Noisette

322 60 20
                                        

Passer ses journées à lézarder sur une serviette de bain sous un soleil de plomb est vraiment le propre de l'été — et nous avons de la chance, il ne fait pas moche. La baignade est terminée pour moi — je me suis endormi beaucoup trop tard hier soir — et la sieste m'appelait. Je n'ai donc pas résisté, glissant écouteurs, chapeau de paille et lunettes de soleil sur moi pour profiter un maximum. J'ai aspergé un peu de crème solaire pour ne pas ressembler à une écrevisse sur le point d'être cuite et j'ai fermé les yeux en me laissant bercer par la musique.

La belle vie a continué sans que je compte les minutes, jusqu'à ce que je sente du froid sur mon corps et que je me lève d'un seul coup, cherchant l'auteur de cette farce. Mais l'auteur prend ici un e, dans la présence de Kat, qui est littéralement en train de se moquer de moi.

— Vraiment désolée, Valentin, mais c'était trop tentant. Surtout que tu dois bien avoir chaud maintenant donc, je me suis dit que c'était le meilleur moyen de te refroidir un bon coup.

— Il faudrait arrêter de trainer avec moi de temps en temps. Je déteins trop sur toi.

Elle rit et observe les autres s'amuser dans les vagues. Son visage se baisse un peu, les mains se crispent sur le sable. Je m'assieds pour être plus confortablement installé. Je l'entends respirer fortement.

— Je peux pas faire ça. Vous êtes mes meilleurs amis. Sans vous, ça ne serait pas pareil.

— T'es sûre que ça va, Kat ?

Elle se retourne doucement vers moi. Ses beaux yeux bruns sont emplis de larmes.

— Oui, pourquoi tu me poses cette question ?

Ses lèvres tremblent et elle se jette dans mes bras. Sa peau froide rencontre la mienne bien plus chaude. Le choc n'est pas violent du tout. Ce qui m'importe, c'est toute cette eau qui dégouline sur mon épaule.

— C'est juste que parfois... je me dis que vous seriez mieux sans moi. Le groupe serait moins... froid. Tu sais, comme avant. Et puis... mon père a parlé d'une mutation à Liverpool et... il m'a demandé si je l'accompagnais ou si je restais à l'internat du lycée. Et je sais plus quoi faire. Parce que...

— Harold s'y trouve aussi et que vous vous y croiserez. C'est ça qui te gêne ? C'est pour ça que tu me sors des inepties pareilles ?

Elle s'écarte de moi, renifle. Ses cheveux viennent coller à sa bouche, elle les dégage d'un coup de main habile.

— Je suis presque certaine que toi aussi, t'y as pensé à un moment. Bien avant de te prendre ce râteau de Daisy. C'est pour ça que t'as pas demandé le même lycée que nous. Parce que tu croyais qu'on allait tous se suivre et que notre petit groupe continuerait de vivre sans toi.

Elle sourit réellement, à travers les larmes. Même si son visage est rouge d'émotions, elle est vraiment jolie.

— T'es le ciment de tout ce bazar Valentin. C'est par toi que tout tient ensemble. C'est toi qui nous as réunis alors... on sait pas trop ce qu'on ferait sans toi. Je sens que ça va me manquer de ne plus te voir courir dans les couloirs en riant.

Je baisse la tête, honteux. Cette fille a raison. Comme bien souvent, en tout cas.

— J'pensais pas que celle que je voulais à tout prix éviter allait me suivre. Je lui en ai voulu.

— Comment tu fais pour gérer tout ça ? Avec Daisy j'entends.

— J'me répète que c'était facile de la voir à nouveau comme mon amie, mais c'est un sacré mensonge. C'était super compliqué, surtout quand elle parlait de ce fameux Tanaka. Mais je t'avoue que je redoute un peu le jour de la rentrée. Elle va sans doute vouloir le chercher partout.

— J'me pose toujours la question vis-à-vis de Harold. Tu sais... je pense qu'il a compris ce qui se tramait de mon côté et ça doit le déranger. Et crois-moi, moi aussi j'aimerais appuyer sur le bouton-stop de mes sentiments. Mais ça ne marche pas comme ça. À chaque fois qu'on se voit, que nos pupilles se croisent, c'est le festival. Vraiment, l'amour ça craint parfois.

Et là, je ne peux pas vraiment m'en empêcher. J'éclate de rire sous les yeux ébahis de mon amie. Je lève la tête vers le ciel pour me calmer et je m'explique.

— C'est ce que j'ai dit le jour de la Saint-Valentin. Et depuis, ça ne passe pas. Je trouve toujours que ça craint. Même si mes sentiments pour Daisy ont fini par disparaître. J'ai l'impression d'être une sorte de machine qui ne ressent plus rien. Comme si j'étais incapable de retomber amoureux. Je sais que c'est pas la mer à boire, mais moi, ça me fait vraiment chier.

— T'étais une machine tout à l'heure avec Curtis ?

Je sursaute comme une sauterelle surprise. Mes yeux s'écarquillent comme des billes et je rougis de la tête aux pieds — et ce n'est pas l'effet du soleil.

— Hein ? Qu-qu-comment tu sais ?

— Je l'ai lu sur ton visage. T'es un livre ouvert quand on fait attention à toi, Valentin. Et ça se voyait très clairement qu'il y avait un truc qui se tramait en toi.

— Est-ce que tu trouves que c'est pas net ? lâché-je de but en blanc.

— Pas du tout. C'est cool que tu sois comme ça. Et puis... je vais pas te juger sur ça. C'est débile.

— Kat ?

Elle sourit discrètement, ayant complètement effacé ses larmes.

— Oui ?

— Tu penses que les autres ont compris la même chose que toi ?

— Non, j'ai pas l'impression. Ils étaient un peu trop occupés. Mais le principal intéressé ne semble pas indifférent. Je l'ai vu poser ses yeux plusieurs fois sur toi.

— Parle pas de ses yeux. À chaque fois que je ferme les miens, je revois leur couleur. Sérieux, comment c'est possible un vert aussi... pur ?

Sitôt cette réplique dite, je me boucle les lèvres de mes deux mains et fixe mon amie qui sourit.

— Bon sang que je suis niais. T'as rien entendu hein ?

— Promis juré.

Nous rions tous les deux, laissant nos regards se promener sur les vagues et leurs habitants.

— Plus sérieusement, Kat, j'aimerais vraiment que tu gardes ça pour toi.

— Ça sera notre secret alors !

Elle se tourne vers moi, me présente son petit doigt. Je le serre au mien pour sceller la promesse. D'un même mouvement, nous nous allongeons sur ma serviette trop grande et fixons le soleil haut dans le ciel. Les rayons rendent ses pupilles noisette.

— Harold va me tuer s'il apprend un jour ce que je vais te dire, mais... tu lui plais et pas qu'un peu. Il me l'a annoncé un jour, dans un moment assez similaire à celui-ci. Je crois... qu'il faut que tu te lances Kat. Parce que vous êtes très beaux tous les deux et que vous allez bien ensemble. Ça me fait mal de te voir dans un état pareil pour ça.

— C'est sincère ?

Les noisettes sont tournées vers moi. Elles sourient de toutes leurs forces.

— Complètement. Je suis à fond derrière toi, ma vieille.

Elle me donne un coup de coude dans les côtes et je ne fais aucune remarque.

— T'es quelqu'un de bien Valentin. J'espère que t'en douteras jamais.

— J'espère aussi. Et je te renvoie le compliment. Je suis super content d'être ton ami.

Cette fois-ci, les noisettes sont éclatantes. Comme un soleil.

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant