Coco-fraise

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To : Menthe à l'eau

Subject : ton message à mon encontre

Je serais de la partie ce soir, mes parents vont se faire un machin à deux et ça les arrangera que je ne sois pas dans leurs basques. On se retrouve où?

J'ai le cœur au bord des doigts lorsque je clique sur envoyer. Mon portable fuse quelques secondes après d'un appel qui me fait littéralement paniquer. Ma mère est toujours à mes côtés sur mon lit et je la fixe avec des yeux énormes pour qu'elle me sorte de là.

— Si tu ne te sens pas capable, ne réponds pas. Ça ne sert à rien de te forcer, surtout que ça s'entendra sûrement. Mais il veut discuter avec toi, à mon avis.

Je prends une grande respiration et clique sur le petit téléphone vert. Je porte l'appareil à mon oreille et glisse.

— Allô ?

— Je trouvais ça plus sympa de te parler en direct. Je ne te dérange pas ? Tu n'es pas anxieux ?

Je retire le combiné et regarde ma mère dans les yeux. Je dois toujours ressembler à cette sorte de tomate immonde que je déteste être, mais je n'en ai rien à faire.

— Il est super gentil, il me demande si tout va bien pour moi, il ne veut pas m'imposer un échange téléphonique si ça ne me convient pas. Du coup, maintenant j'ai super envie de parler.

— J'ai compris, j'ai compris, glisse-t-elle en se levant de mon lit, le plus doucement possible. Je déguerpis de ta chambre.

Je lui souris en guise de réponse et reprends le combiné.

— Non, ça va bien. C'est juste que c'était surprenant. Je m'attendais à un autre SMS, c'est tout. Mais ça fait plaisir de t'avoir au bout du fil, ta voix est pas pareille. Plus grave je trouve.

— Il en va de même pour toi, sauf qu'elle part dans les aigus. C'est enfantin sans un côté négatif que l'on pourrait attribuer à cet adjectif.

Je rougis encore. Je ne sais pas comment je vais faire quand nous nous verrons. Il va me cramer à dix mille kilomètres. Comme un panneau rouge luminescent qui clignote avec des flèches, des écriteaux en police d'écriture quarante-huit et en majuscule. Mais en y réfléchissant bien, je me demande ce qui pourrait y être écrit. Intéressé ? A craqué pour un gars ? Est-ce que du coup, je suis gay ? Non, c'est pas ça, cette définition ne me plait pas. C'est la toute première fois que mon regard est attiré par l'un de mes semblables. Il doit bien avoir un autre mot pour désigner ce que je suis. Et puis, je ne suis pas obligé de le faire de suite. J'ai du temps. Et puis, il faut que je voie d'abord comment ça va se passer avec Curtis.

— Valentin ? Tu es toujours avec moi ?

Je sursaute, le cœur en furie. Voilà que je blanchis comme un fantôme maintenant. Le blanc ne fait pas partie des couleurs officielles des arcs-en-ciel, mais tant pis. J'invente. Je me définis moi-même comme je veux.

— Désolé, j'étais complètement perdu dans mes pensées. Je peux partir loin, quand je m'y mets.

— Ah ?

Cette question à peine soufflée m'incite à parler d'autant plus.

— C'est qu'en fait, une petite fille m'a sorti un jour que je ressemblais à un arc-en-ciel. Et cette histoire m'a vraiment marquée. Je veux dire, j'adore tout ce qui est coloré, c'est un peu ma personnalité qui s'exprime et tout ce qui s'en suit. Et en fait, j'ai un miroir juste en face de moi et j'ai pensé à quelque chose qui m'a fait perdre les nuances chaudes de mon visage. Sauf que le blanc ne fait pas partie d'un arc-en-ciel.

— C'est dommage, je trouve. Je veux dire, c'est une couleur comme une autre, au même titre que le noir, le brun, le gris. Bon, je suis certain qu'un physicien me contredirait, mais pour moi, c'en est une. Au pire, tu n'as qu'à devenir un arc-en-ciel unique.

J'écarquille les yeux comme un poisson et conscient qu'il ne me voit pas, je mets immédiatement des mots sur ce que je ressens.

— Comment t'as deviné ? J'ai pensé exactement pareil !

— Je n'en sais rien. Peut-être une sorte de connexion entre nous. Ce n'est pas un reproche, mais tu es facile à comprendre. Tu es quelqu'un d'ouvert, de franc et qui semble avoir le cœur sur la main. Mais en même temps, tu es toi, et personne d'autre. C'est très appréciable, je trouve.

Nouveau passage au rouge. J'ai l'impression d'être une glace noix de coco-fraise.

— Dis, ça t'arrive souvent d'être aussi généreux avec quelqu'un que tu viens de rencontrer ?

— Pour être honnête, tu es le premier. Mais c'est facile avec toi. Je n'ai pas à me poser de question, simplement à parler. Je sais que tu ne me jugeras pas, que tu ne décortiqueras pas ma façon de m'exprimer et que tu souriras lorsque j'aurai fini ma phrase. À vrai dire, je t'imagine déjà le faire et ça me réchauffe le cœur.

— Ah, c'est vrai ? osé-je, peu sûr de moi. T'aimes bien quand je souris ?

— Seul quelqu'un d'insensé ne serait pas d'accord avec moi.

J'ai envie de me mettre la tête dans le coussin et de ne plus en ressortir. Je vais exploser.

— Et, rajoute-t-il, il en va de même pour tes pupilles. Mais je te l'ai déjà dit lorsque nous nous sommes rencontrés.

— C'est vrai ça, même que je t'ai répondu que c'était pareil pour toi.

Il respire un petit peu plus fort que les autres fois et laisse un silence. J'attends avec impatience, les battements dans les tempes.

— Est-ce que tu étais sincère ou c'était de la pure politesse parce que je t'avais fait un compliment ?

— Je le pensais vraiment ! Sérieusement, on croirait qu'elles sont translucides, tes pupilles. Je savais même pas que c'était possible en fait. On a un peu l'impression de découvrir tout un monde à travers elles. C'est... exceptionnel et magique en même temps.

Et je m'arrête, regardant ma tête dans le miroir. Je suis encore blanc. Mais qu'est-ce que je viens de dire, bon sang ?

— C'est très gentil de ta part. Ça me va droit au cœur, tout ce que tu me racontes. Je suis touché.

Et ses mots résonnent dans ma tête comme une chanson.

— Mais je suis désolé, je dois te laisser. Je dois aller chercher ma sœur à l'aéroport. Demain, tu n'auras qu'à venir chez moi, je t'envoie l'adresse par message. On ira au centre ensemble et on sera quitte de se perdre. C'était très agréable de parler avec toi, j'espère que nous aurons l'occasion de le refaire plus amplement demain.

Et il raccroche, me laissant à peine le temps de lui glisser un au revoir. Je me regarde à nouveau dans le miroir.

Une glace coco-fraise. 

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant