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          En me levant le lendemain, j'eus du mal à me rappeler des événements de la veille. Puis lorsqu'ils me revinrent en mémoire je dus mordre l'intérieur de ma joue de toutes mes forces pour ne pas fondre en larmes devant mon frère. Mes parents, un modèle d'entente et d'amour, étaient... étaient quoi d'ailleurs ? Sur le point de se séparer ?

          Ma mère avait eu cette expression de confiance absolue, désintégrée une seconde après. Jamais, jamais elle ne le lui pardonnerait. Et je ne pouvais que la comprendre.

          Nous descendîmes en même temps, main dans la main. Nous avions trop peur de ce qui pouvait bien se passer en bas entre nos parents.

          Dans la cuisine, il n'y avait personne. D'habitude, quand j'y arrivais ma mère était toujours en train de danser sur un air entraînant, invariablement Can't stop the feeling, et préparait nos petits déjeuners. Rien n'indiquait qu'elle était sortie puisque son manteau et ses talons étaient à leur place dans l'entrée, j'avais vérifié. Dormait-elle encore ? Comptait-elle se lever et aller travailler ?

          Son travail était sa fierté. Je le savais parce qu'elle me répétait tout le temps qu'il était important pour une femme de travailler et de gagner son propre argent. Question d'indépendance, ajoutait-elle avec son petit sourire en coin.

          Quand elle était jeune, ses parents adoptifs avaient toujours veillé à ce qu'elle soit prise dans les meilleurs établissements pour qu'elle ait le meilleur enseignement. Ils en avaient les moyens. Mais une fois son diplôme en poche, elle était partie.

          Elle s'était rendu compte que sans eux elle n'aurait rien de ce qu'elle possédait et voulait voler de ses propres ailes. Elle voulait avoir un travail dont elle serait fière, sans leur aide financière ou leur appui. Alors elle avait fait ses bagages pour la France où elle avait fini ses études grâce à un échange et avait commencé à comprendre en quoi consistait le monde du travail. C'est là-bas qu'elle avait rencontré mon père, et ils étaient tout de suite tombés amoureux.

          Elle avait été engagée en tant que designer dans un magazine de mode américain qui avait une filiale en France. Elle n'avait pas tardé à revenir en Californie où était implantée la maison mère, suivie par mon père qui rêvait de devenir réalisateur. Elle avait gravi les échelons un par un par sa seule force et je savais que c'était l'une de ses plus grandes réussite, avec nous, mon frère et moi.

          Je fus interrompue dans mes pensées par un ronflement sonore en provenance du salon. Mon père avait dormi, et dormait encore, sur l'un des canapés, vêtu de ses vêtements de la veille. Je fermai doucement la porte pour ne pas risquer de le réveiller et retournai dans la cuisine où mon frère désorienté était assis. Il fixait la coupe de fruit d'un air morne.

          Je commençai à lui préparer son repas habituel pour ne pas le perturber plus, je savais que ça lui remonterait le moral. Effectivement, il dévora tout avec appétit pendant que je le couvais du regard. Puis j'allai me préparer, enfilai négligemment un pull et un jean, passai rapidement à la salle de bain.

          Je retrouvai Dael dans l'entrée au moment où je chaussai mes converse blanches. Il enfila sa veste et nous sortîmes en même temps. Je ne savais pas trop quoi faire. D'habitude, ma mère l'accompagnait au collège avant d'aller travailler. Devais-je en faire de même, au risque d'être en retard ?

          Je décidai que oui, et puis sa présence, quoique discrète, me réconfortait. J'avais l'impression que la normalité marchait avec moi au milieu de ce chaos ambiant.

          Cinq minutes de marche plus tard, nous étions devant le collège de mon frère. Étonnamment, il n'éprouva pas de honte à m'enlacer devant les autres. J'avais oublié que certaines personnes se fichaient du regard des autres. Moi, je ne pouvais pas. Ce n'était pas dans ma nature.

Déni de Vie [Réécrit]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant