Brun-doré

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 Je suis sur le chemin vers chez Curtis. J'ai fait le chemin sur internet et j'ai imprimé le papier, que je tiens fermement en main. Je dois être en train de suer à grosses gouttes dans mon t-shirt orange, ça doit être affreux et je dois être rouge alors qu'il fait bon dehors. Je suis un cliché sur pattes, c'est impressionnant. Pour me calmer, j'essaie de me répéter.

— Donc, tu sonnes, tu souris, tu essaies de ne pas rougir comme une grosse tomate et ça va très bien se passer. Vous y allez en ami. Ami. Et en plus, il y aura Sheridan pour te seconder, vu qu'il déteste la musique qui passe au festival.

Et en relevant la tête, je me rends compte que j'y suis. Je prends une immense respiration et je frappe quelques coups à la porte bien verte. J'aime beaucoup la couleur. Ça me rappelle celle de chez moi, quand mon père s'est mis en tête de peindre la nôtre en rouge. Je l'avais aidé avec les pinceaux, c'était l'un des meilleurs moments de mon été. On avait fait une bataille juste après, et ma mère nous avait rejoints. On avait fini tous les trois rouges comme une cerise en pleine saison. C'était époustouflant.

— Allo ? Valentin ? Ça fait deux minutes que je t'ai ouvert et que tu regardes béatement un point dans le vide. Tout va bien ?

— Ta porte est super belle, elle va grave bien avec la mienne, déblatéré-je d'un coup, sans réfléchir à ce que je raconte.

— Ah, je m'attendais à ce que tu complimentes je ne sais pas, la couleur de mon t-shirt. Mais alors la porte, c'est extrêmement troublant. Tu vas bien, Valentin ?

Il est juste en face de moi, les yeux dans les yeux. Le cœur repart à toute vitesse et moi, je réapparais sur terre. Toute sa personne est tentante, maintenant que j'ai mis des mots sur ce qui se passe sur moi. J'ai un vilain béguin pour lui.

— Hein ? Euh, ouais. Je suis désolé, j'étais complètement dans la Lune. Ça m'arrive un peu trop souvent en ce moment. Surtout quand je suis avec toi en fait.

— La Lune, c'est sympa. Mais la prochaine fois, tu me laisseras venir avec toi ?

Il sourit magnifiquement et je fonds d'autant plus. Qu'est-ce que je suis niais.

— Je... Comme tu veux. Mais tu sais, t'es pas obligé de rentrer dans mes délires. Quand je m'y mets, je suis super bizarre en fait. Je dirais même que je fais peur.

— Eh bien, nous ferons peur à deux. Ça ne me dérange pas du tout.

— Ah, bah, c'est chouette alors, rié-je nerveusement.

Je suis tellement mal à l'aise que je ne trouve pas de couleur qui me correspond bien. Je passe du rouge au blanc puis au bleu de peur et au vert d'angoisse en quelques secondes. Je suis un melting pot. Comme la palette d'un peintre, comme celles de mon père.

— J'aime beaucoup la couleur de ton t-shirt. J'ai cru comprendre que tu adorais le orange.

— Ouaip ! C'est ma couleur, comme dans Marato, le manga ! Et toi ? Pourquoi le marron et le doré ?

— Je les aime beaucoup et tout le monde me dit que ça me va bien. Alors, je ne me gène pas.

Je le fixe de haut en bas. Son pantalon beige est tout simple, dans un tissu que je ne parviens pas à reconnaitre. Le t-shirt est un peu plus stylisé, avec des sortes d'arabesques tourbillon sur le bas.

— C'est vrai que c'est très beau. Ils ont raison les gens de te dire ça.

— Ah oui ? Eh bien merci beaucoup. Ça me touche.

Je souris de toutes mes dents et baisse un peu la tête. Soutenir ses yeux est de plus en plus compliqué.

— Donc, tu regardes Marato, reprend-il en changeant heureusement de sujet.

— Je regarde, je lis, j'ai quelques figurines à la maison et j'ai déjà commandé le prochain jeu sur la console qui sort deux jours avant mon anniversaire. Je suis complètement fan, t'imagine même pas. Mais... du coup, tu connais ?

— Regarde.

Il me tend son téléphone. Sur le petit écran du portable à clapet se trouve l'image condensée d'un personnage.

— C'est Deera, c'est ça ? Le mec aux cheveux bleu foncé et aux yeux rouges qui est pote avec Marato, même s'ils ne vivent pas dans le même village ?

— Exactement. Mais tu ne remarques pas quelque chose ? Observe bien.

Il place son téléphone à côté de lui et sourit. Tout ce que je vois, c'est quelqu'un d'incroyablement craquant. Je continue à être niais et je ne vais pas laisser couler la guimauve qui est en train de se créer dans tout mon corps. J'avale un peu difficilement ma salive et lui réponds de façon bancale.

— C'est vrai qu'il y a un petit air de ressemblance. Désolé de ne pas être réactif, je suis un peu... ailleurs en ce moment.

Je suis complètement sur une autre planète, et ce, à cause de toi. Mais à nouveau, je vais me taire.

— Justement, est-ce que ça te dirait d'y aller ?

— Vers le centre ?

— Oui, comme ça nous pouvons éviter le monde. C'est plus tranquille, plus intimiste aussi.

— Mais... on devait pas attendre ta sœur et Sheridan ?

— Si, mais ils vont mettre du temps. Sibyl s'est choisi le mec le plus en retard de tous les temps et elle va encore lui hurler dessus à cause de ça. Donc dans un sens, j'aimerais bien ne pas être là. Elle peut être effrayante quand elle s'y met.

Ma stratégie de repli vers mon ami tombe à l'eau. Je vais être tout seul et je vais me ridiculiser en beauté.

— Bah... Comme tu veux, vraiment.

— D'accord, alors allons-y.

Nous commençons à marcher sans un bruit, uniquement celui de nos pieds sur le sol. Mes yeux sont focalisés sur le t-shirt brun qui se mouve juste à côté de moi au fil de ses pas. La couleur est hypnotisante au possible. Puis soudain, j'entends un petit rire non loin de moi. Je relève la tête pour trouver celle de Curtis légèrement rose, les doigts sur le nez, la paume près de la bouche et le poignet non loin de son menton.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Un truc te dérange ?

— Pas vraiment. C'est juste que j'ai eu une pensée bizarre.

— Ah ? Faut pas me lancer des phrases comme ça, ça attise ma curiosité. Qu'est-ce que tu t'es dit, alors ?

Il hésite un peu, enlève sa main de son visage. Il sourit encore et je peux d'autant plus admirer ses joues roses. C'est la première fois que je le vois ainsi.

— Que tout ça, ça ressemblait à un rendez-vous amoureux. 

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant