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          Un blanc immaculé recouvrait les murs. Elle sentait une odeur de mort flotter dans la salle de consultation. Dans sa tête, l'hôpital était toujours associé à la mort. Un bureau parsemé de dossiers bariolés, derrière lequel l'infirmière consultait le sien, trônait au milieu de la pièce. Ils lui agressaient les yeux, étaient trop colorés par rapport aux murs aussi vierges que la page d'un de ses cahiers de mathématiques.

          Il flottait dans l'air une odeur d'antiseptique. Un peu comme l'alcool qu'on utilisait pour nettoyer ses boucles d'oreilles. Elle humait aussi cette émanation de produits ménagers. Comme au lycée, lorsqu'elle entrait dans les toilettes juste après le passage des agents responsables du nettoyage. En somme, rien de franchement ragoûtant.

          Elle percevait des éclats de voix, de temps à autres. Le bruit des chariots qu'on roulait, des patients qui gémissaient ou des familles qui pleuraient lui faisait penser à une fourmilière en pleine activité tentant de repousser l'inévitable. Elle entendit même la sirène d'une ambulance, puis les cris des médecins. En somme, rien de franchement réjouissant.

          Elle s'agita nerveusement, et le papier dont était recouverte la table de consultation sembla crisser. Ce son lui agressait les oreilles qui bourdonnaient sous l'afflux rapide de son sang.

          Son bras picotait, comprimé par ce truc, là. Comme pour la tension. Ce truc qui se gonflait pour mieux compresser son bras.

          Une jeune femme vêtue d'une blouse bleue s'assit à son chevet, munie d'une affreuse seringue, dont l'aiguille était beaucoup trop grosse. Beaucoup trop brillante. Elle avait un air qui se voulait rassurant sur le visage, mais cela ne fonctionnait pas. Elle-même ne paraissait pas convaincue. Elle devait penser que c'était un petit rien du tout, et que cela ne devait pas faire peur à une jeune fille de dix-sept ans.

          Cette infirmière avait à la fois raison et tort. Le prélèvement sanguin ne faisait pas peur. C'était la suite qui l'effrayait. Ce traitement, là. Lourd de conséquences. La prise de sang, ce n'était rien. Juste une action symbolique signifiant qu'elle aurait ensuite ce médicament chez elle, à disposition. Ce médicament qui avait causé des troubles mentaux à certains adolescents, au point qu'ils se suicident.

          L'infirmière approcha l'aiguille de son bras, d'un geste décidé. La jeune fille détourna le regard, refusant d'en voir plus, un frisson d'appréhension la parcourut. Son regard s'accrocha à une photo sur le mur : une fillette arborant un pansement sur le bras et souriant de toutes ses dents.

          Les pulsations de son cœur s'accélérèrent en repensant à elle, petite. Elle avait une peur bleue des piqûres et il lui arrivait de hurler à leur vue. Au fil du temps, cette frayeur s'était atténuée et elle se contentait de détourner le regard en attendant que l'objet s'enfonce dans la chair tendre de son bras, comme si c'était un chamallow moelleux à souhait.

          Elle retint son souffle en attendant le petit pincement caractéristique, et quelques secondes plus tard, la femme posa sa seringue remplie de sang sur un meuble. Le soulagement lui fit expulser tout l'air contenu dans ses poumons. Cette femme en blouse bleue avait trouvé sa veine du premier coup. L'infirmière s'empara ensuite d'un pansement et le lui appliqua sur le bras. Elle lui fit un sourire rayonnant, comme pour lui montrer que ce n'était qu'un petit prélèvement de sang de rien du tout.

          Et ça l'était. Mais elle n'aimait pas les piqûres. Tout comme elle n'aimait pas l'idée de subir ce traitement.

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          Après ma prise de sang, ma mère m'emmena dans le centre-ville. Cela faisait longtemps que nous n'avions pas eu un moment juste entre nous, et cela me manquait. Pendant le trajet en voiture, j'observai la plage où fourmillaient les familles en ce samedi ensoleillé. Les papiers en plastique volaient, personne ne faisait mine de les rattraper. Les chiens couraient partout, affolant les plus jeunes enfants, alors même qu'ils étaient interdits sur cette étendue de sable.

Déni de Vie [Réécrit]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant