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          Assise sur le banc froid de l'arrêt de bus, mon sac avachi à mes pieds, je regardais le ciel. Entre deux demeures luxueuses, j'apercevais le soleil en train de se lever, presque paresseusement. Ses rayons m'éblouissaient, m'obligeant à plisser les yeux pour espérer distinguer ce qui m'entourait, mais ils n'étaient malheureusement pas assez puissants pour me réchauffer. Mon souffle formait des volutes dans l'air et mes doigts étaient tout engourdis. Le matin, même à Los Angeles, il faisait froid. J'entendais les bruits de la circulation, quoique moindres dans notre quartier de Venice, et guettais le ronronnement du car scolaire.

          Une silhouette surgit au loin, dévala la petite pente pour finalement s'asseoir à mes côtés. Le tout sans un mot. Pearl n'était pas quelqu'un de très jovial. Ni sociable, d'ailleurs. Plutôt introvertie, elle était mon amie uniquement parce que j'avais fait le premier pas. Et parce que je ne parlais pas beaucoup non plus.

— Il fait froid ce matin. L'air est vif. Il pleuvra ce soir. 

          Je me tournai vers elle, étonnée par cette prise de parole bien matinale. Pearl avait beaucoup de préceptes, dont celui de ne jamais adresser la parole à quelqu'un avant dix heures du matin. Minimum. Je ne savais pas comment elle faisait en cours, puisque nous n'étions pas dans le même établissement, mais je me doutais qu'elle appliquait aussi cette règle de vie bizarre face à ses professeurs. Pearl était comme ça, elle n'avait pas peur du regard des autres.

— Si tu le dis... J'ai pas pris mon parapluie. Tu crois que j'ai le temps d'aller le chercher ? 

          Je n'habitais qu'à cinq minutes de l'arrêt de bus. Je ne prendrais pas beaucoup de temps à faire l'aller-retour. Mais Pearl pointa du doigt une ombre derrière mon épaule. En me retournant, je vis le bus arriver. C'était trop tard. Je haussai les épaules et lui souhaitai une bonne journée avant de monter. Pearl allait au Lycée Français de Los Angeles, tandis que j'étais inscrite au lycée du quartier de Venice, nous ne prenions pas le même transport. 

          J'avançai dans l'allée en quête d'une place. Malheureusement pour moi, il n'en restait de libre qu'au fond, là où tous les lycéens populaires de mon lycée siégeaient. Ils n'étaient pas « populaires » comme dans toutes ces séries que nous regardions adolescents, disons qu'ils s'arrogeaient le droit de s'asseoir au fond comme un roi réclamerait son trône. Si quelqu'un osait contester ce droit, il n'aurait pas de réelles représailles, disons qu'il recevrait à longueur de journée des regards hostiles.

          Finalement, je dirais qu'ils n'étaient pas populaires dans le sens aimés de tous, avec toutes les filles et garçons à leurs pieds. En fait, tout cela se passait principalement sur les réseaux sociaux. Ils étaient partout là-bas, de fait, chacun pouvait associer leur visage à un prénom. Chacun prêtait attention à leurs dernières photos Instagram ou à leurs actions sur Twitter. Ils étaient donc surtout connus de la plupart des élèves du lycée, c'était cela qui faisait d'eux des élèves « populaires ».

          Tout ça pour dire qu'ils ne tardèrent pas à me remarquer et je ne pus m'empêcher de rougir devant leurs regards moqueurs qui convergeaient vers moi. Je détestais cela, rougir, et ça m'arrivait bien trop souvent à mon goût. Surtout dans des moments gênants comme celui-ci. Aussitôt, les cris fusèrent :

— Regardez qui voilà ! C'est la Tomate ! Faites gaffe, les gars, ça tâche !

          Mortifiée, je me sentis devenir écarlate. Je n'arrivais pas à contrôler ce rougissement, même en pensant très fort à autre chose, comme ma mère s'évertuait à me le conseiller. Je m'empressai de m'asseoir à une place vide, mais c'était trop tard. Je savais que leurs paroles tourneraient en boucle dans ma tête toute la journée. Je ne devais pas laisser mes émotions transparaître, au risque de susciter de la pitié. Et il n'y avait rien de pire que cette lueur de fausse compassion dans les yeux de quelqu'un. Malgré mon apparent courage, ma gorge restait comprimée. Lorsque j'étais avec mes amis, je me sentais presque invincible. Avec eux, je n'étais pas la cible des moqueries. Nous étions invités ensemble aux fêtes, nous mangions ensemble en compagnie des élèves les plus en vue, nous traînions même ensemble avec eux le week-end. Mais dès que j'étais seule, certaines personnes, celles que je connaissais moins car elles venaient des sections sportives, ne pouvaient s'empêcher d'être méprisantes.

Déni de Vie [Réécrit]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant