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          Timaël était parti au moment où le soleil s'était couché dans l'eau, que je pouvais apercevoir de ma chambre. Il n'avait rien dit de plus, se contentant d'une étreinte ferme en guise d'au revoir.

          Puis mes parents étaient rentrés, et mon père avait fait preuve d'une telle gentillesse... C'était comme s'il avait fallu que je le renie pour qu'il réalise ce qu'il était en train de faire. Du coup, il m'avait offert de nouveaux patins, mauve pastel, magnifiques. Il était aussi apparu avec un bouquet d'œillets à l'attention de ma mère, ses fleurs préférées. 

          Il avait fait à manger avant que ma mère n'arrive, dressant une table pour deux, nous ayant demandé si nous n'avions pas d'amis chez qui aller dormir. Ce n'était pas le cas pour moi, mais je ne voulais surtout pas gâcher leurs retrouvailles. Je sortis donc, habillée d'un pull large et d'un short en jean. J'emportai mon trieur et quelques manuels, puis me posai dans un petit café proche du lycée, calme à toute heure de la journée.

          Je commençai par réviser, tasse de chocolat à portée de main. Je passai presque une heure sur l'intégration, mais rien à faire, je n'y comprenais rien ! Je décidai de passer à la physique, et évidemment ce n'était pas beaucoup mieux... Je peinai à comprendre comment construire un tableau d'avancement pour une réaction chimique donnée. La biologie rattrapa mes deux heures de révision, car j'étais plutôt forte en immunologie. 

          J'allai, à contrecœur, commencer l'allemand lorsque quelqu'un s'assit en face de moi. S'affala, plutôt. Je sursautai et levai le nez de mon cahier où se mêlaient les Wurst, les Die Vögel singen so schön et les Schnapsnase

          En face de moi se tenait Genesis. La sœur de Solal.

          Et ce fut comme si un courant électrique traversait mon corps. L'espace de quelques temps, la présence de ce douloureux souvenir s'était faite si ténue, que je l'avais presque mise de côté. Avec les changements d'humeur de Timael, le voyage en Italie, ma solitude... j'avais oublié ce qui autrefois me tenait à cœur. Et ça avait été comme une libération, rendant d'autant plus violente la claque que je me prenais à la vue de sa sœur.

          Je frémis en croisant son regard brun si sombre, qui lui ressemblait tellement ! Tout comme ses cheveux crépus formant de magnifiques anglaises, sa peau de métisse plutôt claire, à tel point qu'on pouvait distinguer des taches de rousseur, ses pommettes hautes, ses cils longs et épais, sa bouche charnue...

          Elle m'observait d'un air amical, qui différait tellement de sa manière de me regarder que le bout de mes doigts se mit à fourmiller. Leurs yeux étaient identiques, mais l'essence même de sa personnalité la rendait physiquement différente.

— Salut, Ama. finit-elle par me saluer.

          Je voyais ses yeux me jauger, je les sentais m'observer, noter mes cernes profonds, mes boutons légèrement rouges, mes cheveux ressemblant à de la paille. Elle devait se dire que j'étais bien différente de la fille qu'elle avait rencontrée l'année dernière. Et elle avait bien raison. 

— Tu as changé..., souffla-t-elle.

          Avec stupéfaction, je sentis mes yeux s'embuer dangereusement. Je clignai furieusement des paupières dans l'espoir de chasser des larmes qui ne demandaient qu'à couler librement. Le fait d'être là ce soir, parce que je n'avais pas le choix, n'ayant pas d'amis, était déjà une épreuve. La voir en était une autre, tellement plus difficile ! Mais l'entendre me dire que j'avais changé était au-dessus de mes forces.

         Lorsqu'elle m'avait vu pour la première fois... Je sortais d'une relation difficile, je venais de rencontrer son frère jumeau qui avait réussi, l'espace d'une nuit, à tout me faire oublier. Ce matin-là, je devais paraître presque... épanouie, pour la première fois depuis des semaines.

Déni de Vie [Réécrit]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant