Jaune

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Un jour alors que je marchais tranquillement dans la rue, mon casque sur les oreilles, et sifflotant les mélodies qui en sortaient, je me suis fait arrêter par une petite fille. Elle était en uniforme d'école primaire, avec un nœud sur la poitrine. Je revenais de chez Sheridan parce que mes parents m'avaient appelé pour manger. Je ne l'ai pas tout de suite remarquée et elle m'a crié dans les oreilles, sous les yeux des petits vieux qui observaient à travers leurs rideaux démodés.

— Oh, monsieur, je te parle !

J'avais été surpris au possible d'être ainsi interpelé, surtout que je devais avoir douze ans et que monsieur me déplaisait au plus haut point — trois ans plus tard, c'est toujours le cas. Je m'étais arrêté net et m'étais penché vers elle, pour entendre ce qu'elle avait de si important à me dire.

— Tu ressembles à un arc-en-ciel, monsieur !

Elle avait souri, laissant apparaître des dents de lait qui venaient sans doute de tomber et elle était repartie comme ça, sans rien ajouter d'autre, ses cheveux gigotant au fil de ses pas animés. Moi, j'étais pantois et je suis resté statufié pendant pas mal de temps dans la rue — les petits vieux ont dû se poser des questions. Je me souviens parfaitement que ce jour-là, dans la salle de bain, au moment de me laver les mains, je m'étais regardé dans le miroir pour comprendre pourquoi diable cette petite m'avait affublé du nom d'arc-en-ciel.

Certes, j'ai les cheveux blonds et les yeux azur, des couleurs qui ne sont par ternes. Mais le reste est nettement plus banal. Un t-shirt orange aux couleurs de Marato. Un jean bleu clair. Mes chaussures jaunes qui ne me quittent jamais. Les chaussettes rouges qui en dépassent. Mes bracelets verts et Klein qui illustrent les quelques festivals de musique auxquels j'ai pu assister. Je ne ressemble en rien à un arc-en-ciel.

Et aujourd'hui, en me regardant dans la glace de l'entrée, avant de partir en cours, cette réflexion me revient en mémoire. Me penchant vers ma mère qui s'en va en même temps que moi, je l'interroge sur le sujet.

— Dis maman, tu trouves que je suis un arc-en-ciel ?

Son rouge à lèvres rose dérape sur sa peau légèrement hâlée ; nous sommes pourtant en février, je ne sais pas comment elle fait.

— Pardon ? T'en as de ces questions Valentin...

— C'est juste que je pensais à ça à l'instant. C'est une gosse qui m'a sorti ça un jour au milieu de la rue. Et du coup, je me demande si c'est la vérité.

Elle se retourne, ne touche pas à sa marque. J'avale un rire que je peine à dissimuler et me force à garder mon sérieux.

— C'est vrai que depuis quelque temps, tu t'habilles de façon très colorée. Ça pique un peu les yeux, mais dans un sens, ça te correspond bien. Tu as toujours été un petit garçon très énergique, comme un soleil brillant. Alors, te comparer à un arc-en-ciel, c'est une bonne chose. Enfin, à mon avis.

Elle m'ébouriffe les cheveux en un tour de main et me colle un baiser bien rose sur la joue. Je suis presque certain d'avoir du rouge à lèvres sur la peau. C'est sa vengeance personnelle pour ce que je lui ai fait tout à l'heure.

— Passe une bonne journée mon bout de chou d'amour !

— Maman ! J'ai plus huit ans ! Je te rappelle que dans quelques mois, je rentre au lycée !

— Je sais. Mais pour moi, tu resteras toujours mon bout de chou d'amour. N'est-ce pas Theodore ?

— Complètement ! hurle mon père depuis la cuisine où il sirote son café.

— Mais c'est un complot ma parole !

— On est tes parents Valentin. Bien sûr qu'on complote contre toi à la moindre des occasions, continue ma mère en s'effaçant la trace de la joue.

La deuxième moitié de ce couple se place dans l'encadrement de la porte de la cuisine, sa tasse à la main. Sa femme va l'embrasser et j'évite de justesse une nouvelle coiffure non voulue.

— Passez une bonne journée tous les deux, glisse-t-il lorsque nous ouvrons notre porte rouge.

— Y a intérêt, c'est une fête importante !

Et je quitte la maison de cette manière, ne laissant à personne le temps de rajouter quelque chose. C'est vrai que si on regarde le calendrier, notre doigt s'arrête sur le quatorze février. 

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant