Rouge tomate

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From : Menthe à l'eau

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Dis, tu viens demain? Ma sœur rentre du Pakistan pour faire une surprise à son copain et elle veut me trainer avec elle en centre-ville pour que ça ne fasse pas trop rendez-vous amoureux (alors qu'objectivement, s'en est un). Est-ce que c'est possible que tu me tiennes compagnie ou quelque chose comme ça? En toute amitié, bien entendu (vu les chansons qui y passent, je préfère préciser).

En attendant tranquillement ta réponse,

Curtis

Je rougis comme une tomate. C'est incroyablement facile à voir, étant donné que je suis dans ma chambre, juste en face de mon armoire dotée d'un miroir qui me renvoie un reflet vraiment étrange de ma personne. Voilà que je ne ressemble plus à moi-même. J'avais tort en février ; je ne suis pas un arc-en-ciel, je suis un vrai fruit sur pattes.

Malheureusement pour moi, mon cœur est dans le même état que mon visage ; complètement détraqué. Mes mains tremblent, je ne sais plus quoi faire. Je meurs d'envie d'en parler à quelqu'un, mais à qui annoncer de but en blanc que je suis dans un état pareil à cause d'un garçon. On va me coller dans une jolie case et on va me laisser de côté. J'en ai tout simplement peur.

— Valentin ? Tu comptes venir avec nous au festival de musique ?

Je cache mon téléphone comme si je l'avais volé. Peut-être à cause du message de Curtis qui est toujours présent sur l'écran et qui attend une réponse de ma part.

— Bah... peut-être. En fait...

— Tu es sûr que tout va bien mon fils ? Tu as trop chaud, tu veux que j'ouvre la fenêtre ?

— Hein ? Pourquoi tu dis ça maman ?

— Ta tête est toute rouge.

Un nouveau regard dans le miroir m'indique que ma couleur faciale n'a pas bougé d'un pouce. Godeau Valentin le fruit. Ça ne sonne pas bien. Exaspéré par ma propre personne, j'aplatis mon front contre mon couvre-lit et je hurle de toutes mes forces. Les pas de ma mère se font rapides sur le parquet, les escarpins sont enlevés également. Elle passe une main sur mon épaule et m'encourage à me relever vers elle.

— Que se passe-t-il ?

Mes yeux croisent les siens, un peu moins bleus. Dieu qu'elle est belle. Pourquoi les autres filles ne sont pas comme elle, que je puisse tomber amoureux tranquillement, sans me retrouver à chauffer comme un grille-pain prêt à expulser sa tartine. Et puis, ma condition de grille-pain me saute à la tête, je grille quelques neurones au passage et je lui lâche le pain de mie chaud au milieu des mains.

— Je crois que je suis attiré par quelqu'un. Et ça m'énerve.

— Parce que tu trouves que l'amour craint ?

Je hausse les sourcils. Je pensais qu'elle avait oublié.

— Je retiens ce que tu me dis, tu sais. Et une phrase pareille, ça ne passe pas comme du vent sur les oreilles. Alors, on retrouve foi en l'amour ?

Je détourne les yeux. Le cœur bat à mille à l'heure, mais pas pour les mêmes raisons que tout à l'heure.

— Peut-être, j'en sais rien encore. C'est juste que... que c'est super compliqué... je ne sais pas si je peux me lancer. Et puis ça se trouve, je me fais des idées et on ne m'envoyait pas de signaux.

— Tu veux en parler ?

Je me retourne vers elle, joue avec mes doigts. Je n'ai jamais eu peur de ma mère. C'est la toute première fois que je suis anxieux de cette manière en sa présence.

— Oui. Mais tu ne vas pas apprécier ce que je vais te dire.

— Et pourquoi ça ? La fille est déjà en couple ? Elle est plus âgée que toi ? Tu peux tout me dire Valentin, vraiment.

Elle sourit comme j'aime tant, comme j'aimerais l'imiter. Mais pour la toute première fois, ça ne me rassure pas beaucoup. J'ai toujours peur qu'elle se recule.

— C'est pas une fille.

— Oh.

— Je m'en doutais. Écoute, oublie, je dois me faire des idées ou un truc comme ça. Ça va vite passer.

— Je suis simplement surprise, je ne m'y attendais pas. C'est tout. Je suis désolée si je t'ai fait peur avec ma réaction, je ne voulais pas du tout te mettre dans un état pareil ! Dans un sens, je comprends ta réticence. Mais je suis ta mère, je ne vais pas te jeter dehors à grands coups de balais.

— Si seulement tout le monde pouvait être comme toi, ça sauverait tout un tas de gens, j'en suis sûr et certain.

Et la, je ne peux pas m'en empêcher. Je lui saute dans les bras et la serre du plus fort que je puisse. Les larmes viennent poindre aux coins de mes pupilles et je les essuie rapidement. Ces émotions n'ont rien à faire là. Elles ne sont pas les bienvenues. Absolument pas.

— Alors ? Tu veux bien me parler de ce garçon qui fait battre ton petit cœur d'artichaut ?

Je me recule vivement, les yeux écarquillés.

— Hein ? Comment ça, cœur d'artichaut ? Je ne te permets pas, voyons ! Je te rappelle que je ne suis pas un vulgaire légume à l'aspect tout à fait discutable, je suis un grand arc-en-ciel ! dis-je en frappant durement mon cœur avec mon poing.

— Bien l'arc-en-ciel, t'as pas une petite photo que je me rende compte des goûts de mon fils ?

Je rattrape mon téléphone d'un coup de main, navigue dans les menus. Normalement, Sheridan m'a envoyé le cliché qu'un passant a bien voulu faire avant que chacun ne retourne dans ses pénates. Nous sommes à côté d'une sorte de grosse pierre, non loin du restaurant. Harold et Kat sont chacun d'un côté pour s'éviter royalement. À côté du garçon se trouve Sheridan, suivi de Coby. Daisy est avec son amie, la prenant par le bras et me des oreilles de lapin avec ses doigts. Et moi, je suis au milieu, avec Curtis juste à droite — je priai tout ce que je pouvais pour qu'il n'entende pas mon cœur transpercer ma cage thoracique. D'un doigt peu certain, je lui désigne le garçon aux cheveux rouges teints et aux yeux verts d'eau. Soutenir sa photo en est presque complexe.

— C'est lui. Il s'appelle Curtis. Il va aller dans le lycée des autres.

— Et qu'est-ce qui t'a fait craquer ?

— J'ai pas craqué ! C'est juste que... c'est compliqué.

— À d'autres. Tu ne sais pas mentir, d'autant plus à ta mère. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

Je me cache à nouveau dans mon oreiller pour éviter son regard sondeur. Je me relève petit à petit vers elle, tourne les pupilles loin des siennes et lâche, du bout des lèvres.

— Ce sont ses yeux. J'ai jamais vu une couleur aussi singulière.

Je me retourne franchement vers elle et continue, plus franc.

— Et merde. T'as raison. Je craque complètement.

— La vérité ne sort pas de la bouche des enfants, mais de celle des mamans, c'est très connu !

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant