Rouge tomate menteuse

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Il y a un an, je partais de la maison en me disant que j'allais faire ma déclaration à ma meilleure amie et que j'allais filer le parfait amour avec elle. Je rêvais de ses chocolats et de ses lèvres chaudes sur les miennes. En me regardant dans le miroir aujourd'hui, je me dis que je n'ai pas vraiment changé, mais qu'à l'intérieur, c'est différent. Je suis entièrement et pleinement un arc-en-ciel, je m'accepte comme je suis. J'ai quelqu'un dans ma vie, même si honnêtement, je ne sais pas ce qu'il fait encore là. J'ai des amis merveilleux. J'ai des parents absolument géniaux que je n'échangerais pour rien au monde.

— Alors, quoi de beau aujourd'hui, mon fils ? Une soirée en amoureux ?

Et comme l'année dernière, ma mère est en train de se remettre du rouge à lèvres, en faisant des grimaces devant la glace. J'ai envie d'éclater de rire pour qu'elle dérape encore une fois.

— Ça m'étonnerait. J'ai déjà pas eu le droit à Noël, alors la Saint-Valentin, ça vaudrait à demander le ciel, les nuages et toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Un machin un peu impossible.

— Tout se passe bien entre vous ? s'inquiète-t-elle.

— Pour lui, comme sur des roulettes. Il ne voit pas le problème. Donc j'ai fini par rentrer dans son petit jeu. A faire comme si tout allait bien entre nous. Sérieux, je crois que c'est ma trouille de la solitude et mon optimiste débile qui me fait rester avec lui.

— Je suis désolé pour toi mon chéri... je pensais que tu étais heureux.

Je me braque un peu, mais me reprends bien vite. Je vais glisser un baiser sur sa joue en répliquant.

— Je le suis, t'inquiète pas. C'est juste que c'est pas grâce à l'amour romantique, mais à celui de mes amis et du vôtre, qui sont carrément tout aussi importants. J'ai une autre manière de le voir.

Et sur ces mots, n'attendant pas le reste, je passe la porte et me retrouve nez à nez avec quelqu'un qui me surprend à un point plutôt exceptionnel.

— Curtis ? Mais qu'est-ce que tu fiches ici ?

Je crois que j'ai été un peu trop franc dans ma manière de parler, au vu de sa façon de me fixer, les yeux menthe à l'eau écarquillés. Il tient un sachet du bout des doigts, engoncé dans son uniforme d'hiver. Ça m'embête plus que tout, mais le voir fait démarrer mon cœur au quart de tour. Fichu optimisme.

— C'est la Saint-Valentin et comme j'avais du temps ce matin, je suis venu te donner ça et te demander quelque chose.

Il me tend le paquet, qui sent fort le chocolat. Je me régale déjà et je m'avance légèrement vers lui. Je m'attends à ce qu'il recule, comme à chaque fois, mais c'est tout l'inverse. C'est lui qui franchit les derniers espaces entre nous, non sans demander s'il en avait l'autorisation. J'ai l'impression que ça fait mille ans qu'on ne s'est pas embrassé et ça fait du bien. Presque trop.

— Alors, c'est quoi, cette fameuse demande ?

— On peut se voir ce soir ? J'ai dit à mes parents que j'avais un devoir à faire et que je dormais chez les amis en question. Ils me font parfaitement confiance.

— Euh... deux petites secondes, je vais en parler avec ma mère.

Complètement paniqué, je passe à nouveau la porte et la claque si fort que ma pauvre maman se retrouve avec un trait sur le visage, mais cette fois-ci de crayon pour les yeux. Ça lui fait des pupilles de chat.

— Alerte internationale, hurlé-je presque en français pour qu'elle seule me comprenne. Il a envie de venir ce soir.

— Tu vois, quand tu dis que c'est nul d'être optimiste, les gens te prouvent le contraire. Il n'y a pas de problème pour l'avoir ici pendant la soirée, si c'est la question que tu te poses. Surtout que ton père et moi, nous allons manger au restaurant.

— Il veut dormir, maman. Dormir. Avec moi. Dans ma chambre. Tu penses qu'il pense qu'on va... enfin, tu vois ce que je sous-entends ? Vu que c'est un jour spécial et tout...

— Je ne suis pas dans sa tête, mais, sache que tu ne lui dois rien. Rien du tout. Il n'a pas à t'obliger à faire quoi que ce soit parce que vous êtes ensemble depuis un certain temps ou parce que c'est une fête aujourd'hui ou même parce que c'est la première fois qu'il vient à la maison. Tu ne dois surtout pas te forcer. Mais si tu en as envie, n'oublie pas de te protéger.

Je rougis des pieds à la tête et ne sais absolument plus où me mettre. Je suis la définition même de la gêne.

— Je... merci de me rassurer. Mais du coup, c'est okay ?

— Tant que vous vous couchez à une heure décente et que vous ne nous réveillez pas en discutant à pas d'heure, tout va bien de mon côté.

Nouveaux rougissements, me revoilà comme une grosse tomate immangeable.

— D'accord. Je... je vais lui dire du coup.

J'essaie de souffler pour me calmer, mais ça ne marche pas du tout. J'ai juste l'impression d'empirer les choses. Il va vite se rendre compte de ce qui arrive, avec mes panneaux lumineux sur ma tête.

— Alors ? C'est bon ? m'interroge-t-il immédiatement après que j'ai passé la porte.

— Oui. Tu n'auras qu'à venir au lycée après tes cours, comme tu sors avant moi. Enfin, sauf si tu ne veux pas qu'on soit vus ensemble, à ce moment-là, on se retrouvera ici.

— Je n'ai pas de problème à ce qu'on fasse le chemin tous les deux. C'est agréable de marcher avec toi.

Il sourit et je fonds. Je suis un être faible. Parce que même si je ne suis pas amoureux, même si je sais qu'une part de lui me ment, il est toujours aussi mignon et adorable. Et ça me désespère. Et comme pour confirmer mes dires, il se rapproche une nouvelle fois de moi et me roule une pelle d'enfer, avec la langue et tout le reste. Qu'est-ce qu'on a fait de mon petit ami pour qu'il se comporte comme ça ?

— J'ai hâte d'être à ce soir alors. Et Valentin ?

— Oui ?

— Je t'aime.

J'écarquille les yeux. Ah, ça faisait bien longtemps qu'il me l'avait pas sorti celle-là. La grande déclaration.

— Moi aussi.

Je ne suis qu'une tomate menteuse. 

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant