— File-moi le bleu, je viens de finir avec le rose.
— Hé, mais attends, je croyais que c'était moi qui allais faire le rose ! Toi, t'es censé te charger du violet.
Chacun sur son escabeau, on se chamaille un peu avec nos pinceaux trempés de peinture. Le plafond avance bien, ça en devient absolument magnifique. Ma chambre ne ressemble plus à rien, avec toutes ces bâches sur mes meubles et les deux guignols qui sont plantés au milieu — je parle de mon cousin et moi et non de mes parents qui nous observent dans l'encadrement de la porte. Je les entends rire à travers la musique qui crée une ambiance plus propice au jeu qu'à la décoration. Je sens presque leurs jambes qui gigotent de l'envie de danser. C'est vrai que mon père a toujours été fan de ces années, même s'il ne comprenait pas grand-chose au moment où il est né.
— Vous pouvez venir au milieu si ça vous chante, on va pas vous arroser. Ça se voit que vous crevez d'envie de danser ! leur indiqué-je en reprenant une gerbe de rose.
— Et comment tu le sais ? m'interroge ma mère en se rapprochant doucement de ma position, les bras croisés sur son tablier de cuisine qu'elle utilise comme protection.
— Il n'y a pas que vous qui savez lire en moi. Moi aussi je peux le faire, parce que vous êtes mes parents et qu'à force, je vous connais bien. Et puis, je ne vous ai jamais vu danser. J'aimerais bien avoir cet honneur.
— En plus, la prochaine, c'est Mister Blue Sky ! Elle va drôlement bien avec ce qu'on est en train de faire, rajoute Charles en piochant à son tour dans le couloir, à ses pieds sur l'escabeau.
— Tu les connais par cœur ? sourié-je en me retournant vers lui.
— Ouaip. Et puis celle-ci, c'est ma préférée. Parce que j'adore le bleu. Et puis, elle me fait rire.
— J'aurais parié sur le vert. Avec ton allure de plante verte, me moqué-je.
Il me tire la langue comme toute défense et j'éclate totalement de rire.
— Alors je serais une plante bleue si ça te fait plaisir. M'enfin, tout ça pour dire que celle-ci, je suis capable de te la chanter les yeux fermés. Ne vous gênez pas tonton et tata. Venez danser pendant que je fais mon show.
Il descend de son perchoir et attrape un pinceau qui n'a pas été souillé. Il l'utilise comme micro et attend le début de la chanson. Les deux adultes vont se placer au centre de la pièce et moi, je continue mon travail en observant. Le plafond ne va pas se repeindre tout seul.
Au départ, c'est lent et assez gauche. J'ai un œil sur la piste et un autre sur les lattes colorées. Et puis, au rythme des paroles de mon cousin, les deux se décoincent un peu et finissent même par se lâcher complètement. L'ambiance en devient presque électrique et les trois sautent comme des kangourous dans la pièce.
— Heureusement que je suis là pour bosser, murmuré-je pour moi-même.
Mais mes lèvres ne peuvent pas s'empêcher de s'étirer, mon rire de sortir de ma gorge et mon cœur de démarrer dans ma poitrine. Je me sens bien, parfaitement bien en famille. Je sais que c'est un peu utopique, presque irréaliste comme scène. Mais je m'en fiche. Parce que je suis en plein dedans. Parce que je le vis à fond. Parce que ça fait de moi qui je suis. Parce que ça me rend fier aussi.
Exactement comme ces couleurs au-dessus de ma tête.
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Ciel de couleurs
Teen FictionBleu, rouge, vert, jaune ou violet, toutes les couleurs conviennent à Valentin, tant qu'elles ne sont pas grises et ternes. Mais lorsque les sentiments s'en mêlent, le tout fait un sacré mélange. Comme un arc-en-ciel. Spin-off de Ciel d'été