Arc-en-ciel

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Je suis mal à l'aise. Je suis extrêmement mal à l'aise. Je suis la définition même de la gêne. Je n'arrive pas à dormir, ni même à bouger, à respirer, à penser correctement. Je suis littéralement pris dans des étaux de bras et je regarde partout autour de moi, comme si j'étais étranger à ma propre chambre.

Lorsque ce cher Curtis a compris que je ne céderais pas et que non, c'était non, il s'est arrêté et a décrété, assez subitement, qu'il avait faim. On s'est donc transportés vers la cuisine et je lui ai fait des nouilles instantanées, seules choses que j'ai trouvées dans mes placards. Il a fait la moue, mais s'il n'est pas content, c'est la même chose. Ensuite, il a été d'une distance infernale, ne se rapprochant même plus de moi, ne me touchant que par accident et me parlant comme si j'étais un iceberg de l'Antarctique. Ça a été une des plus grosses blagues de cette soirée : il voulait coucher avec moi, mais maintenant, j'étais une chose immonde dont on ne peut même plus croiser les yeux. À un moment, je lui ai clairement dit, assis sur le canapé à regarder un film mielleux que je n'avouerais jamais aimer devant lui, parce que je n'en pouvais plus.

— Si tu t'ennuies, t'es pas obligé de rester ici, tu sais. La porte est grande ouverte.

J'y suis allé les deux pieds dans le plat et j'étais assez fier de moi. On n'essaie pas de me faire culpabiliser à coup de froideur sans en payer les conséquences.

— Pardon ?

— Sérieux, t'es plus froid qu'un frigo. C'est parce que j'ai mis un stop sur le bas de ma personne que le reste est prohibé, hein. Je vais pas te brûler ou te bouffer si tu viens contre moi.

— Tu essaies de me dire quelque chose ? Parce que tu t'y prends d'une manière que je n'aime pas beaucoup.

— Je voudrais bien qu'on se blottisse l'un contre l'autre, sous une couverture avec des gâteaux ou de la glace et qu'on regarde ce truc, qu'on crie sur les personnages parce qu'ils ne voient pas ce qui est évident, qu'on se marre et qu'on passe une bonne fin de soirée. Parce que sinon, je te vire d'ici à coup de balai et j'appelle Daisy pour qu'on mange de la glace en faisant les vipères sur les gens qu'on aime pas. D'accord ? C'est assez clair pour toi ou alors faut que je rajoute des panneaux lumineux avec des flèches ?

Et là, chose absolument étrange, il se met à rire. Il se déplace à côté de moi, s'abaisse pour se glisser entre mes bras et m'attrape la manche pour la remettre sur son épaule.

— Je ne sais pas ce que je ferais sans ton humour Valentin. Cette relation serait complètement fade, je pense.

J'écarquille les yeux, décidément abasourdi. Le pire dans toute cette histoire, c'est qu'il ne se moque même pas de moi, le bougre. Il est absolument sérieux quand il croit que je fais de l'humour. Alors que je suis à des lieux de là.

Et depuis, il ne me lâche pas d'un pouce. Je suis accompagné d'une glu et je déteste ça. J'ai vraiment besoin qu'il me laisse tranquille, surtout que j'ai envie d'aller aux toilettes. Alors, j'essaie de m'extraire de son étreinte en bougeant son bras, qui retombe mollement sur le lit. Il remue un tout petit peu, il gémit et je m'empresse de m'envoler vers la salle de bain. Je cours sur le parquet comme si ma vie en dépendait et je claque la porte derrière moi. Je reprends mon souffle, je sens mon cœur battre dans toute ma personne. J'ai l'impression d'avoir échappé à un monstre des plus monstrueux.

— Valentin ? Tu vas bien ?

Je sursaute et me cogne le pied sur la cuvette des toilettes. Je me mords la lèvre pour ne pas hurler de douleur. Quelle nuit des plus bizarres. La question se réitère et je comprends qu'il s'agit de ma mère qui doit s'inquiéter. J'ouvre la porte doucement et laisse enfin échapper ma voix.

— Bon sang de bois, c'est douloureux. J'ai cru que c'était Curtis qui voulait me poursuivre parce que je me suis enfui de la chambre. Qu'est-ce tu fais debout ?

— Nous n'arrivons pas à dormir avec ton père alors nous étions en train de nous préparer une tisane dans la cuisine quand j'ai entendu ton grand claquement. Tu en veux une aussi ?

Je hoche la tête en silence et la suis en clopinant. C'est vraiment douloureux. Une fois dans la pièce, je m'assieds et en profite pour l'étendre sur l'unique chaise vide en face de moi. En bonne maman poule, elle me sort un paquet de haricots verts surgelés que je dépose sur l'endroit qui souffre. Ça fait vraiment du bien, même si c'est extrêmement froid.

— Alors cette fameuse soirée ? Comme tu le redoutais ?

— Même pire. Il est tout de suite entré dans le vif du sujet et j'ai eu le droit à... non, je peux pas vous le raconter, c'est vraiment trop dégueu. Mais enfin, il a fallu que je sorte les panneaux-stops pour qu'il s'arrête. Parce que sinon, vous auriez eu une cassolette de Valentin pour le diner et croyez-moi que ça n'aurait pas eu bon goût.

— Tu n'avais pas envie ? Non pas que ce soit un problème, c'est simplement une question.

— Non, mais pas parce qu'il ne me plaisait pas. Mais parce que...

Je baisse la tête, j'ai l'impression d'être honteux et d'être pris sur le fait, comme un enfant.

— Je crois que j'ai rencontré quelqu'un qui m'a franchement tapé dans l'œil et que je pensais à lui quand Curtis m'embrassait. Et c'était une sensation vraiment horrible, j'avais le sentiment de le trahir alors qu'en soi, je ne fais rien de mal. Mais je n'avais pas envie du tout.

Les deux adultes en face de moi sourient et boivent une gorgée de leur infusion en même temps. Je me sens comme sondé par des lasers.

— Quoi ? Vous savez que vous faites flipper quand vous êtes en parfaite synchronisation comme ça ?

Ils rient et j'ai l'impression qu'ils se moquent de moi, comme l'année dernière au moment de partir. Je m'enfonce dans ma chaise pour montrer un faux mécontentement. J'adore quand ils font ça, parce que je me sens choyé par leurs quatre pupilles parentales.

— Est-ce qu'on aura l'honneur de le connaître un jour, ce fameux garçon qui t'a tapé dans l'œil ?

— Eliot ?

J'avale de l'air. Et mince, je suis fichu, maintenant que j'ai laissé échapper son identité. Les deux me regardent plus intéressés que jamais.

— Ah ? Mais c'est qu'il a même un prénom ! Oh et en plus, c'est vraiment très mignon, s'intéresse ma mère en avalant une nouvelle gorgée de liquide.

— Arrête, t'es en train de me faire rougir. Je déteste ça ! Et puis encore... je lui ai adressé la parole aujourd'hui et il m'a remercié en français. En français. Genre, personne ne parle cette langue au lycée, ou alors trois clampins et deux tondus qui l'on prit en option et qui passent leur temps à dire le mot baguette et croissant. Comment tu veux que je ne fonde pas comme du chamallow moi ? Sérieux, l'univers, pourquoi tu me fais ça ?

— Tu comptes le revoir ? continue mon père avec un sourire mutin qui n'augure rien de bon.

— Non, non, non, parce que Daisy l'aime et que je ne vais surtout pas lui piquer. Et que j'ai un copain qui dort dans mon lit en serrant mon oreiller comme si c'était moi. Donc non, je vais plutôt l'éviter. Sinon, ça va être horriblement compliqué.

— Mais bon, continue ma mère en croisant ses jambes sous la table, quand tu ne seras plus dans une sorte de déni, que ce garçon absolument exceptionnel se sera rendu-compte qu'il a une perle de toutes les couleurs face à lui, quand ce temps-là sera arrivé et que tu seras peut-être amoureux, il faudra vraiment penser à nous le présenter Valentin. Parce que... t'as l'air carrément mordu, foi de maman.

— Sérieux ? m'inquiété-je à l'idée que Curtis le découvre.

— Oui. Tu es le plus brillant de tous les arcs-en-ciel.

Je laisse tomber ma tête contre la table et chuchote au bois.

— Ça craint.

— Mais non...

Ma mère a la main posée sur mon épaule, qu'elle caresse doucement.

— C'est simplement le début d'une nouvelle histoire. 

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant