Menthe fade

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Je rentre chez moi en trainant des pieds. Premièrement, ma meilleure amie n'arrête pas de me parler d'Eliot, le grand, beau et génial Eliot qu'elle n'a pas réussi à croiser, malgré ses recherches dites intensives — elle n'a pourtant fait que le tour des classes et des couloirs, ne tentant même pas la bibliothèque ou le toit. Je ne lui bien entendu pas dit que je l'avais croiser sur les sommets, que nous avions vaguement discuté et que ma saleté de cœur en avait fait des siennes. Je n'aimerais pas que le petit scénario que j'avais lancé comme ça à Noël se réalise ; je n'ai pas envie de le lui piquer, ça ne se ferait pas. A moins qu'elle tente sa chance et qu'elle se fasse remballer, moi, je ne m'avancerais pas.

Surtout que, deuxième problème, Curtis est avec nous sur la route et que miracle des plus miraculeux, il a accepté de me tenir la main. Nous avons dû nous dépêcher pour arriver dans mon quartier avant tous mes voisins, même si je m'évertuais à lui répéter que je suis le seul à faire une demi-heure de route pour me rendre à Clear Lake, que tout le monde va dans un lycée bien plus proche et qu'ils sont déjà rentrés depuis des lustres. J'ai à peine eu le droit de dire au revoir à la rose et à lui donner mon avis sur ses chocolats absolument délicieux, contrairement à ceux du rouge qui avaient un goût d'acheté et fade.

Comme prévu, il n'y a encore personne chez moi et ça ne me réjouit pas, bien au contraire. Parce que je sais que mon cher petit ami est bien plus ouvert lorsqu'il sait que nous sommes tout seuls. Et dès qu'il se rend compte de cette petite particularité, il se rapproche inexorablement de moi, les yeux pétillants comme un soda à la menthe.

— Qu'est-ce que tu veux faire du coup ? On a des nouveaux films au salon si tu veux, et j'ai le dernier jeu tiré de Marato sur la console. J'en ai un peu marre de jouer contre mon père et ma mère, ils sont un peu nuls et je ne m'améliore pas...

Je sais très bien que je suis en train de parler à un mur et qu'il regarde le couloir menant à ma chambre avec une insistance toute particulière qui en est presque effrayante.

— J'avais d'autres idées, si tu veux bien.

Et il m'attrape la main pour m'amener vers là où il était focalisé il n'y a pas deux secondes. Il n'y a pas à se poser de questions ; j'avais bien raison en flippant comme je l'ai fait ce matin. Il veut me manger tout cru. Mais après, nous parlons bien de Curtis, celui qui me demande toujours s'il peut m'embrasser, me toucher et qui hésite assez souvent à prendre les devants. Il ne va pas me sauter dessus sans mon autorisation. Autorisation que je ne lui donnerais peut-être pas, enfin, suivant ce qu'il veut faire.

Lorsque la porte se ferme derrière moi, il est tout proche, prêt à m'embrasser. Il passe le doigt sur mes lèvres, choses qu'il fait souvent lorsqu'il n'a pas envie d'utiliser ses mots. Bien entendu, je ne déteste aucunement l'embrasser, alors j'accepte derechef ce doux contact. Doux contact qui se transforme malheureusement en un léchage en règle de l'intérieur de ma pauvre bouche. Et entre deux séances de limaces, j'arrive à glisser.

— Est-ce que tu peux ralentir un peu, s'il te plait. Je me sens pas super à l'aise. J'aimerais bien y aller petit à petit. Et puis, t'inquiète pas, mes parents filent au restaurant dès leur sortie de travail, alors on est tranquille un bon moment.

J'essaie de sous-entendre qu'il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, qu'il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Qu'on est pas obligé de rentrer dans l'Eurostar des relations amoureuses.

— Comme tu le désires. Il faut que tu sois bien aussi pour que ça fonctionne.

On s'assied tous les deux sur le lit et je me laisse tomber sur son épaule, geste que je me permets rarement, de peur de me faire recaler. Mais pas aujourd'hui ; il va même jusqu'à laisser trainer une main dans mes cheveux blonds, les caressant délicatement. Je tente, de mon côté, de calmer mon rythme cardiaque, qu'il ne pompe pas à une vitesse effroyable.

Au bout d'une dizaine de minutes, il se lasse un peu de tout cela et me fait tomber doucement sur le matelas. Il me surmonte et j'aperçois à nouveau ses yeux briller de toutes parts, comme tout à l'heure. Il est heureux et ça se voit, ce qui me ferait presque plaisir, après tout ce qui s'est passé entre nous. Mais par dessus cette image de menthe à l'eau, ma tête superpose celle du garçon sur le toit, avec les pépites au fond de ses pupilles. C'est cette belle vision que je veux revoir, pas cette perspective de passer sous peu à la casserole.

Pourtant, lorsqu'il se rapproche, c'est moi qui fait le dernier mouvement et qui passe les bras autour de son cou pour le ramener contre moi. Je me déteste, tout comme mon corps d'apprécier ça. Je n'ai pas envie de coucher avec lui parce qu'il en crève d'envie — que ça se voit comme le nez au milieu de la figure — et que ça fait un moment qu'on sort ensemble. Je n'ai aucune envie de me mettre cette fichue pression sur le dos. Mais lorsque ses lèvres dépassent les miennes et commencent à descendre le long de mon cou et à la naissance de ma clavicule, je ne peux pas m'empêcher de frissonner. Quand il me demande de ne pas faire l'étoile de mer, de bouger à mon tour, je m'exécute. Mais le bruit de ma ceinture qui se défait et ses mains sur mon pantalon me font réagir à toute vitesse et me redresser comme un suricate qui aurait entendu quelque chose approcher.

— Doucement, pas par là, s'il te plait. Je...j'ai pas trop envie en fait.

Voilà, c'est dit. La phrase qui me hante depuis tout à l'heure est enfin sortie de ma bouche. Son sourire ne bouge pourtant pas d'un pouce.

— Je peux aller encore plus doucement si tu veux, il n'y a pas le feu. Je peux comprendre que tu ne sois pas rassuré mais je suivrais tes désirs pour que ça se passe le mieux possible.

— Non, non, ça va pas trop vite pour moi, c'est tout bon le tripotage en règle. C'est juste que je veux pas qu'on aille jusque là aujourd'hui. Ce n'est pas que j'ai peur, enfin si, mais surtout que je n'en ai pas envie. D'ailleurs, je crois bien que ça se voit, non ?

Il baisse la tête vers l'endroit où il se trouvait et revient vers moi. Je suis gêné au possible et je crève de trouille. Parce que même si c'est lui, soit la personne la plus respectueuse que je connaisse, les pulsions peuvent être des choses affreuses qui font faire des machins encore plus horribles.

— Ah. En effet. Je ne l'avais pas remarqué.

Décidément, c'est un parfait menteur. Depuis tout à l'heure, il me chauffe dans les règles de l'art pour que je bouge enfin. Il a vu que ça ne marchait pas du tout.

— Je ne t'ai pas dit d'arrêter, mais juste de se limiter pour aujourd'hui. D'accord ?

Il hoche la tête et tente le mieux de cacher sa déception. S'il essaie de me faire culpabiliser de lui refuser ça, je lui balance mon anniversaire et Noël en pleine figure. Œil pour œil, dent pour dent.

Il reprend donc ses petites manipulations, mais avec moins d'entrain que précédemment. Ça me déçoit. Ça me déçoit qu'il soit comme ça, parce qu'on passait un bon moment et que ça ne doit pas se stopper sous prétexte que mes envies ne sont pas les mêmes que les siennes. Ça m'énerve. Mais je serre les dents pour ne rien dire, pour ne rien montrer et pour profiter. Alors, je m'autorise à fermer les yeux et à laisser mon esprit divaguer. Il pense d'abord à la nourriture — bas instinct quand tu nous tiens — puis glisse vers le ciel, les nuages et les arcs-en-ciel. Ça devrait immédiatement me faire penser à mon cousin, mais c'est une autre image qui s'impose à mon esprit ; celle d'un garçon regardant la voute diurne avec insistance en cette matinée de Saint-Valentin. Mon sourire vient flotter sur mes lèvres, mon cœur s'amuse dans ma poitrine. J'ai juste l'impression de revivre les débuts avec Curtis et je ne culpabilise même pas. Je ne culpabilise même pas de laisser le regard noir s'installer dans mon esprit, déposer les étoiles joyeuses dans mon crâne, écouter cette voix un peu grave et ce délicieux maniement de l'anglais.

Je ne m'excuse même pas de m'imaginer avec ce garçon entre mes bras au lieu de mon petit ami.  

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant