Jaune citron

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La première réaction que j'ai en apercevant mes deux amis marcher côte à côte, c'est un sourire jusqu'aux oreilles. Daisy le remarque immédiatement et se tourne quelques secondes vers moi pour m'interroger.

— Tu étais au courant ? C'est pour ça que tu souris béatement ? Ou alors t'es perdu dans tes pensées et je cause à un mur.

— Je ne savais pas, mais je m'en doutais. Ils se sont tous les deux confiés à moi. Ça fait plaisir de voir qu'ils se sont écoutés pour une fois. Quoi que, on ne sait pas si c'est vraiment un rendez-vous amoureux ou juste, je sais pas, une promenade d'un chien dont on ne connaitrait pas l'existence.

— Parfois, je me demande où tu vas chercher tes idées. M'enfin, ça se voit que c'est un rendez-vous ! Et je te promets qu'on va en avoir le cœur net. Toi, tu payes, moi, je commence la filature.

— Comment ça, la filature ?

— Bah on va les suivre pour savoir ce qu'ils se trament. Ça a éveillé ma curiosité !

Je l'arrête immédiatement en lui attrapant les épaules afin qu'elle me fixe. J'ai les sourcils froncés.

— Je sais que ça peut être marrant, mais c'est pas très sain comme façon de faire de suivre ses amis. On va leur laisser un peu d'espace personnel. T'aimerais qu'on te fasse ça si t'étais en rendez-vous avec ton crush, que je le découvrais et que je me mettais à vous suivre ?

Elle baisse les yeux. Je sais que je la fais culpabiliser en lui renvoyant cette idée, mais je ne vois pas comment faire autrement.

— Non, c'est sûr...

— Bien ! Par contre, ça ne nous empêche pas de leur faire une petite blague. Propose à Kat de vous retrouver cette après-midi, je fais de même avec Harold et voyons ce que ça donne.

Elle hoche la tête et je suis content de mon idée. Comme ça, nous pouvons encore profiter de l'extérieur tout en ne faisant rien de mal et de répréhensible.

— Voilà, je lui ai proposé une après-midi chez moi pour discuter des garçons avant la rentrée.

— Et moi, terminé-je en fermant mon téléphone, je lui dis que j'avais bien envie de me faire une partie de basket avec lui pour enfin de réussir à battre Coby. Maintenant, y a plus qu'à attendre quelle excuse ils vont nous pondre.

Nous rions en même temps et buvons encore un verre de nos boissons respectives — mon porte-monnaie va faire la tête. Nous évoquons la rentrée, les profs que nous allons rencontrer et la recherche active de Tanaka par ma chère amie.

— D'ailleurs, je dois t'avouer un truc, Daisy.

Elle essuie son front de sueur, et me fixe en souriant. J'espère que je ne vais pas lui faire trop de mal.

— En février, je te détestais. Genre, vraiment. Parce que tu n'arrêtais pas de causer d'un mec que tu ne connaissais même pas alors que tu m'avais sous la main, qu'on trainait ensemble depuis des années et des années et que j'étais complètement à fond sur toi. Mais maintenant, je te comprends beaucoup mieux et je voudrais m'excuser si tu m'as senti froid ou même distant pendant cette période. T'es une chouette amie et je n'ai pas envie de te perdre, tu sais.

Ses pupilles brunes s'écarquillent légèrement et elle pose une main toute douce sur mon avant-bras. Je baisse la tête et elle m'oblige à la relever par une main sur mon menton. Elle est proche, mais je sais bien que ni elle, ni moi, nous nous faisons d'idées.

— J'ai pas été tendre non plus. J'avais deviné depuis longtemps ce que tu ressentais pour moi et j'attendais que tu te décides enfin à venir me l'avouer, alors que je savais très bien que j'allais te remballer. Je te trouvais idiot à cette époque, même si c'était y a pas si longtemps. J'ai l'impression que t'as muri en quelques mois, tout en restant le même Valentin qui sourit et qui est tout coloré. Et ça fait du bien de te voir comme ça parce que j'ai l'impression de vous redécouvrir, toi et ton amitié. Je sais que je te l'ai déjà dit, mais je suis super contente que tu m'aies répondu oui pour qu'on se voie cette après-midi.

— Je peux t'enlacer Daisy ? En tout bien tout honneur, bien entendu.

— De toute manière, si tu ne le fais pas, c'est moi qui te prendrais dans mes bras.

Nos chaises se rapprochent et je vais sentir la délicieuse odeur de ses cheveux roses. Une partie de moi espère qu'on sera amis toute notre vie, qu'on ira aux mariages des uns et des autres s'il y en a et qu'on se fera encore des soirées au restaurant japonais à nous raconter toutes nos petites histoires d'adultes qui galèrent avec la vie.

— Une partie de basket, hein ? Tu es sûr que tu ne serais pas en train de te moquer de moi, Valentin ?

La voix tranchante du jeune homme en face de nous nous fait séparer en quelques secondes, Daisy et moi.

— Tu t'ennuies autant à ton rendez-vous avec cette délicieuse jeune fille que tu envoies des messages à tes potes toi ? Mais sérieux, t'es vraiment qu'un goujat ! Tu me déçois vachement le blond ! hurle Kat en s'approchant de moi, un doigt pointé vers ma figure.

J'ai l'impression de la revoir à la Saint-Valentin. De peur, j'avale difficilement ma salive. Qu'est-ce qu'elle peut faire peur cette fille quand elle s'y met.

— En plus, je croyais que tu étais dans la tourmente au niveau du cœur et que tu étais passé à autre chose vis-à-vis de Daisy ! Mais quel menteur ! continue-t-elle en s'approchant de moi.

— Kat, est-ce que je peux en placer une avant que tu me découpes en morceaux et que tu me cuises en court-bouillon ?

— T'as huit secondes quarante-cinq.

— C'est pas un rendez-vous amoureux, on avait juste envie de se voir entre amis. On vous a vus passer et on s'est dit qu'on allait vous faire une petite farce. On ne se doutait pas que ça allait se retourner contre nous.

Les deux visages en face de nous se radoucissent d'un coup et la jeune femme se laisse tomber sur une chaise en jurant. Je ne m'y attendais pas vraiment à vrai dire.

— Ah bah, mince, nous qui voulions être discrets, c'est râpé.

Elle fixe Harold qui l'évite un peu, les joues rouges. Sur la table, les deux mains sont liées d'une façon extrêmement gênée.

— En fait...

— Nous sommes ensemble depuis le festival de musique, complète Harold. Nous nous sommes chacun invités en suivant les conseils d'un certain blond et nous... Accompagnés d'une musique bien ringarde, nous sommes révélés nos sentiments que nous gardions en nous depuis trop longtemps.

— Et du coup Kat, comment tu vas faire pour ton père ? Tu le suis à Liverpool ?

Elle sourit de toutes ses dents et fait aller sa tête, surmontée de deux chignons qui la caractérisent bien.

— Non, je reste ici. Je me suis inscrite à l'internat de notre futur lycée. Je suis malheureusement la seule fille de notre petit groupe, mais au moins, je ne serais pas toute seule. Et puis, ce n'est pas si loin de chez toi, alors tu pourras me rendre visite quand t'auras envie de discuter.

À vrai dire, je ne l'ai jamais vue aussi heureuse. Me levant précipitamment de ma chaise, je hurle.

— Yeah ! C'est trop cool !

Les autres clients du café me regardent de travers et je me rassois en silence. Le serveur repasse près de nous, sans doute pour nous chasser. Mais ne le laissant pas ouvrir la bouche, je lui commande une tournée générale de limonade.

— Pourquoi de la limonade ? m'interroge ma voisine, qui en a déjà bu deux verres.

— On va attendre le serveur et je vous expliquerais mon raisonnement.

Heureusement pour nous, celui-ci ne met pas longtemps à revenir vers nous, un sourire aux lèvres — il imagine un gros pourboire, comme nous passons de deux à quatre. Chacun attrape son verre bien frais et le place devant soi. Me raclant la gorge, je lève solennellement le mien et déclare.

— Bien, comme vous le savez tous, la limonade est faite de citron. Le citron est un fruit ovale de couleur jaune. Et en tant qu'arc-en-ciel en chef de notre petit groupe, je me dois de connaître la signification des couleurs. Alors, pour nous quatre, le jaune est la meilleure d'entre toutes. Elle est joyeuse, pétillante, fait penser au soleil qui brille au-dessus de nos têtes. Mais aussi, c'est celle de l'amitié. Et ça, c'est ce qui nous lit. À nous !

Et nous frappons nos verres en un sourire gigantesque. 

Ciel de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant