La voiture se transforme en une véritable cacophonie sur roues. Nous chantons tous les trois complètement faux les chansons que l'autoradio crache depuis le téléphone portable de Charles, qui est branché grâce à un fil. Mon père est forcément le plus concentré des trois, vis-à-vis de la route. Mais nous, les petits jeunes, on ne se gêne pas pour laisser sortir nos poumons. Je crois que pour moi, c'est ma joie inexpliquée de le revoir qui s'exprime au travers ces cris. Et même si je ne suis pas devin, c'est assez facile de deviner que de son côté, c'est sa liberté enfin retrouvée, même si c'est pour une journée, qui dessine cette ligne courbe sur ses lèvres et qui donne du corps à sa voix.
Quand nous arrivons à la maison, ma mère nous attend tranquillement, les bras croisés sur la poitrine et une esquisse de sourire. Elle rit lorsqu'elle aperçoit nos danses un peu étranges qui accompagnent la musique qui vient de s'éteindre. On avance vers elle de cette manière, comme des algues qui se promènent dans la mer et qui se laissent guider par le courant. On se fiche totalement du regard des voisins qui doivent nous observer depuis les fenêtres ; on est chez nous, on fait ce qu'on veut.
Charles embrasse sa tante et en profite pour la serrer dans ses bras. Elle ne lui rend pas immédiatement son accolade, ne comprenant pas forcément d'où vient ce mouvement.
— Merci de vous être battue pour m'avoir ici. Je sais qu'avec l'hôpital, ça n'a pas dû être très facile, comme je suis mineur.
C'est à ce moment-là que les douces mains de ma maman viennent rencontrer le tissu lisse de l'anorak de mon cousin. L'étreinte est serrée, je vois immédiatement qu'elle est émue par cette démonstration d'affection. Je ne suis pas le seul de la famille à apprécier cet être qui nous retourne tout le cœur.
— On va dire que le fait d'avoir des liens familiaux avec toi m'a aidé. Ainsi qu'un coup de téléphone de ta mère, qui a assuré que j'étais une personne de confiance et qu'elle déléguait entre guillemets ses droits vers moi pour cette journée. D'ailleurs, ce n'est pas tout. Mais je pense qu'on ferait mieux de rentrer avant les révélations, non ? La viande va refroidir.
Les estomacs gargouillant de plaisir — je n'ai pas avalé le moindre petit déjeuner — nous passons dans un endroit un peu plus chaud. L'automne est en train de tomber sur Belfast. J'adore cette saison, avec le orange, l'Arbre, le lac qui m'est encore réservé, les feuilles que je peux imprimer sur le papier avec mes idées et mes crayons. Je repense aux carnets de mon père. Je vais enfin pouvoir comparer nos niveaux à des âges équivalents. Je vais me sentir tout petit, j'en suis certain.
— Ça sent super bon Tata Salomé ! indique Charlot en passant la porte d'entrée.
— Je te remercie. Bien, Valentin, va montrer sa chambre à ton cousin et allez vous laver les mains. Le repas est prêt.
Je le guide vers ma pièce personnelle. C'est vrai que nous avons aussi une chambre d'amis, mais connaissant le brun aux bouclettes généreuses, il va vouloir discuter la nuit — et mes parents en sont parfaitement au courant. Alors, pour éviter toute cavalcade dans les couloirs, il a été immédiatement placé avec moi. Lorsqu'il découvre le lit d'appoint qu'on a été déterrer du fin fond du garage, il sourit de toutes ses dents. J'ai mis les draps en deux temps, trois mouvements, et il s'empresse d'aller tester la solidité de la chose.
— J'ai envie de faire un truc complètement hors du commun et super cool.
— Quoi donc, cher cousin ?
— J'ai envie de sauter sur mon lit en beuglant des chansons des années soixante-dix.
— Je te promets qu'on le fera. Mais après mangé. Mon estomac est plus fort que mon envie de rigoler avec toi.
Il se marre comme une baleine et me frappe les cotes avec le coude. Des boucles devant les yeux, il me lance.
— Pourquoi ça ne m'étonne pas, espèce de ventre sur pattes ?
— Parce que, justement, je suis un ventre sur pattes.
Et je m'enfuis vers le couloir en suivant le délicieux fumet du bœuf bourguignon. Lorsqu'on s'attable, la viande est déjà dans les assiettes, accompagnée de riz blanc. La sauce dégouline avec joie pour tacher la céréale claire et je me régale rien qu'avec les yeux.
— Encore deux minutes et j'allais vous appeler. Qu'est-ce que vous faisiez ?
— On prévoyait nos activités de cette après-midi. T'inquiètes pas maman, rien de bien méchant.
— Tu lui as parlé de ton plafond ?
Je me frappe le haut de la tête avec la paume de la main et soupire. J'avais complètement oublié alors qu'on en a discuté ce matin.
— Le plafond ? Qu'est-ce qu'il y a au plafond ? Tu as peur d'une araignée et tu as besoin de Charlot le super-héros pour l'écraser ?
Je roule des yeux et me plonge dans les siens, vert émeraude. Je sais qu'il tient ça de sa mère, qui ne ressemble pas beaucoup à la mienne.
— Je comptais repeindre mon plafond cette après-midi et comme je t'ai vu dessiner, je me suis dit que ça pourrait peut-être t'intéresser.
Ses pupilles s'éclairent d'un coup, comme si je venais de proposer la meilleure activité de tous les temps. À vrai dire, je suis assez fier de moi.
— Sérieux ? Vous avez assez de rouleau, de pinceaux et d'escabeaux ?
— Ils ont dû tout acheter en double, non ? Vu qu'ils avaient prévu de me faire ça pour mon anniversaire et que je les ai démasqués. N'est-ce pas ?
Je me moque d'eux et c'est extrêmement gratifiant. Leurs sourires un peu de travers me confortent dans mes pensées. Je deviens moqueur et j'adore ça. Surtout quand mon frisé de voisin se joint à moi.
— Oh, surtout que c'est dans deux semaines. Et comme il est assez exceptionnel comme gosse, ça va être dur de retrouver une idée aussi géniale. Vraiment Tata et Tonton, j'ai mal pour vous.
— Et si nous mangions ? coupe mon père en attrapant sa fourchette de son poing.
C'est intéressant de se reconnecter de temps en temps à ses vieilles racines, avec de la nourriture. Surtout que ça rassemble.
— Tu vois, il essaie de changer de sujet pour ne pas accepter qu'ils se soient fait battre par un gosse qui n'a même pas la moitié de leur âge. Ça doit les embêter.
Et pour bien terminer cette petite réplique, je gobe une bouchée du mets divin qui refroidit devant moi.
— Maman, c'est un pur bonheur ce plat. Absolument réussi, comme d'habitude.
Un sourire magnifique apparaît sur ses lèvres et les moqueries redescendent rapidement. Le repas reprend alors, sous une avalanche de compliments.
![](https://img.wattpad.com/cover/133608475-288-k470299.jpg)
VOUS LISEZ
Ciel de couleurs
Teen FictionBleu, rouge, vert, jaune ou violet, toutes les couleurs conviennent à Valentin, tant qu'elles ne sont pas grises et ternes. Mais lorsque les sentiments s'en mêlent, le tout fait un sacré mélange. Comme un arc-en-ciel. Spin-off de Ciel d'été