Menthe à l'eau (encore une fois)

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Le centre-ville de Belfast apparaît dans notre champ de vision et je souris discrètement. Les rues me piquent mon job d'arc-en-ciel en se parant d'affiches de toutes les couleurs, accrochées aux arbres — avec une colle spéciale qui ne les abîme pas — et aux murs. C'est étrangement beau et je ne peux pas m'empêcher de faire la remarque à voix haute.

— Ça fait plaisir de ne pas venir ici avec mes parents pour une fois, tout en espérant croiser des gens et passer la journée avec eux.

— Qui espérais-tu croiser ? Des amis ?

— Daisy. J'étais amoureux d'elle, y a pas si longtemps. Et l'année dernière, j'ai tourné dans toute la ville pour la retrouver. Je crois qu'elle n'est pas venue, mais je me suis toujours demandé si c'était pour m'éviter.

— C'est mignon, déclare-t-il du bout des lèvres.

— Mais t'inquiète pas, continué-je un peu échauffé, cette année, la personne que je veux croiser, elle est juste à côté de moi !

Je rougis un peu — du moins, je l'espère — et le fixe en intermittence avec nos mains toujours liées. Ses doigts se resserrent sur les miens et nous nous dirigeons vers un banc, juste en face du fleuve qui sépare la ville en deux. Je le suis sans broncher, sans bouger notre liaison.

— Pourquoi on s'arrête ? osé-je enfin, avalant difficilement ma salive.

— J'aimerais te parler de quelque chose. Qui concerne le festival de musique.

— Oh, ne t'inquiète pas, moi non plus, je n'aime pas les chansons qui y passent. C'est ringard au possible.

— Non, ce n'est pas cela. C'est à propos de nous deux.

— Ah.

Mon cœur s'arrête. Littéralement. Je pourrais tomber dans les pommes, là, maintenant tout de suite.

— J'aime beaucoup ce qu'on fait là, sur ce banc. Mais il faut que ça reste entre nous. Que ce soit notre petit secret. Si tu veux, tu pourras venir à la maison après, Sibyl va atterrir chez Sheridan et mon frère n'est pas rentré. Nous pourrons passer du temps ensemble sans nous cacher. Se tenir la main sans camoufler nos mots.

— Ah.

— Je n'ai pas envie d'être traité, d'être regardé de travers et de me sentir mal à l'aise avec toi. Alors je vais te demander si je peux t'enlacer et nous nous lâcherons la main.

J'écarquille les yeux et me recule un tout petit peu.

— Bah, pourquoi est-ce que tu demandes ? Fais-le.

— Tu pourrais être gêné par un trop grand contact physique ou par une intrusion dans ton espace personnel. Alors je préfère demander avant d'agir.

— Et... tu feras pareil pour les autres... contact ?

Ne pas rougir, ne pas rougir. Ne pas penser à autre chose.

— Bien entendu. Je peux y aller ?

Je hoche la tête et m'approche doucement de lui. Ma tête rencontre des cheveux teints et se place dans le creux de son épaule. Il fait de même de son côté et je le sens même me humer les cheveux. Il se recule ensuite très doucement et nos nez se croisent quelques secondes. Il n'a jamais été aussi proche. Je me plonge dans la menthe à l'eau qui peuple ses pupilles, nos peaux se frôlent, nos joues sont rouges. Et puis, il baisse les yeux et me recule vivement, gêné au possible. Je me lance dans l'observation du tissu de mon jeans. Pour changer de sujet, je lance à la cantonade.

— Bah, j'ai faim subitement ! Ça te dit d'aller sur des stands et de se commander quelque chose ?

Je me lève rapidement et me fais rattraper par un bras sur le mien. Je me tourne subitement, toujours à moitié dans mon mouvement. Le cœur est au bord des lèvres.

— T'as pas faim ? Ça ne fait rien, on peut juste se promener et...

— Je crois que je vais t'embrasser avant.

— Ah.

On se regarde un peu, le bleu dans le vert. Sa menthe à l'eau glisse dans mon océan. Ça ne dure pas longtemps, mais j'ai l'impression que tout s'écroule plus lentement. Et l'instant d'après, je suis rassis à ma place, les mains dans sa nuque et les lèvres sur les siennes. 

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant