39

1.4K 155 68
                                    

Lorsque je me réveillai le lendemain, mercredi d'après mon portable, j'avais l'impression d'avoir dormi pendant trois jours. Ma mère était assise sur une chaise et dormait contre l'épaule de mon père. Lui me regardait. Un léger sourire ornait ses lèvres, mais il n'était pas sincère. Je l'avais déçu.

          La veille, ils m'avaient longuement bassinée de l'importance de prévenir le père de ce bébé. Je ne leur avait pas révélé son identité, n'étant pas toujours certaine de vouloir lui apprendre que nous étions parents. De toute façon, il me semblait inutile de l'envisager un seul instant.

Une infirmière entra dans la pièce et m'aida à me laver et à m'habiller. Elle nettoya la cicatrice et changea le pansement. J'avais la désagréable impression que mon corps ne m'appartenait plus. Il avait accueilli un enfant à mon insu, l'avait fait grandir et l'avait fait naître. Et maintenant, j'en portais les stigmates.

En retournant dans la chambre, je vis que le docteur et mes parents m'attendaient. Ils avaient l'air sévère et me fixaient. Je m'assis sur le lit, leur faisant face. Le docteur ne tarda pas à prendre la parole.

— Bonjour, Amaryllys, commença-t-il d'un ton professionnel. Je vais t'accompagner voir le bébé. Il t'attend en couveuse.

Je sursautai avant de le fixer méchamment. Ma mère eut un mouvement de recul face à ma réaction.

— Je ne veux pas le voir, contrai-je d'une voix froide qui ne semblait pas m'appartenir.

Le docteur ne réagit pas, mais je vis très  nettement les yeux de ma mère se mettre à briller.

— Amaryllys, c'est ton enfant, continua-t-il calmement.

— Mais je m'en fiche ! m'énervai-je. Je veux pas le voir !

J'avais crié, et ma mère sortit précipitamment. Mes yeux piquèrent, mais je ne pouvais pas. Je n'avais aucun lien avec ce bébé. Le docteur n'ajouta rien et sortit à la suite de mon père qui était allé rejoindre ma mère. Je restai seule, tentant de clamer les battements effrénés de mon cœur.

C'est alors que Kenan entra, suivit de... Sidonie ? Que faisait-elle ici ? Les larmes coulaient sur ses joues, et je compris au visage renfrogné de Kenan qu'elle l'avait obligé à l'emmener.

— Salut, Ama, murmura-t-elle.

Sa voix était faible et tremblante. Mes yeux couleur iceberg la fixaient. Elle n'avait rien à faire ici. Pleine de rancœur contenue, je l'ignorai donc pour m'adresser à Kenan.

— Salut Kenan !

Son visage se décomposa mais elle ne se découragea pas, s'asseyant à côté de moi.

— Hier, je suis venue chez toi pour te parler. Pour m'excuser. Sauf qu'il n'y avait personne. Je t'ai appelée, mais tu ne répondais pas. J'ai donc contacté tes parents et ils m'ont expliqué que tu étais à l'hôpital. Que tu étais enceinte. Et c'est là que... que j'ai compris.

Sa voix se brisa et elle respira profondément. Ses yeux brillaient, certainement comme les miens.

— J'ai compris que ce que j'ai fait était impardonnable. A tel point qu'on ne se parle même plus. Tu ne m'as même pas dit que tu étais... enceinte. Je me sens tellement mal, Ama. Je ne te demande pas de me pardonner, juste d'y réfléchir.

Elle se tut, observant ses mains tremblantes. Une larme traîtresse coula sur ma joue et je luttai pour ne pas fondre en larmes. Je ne savais pas quoi penser de sa confession. Je la détestais, mais il me suffisait de me remémorer tous les instants joyeux que nous avions partagés pour avoir l'impression de la retrouver. Je la pris doucement dans mes bras, parce que je ne pouvais rien faire d'autre. Je ne lui pardonnais pas, non, ça je n'en étais pas capable. Mais j'avais besoin d'elle, autant que j'avais besoin de Kenan ou de mes parents. Ceux-ci rentrèrent alors, accompagnés du docteur.

— Amaryllys... J'aimerais que tu ailles voir un psychologue. Ma chérie, tu comprends, ça me rassurerait énormément.

Ma mère venait de lâcher sa bombe d'une voix blanche. L'inquiétude déformait ses traits. Pourtant, j'allais bien. Je ne voulais pas voir un psychologue. J'allais bien. Mais je l'avais déjà assez atteinte aujourd'hui. Je décidai donc de lui obéir.

— D'accord, acquiesçai-je docilement.

Elle me regarda avec étonnement. A coup sûr, elle pensait qu'elle aurait plus de mal à me convaincre. Je dus donc me rendre, avec un peu de mal car mes jambes étaient cotonneuses, chez la psychologue. Blonde aux yeux verts, un sourire aimable ornait son visage.

— Bonjour Amaryllys ! Je suis Sally.

Je marmonnai un vague bonjour en m'asseyant sur un confortable fauteuil dans le bureau aux tons sombres.

— Alors, parle-moi un peu de toi.

Je levai un sourcil incrédule. Elle voulait réellement apprendre à me connaître ?

— J'ai une famille et des amis, comme la plupart des gens. Je suis en dernière année de lycée, je fais du patinage artistique.

Elle ne répondit d'abord rien, attendant sûrement que je continue. Voyant qu'il n'en serait rien, elle me sourit gentiment.

— C'est tout ? Parle-moi de tes proches.

— Il y a Kenan et Sidonie. Ça fait super
longtemps qu'ils sont mes amis. Et puis y a Kelya, Timaël et Pearl. Et Solal, aussi.

- Solal ?

— Mon ex-presque-petit ami.

— Hum hum.

Avait-elle compris ? Se doutait-elle qu'il puisse être le... le père du bébé ? Elle n'ajouta rien.

— Parle-moi de... ce bébé.

— Il n'est pas à moi. Il s'est invité, comme ça, mais j'en veux pas.

— Alors, ce n'est pas ton enfant ?

— Techniquement, si, mais je le considère pas comme tel. C'est... comme un locataire. Mais c'est terminé.

— Une naissance n'est-elle pas censée être un commencement, et non pas une fin ?

— Pas pour moi.

Elle hocha la tête et me libéra. Cet entretien avait été éprouvant, mais court. Tant mieux. Je retournai dans ma chambre, où Kenan et Sidonie discutaient tranquillement.

Visiblement, ils s'étaient réconciliés. On me proposa une nouvelle fois d'aller voir le bébé, mais je refusai. Je n'en voulais pas. A partir de maintenant, sa vie ne me concernait plus.

\\ //

— Parle-moi de ce qui te rend heureuse au quotidien.

— Passer du temps avec Kenan et Sidonie, patiner.

— Rien d'autre ? Bon, parle-moi de ta famille.

— Ma mère a été adoptée. C'est pour ça qu'elle est tout le temps triste en ce moment. Mon père est réalisateur. Il a couru toute sa vie après ses acteurs. Et mon frère... c'est mon ami.

— Tu n'inclues pas ton bébé dans ta famille ?

— Il n'est rien pour moi.

La jeune femme n'ajouta rien. Nous étions déjà jeudi et elle n'avait pas l'air de désespérer. Deux jours après la naissance du bébé, je n'en voulais toujours pas. N'aurait-elle pas dû déchanter ? J'aurais presque préféré qu'elle montre mécontentement ou agacement, tout plutôt que cet air sérieux et impénétrable.

Je retournai dans ma chambre à pas lents et l'esprit vide. Sidonie s'y trouvait, seule. Ou était donc passé Kenan ?

Déni de Vie [Réécrit]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant