade. Parce que... il y a des jours où il est chou et tendre, voir même... entreprenant. Et puis, d'autres où j'ai peur qu'il me crache son venin à la figure si j'ose l'approcher. Y a des après-midis où on se regarde dans le blanc des yeux et on ne fait rien.

— Tu sais Valentin, c'est pas parce que vous êtes un couple que vous êtes obligés de vous embrasser tout le temps. Y a pas que ça dans la vie.

— Ah, mais Daisy, quand je dis ne rien faire, ce n'est même pas discuter. C'est vraiment... rien. Chacun fait son occupation dans son coin, il lit ou il joue sur son téléphone. Lorsque je propose un jeu de société, il fait tout hyper mécaniquement. Comme un robot. J'ai l'impression que je le soule rien qu'avec ma présence.

— Tu lui en as parlé de ça ?

Je baisse la tête et regarde mes pieds qui avancent sur le béton décoloré de la route vers le lycée. J'ai un peu honte de mes réactions.

— Non. J'ose pas. Depuis le coup de mon anniversaire, je suis la personne la plus aimable de tous les temps. Mais...

Je relève la tête vers elle. J'ai envie de tout lui confier, tout lui dire, même si c'est difficile. Parce que je sais qu'elle m'écoutera et qu'elle me consolera.

— Je n'arrive pas à tomber amoureux, Daisy. Ça ne marche pas, ça ne veut pas. J'ai un peu cherché sur internet, au bout de quatre mois, les sentiments devraient pointer leur bout du nez. C'est ce qu'on dit sur les forums qui traitent du sujet. Mais... mais ça ne vient pas. Parce qu'il y a cette horrible sensation au fond de moi.

— Celle que tu le soules ? Celle qu'il a honte de toi ?

— Ouais, expiré-je. Ouais, c'est ça. C'est un gros mélange de ce genre. Je ne veux pas le forcer à rien et j'ai tout le temps l'impression de râler pour tout. Tu sais, comme pour mon anniversaire. L'intérieur de moi ne peut pas comprendre que sa vie soit différente de la mienne et qu'il n'a pas la même relation avec sa famille que moi. Mais c'est en train de me bouffer et je vais devenir imbuvable à un moment.

— Il t'a déjà dit quelque chose à toi ?

— La semaine dernière. Il allait repartir de chez moi et il m'a lâché une bombe en pleine tronche. Comme un bombardier.

Daisy écarquille les yeux et je secoue la tête, les mains devant mon visage. Je suis allé un peu trop loin, je crois.

— Il ne m'a pas fait mal, t'inquiète ! Il m'a simplement sorti qu'il m'aimait. C'est ça, la bombe.

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant