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           Le lendemain, alors que je remplissais mon sac de patinage, ma mère fit irruption dans ma chambre. Son regard se posa sur mes patins puis sur moi.

— Tu ne comptes quand même pas aller à ton entrainement ?

          Je la foudroyai du regard mais elle ne broncha pas. Ce matin, mes idées s'étaient éclaircies. Normalement, les femmes enceintes de huit mois se reposaient. Ma grossesse n'était pas apparente ni manifestée, je ne comptais certainement pas faire de même.

— Bien sûr que si !

          Elle s'empara de mon sac d'un geste vif et répliqua :

— Certainement pas ! Tu es enceinte, Amaryllys !

— Et alors ? J'ai jamais voulu ça !

          Je venais de crier, mais elle ne cilla pas ; elle se contenta de serrer plus fortement mon sac.

— Moi non plus, Amaryllys.

          Sa voix était dangereusement basse. Mais je ne m'en préoccupai pas. Son ton accusateur me rendait folle. J'attrapai mon sac et sortis d'un pas décidé sans qu'elle ne me retienne. En me voyant débarquer en justaucorps, Kenan fronça les sourcils. Il s'approcha à grands pas et me prit à part :

— Tu ne comptes quand même pas patiner ?

— A ton avis ?

          Ses yeux semblèrent sortir de leurs orbites. Je me fis la remarque que je ne connaissais pas encore ce côté totalement à cran de sa personnalité. J'aurais même pu en sourire si je n'avais pas été aussi exaspérée.

— C'est totalement irresponsable !

— Tu ne vas pas t'y mettre aussi ?! Je suis là, point.

          Je me détournai de lui et finis de lacer mes patins. Je priais intérieurement pour qu'il ne dise rien à personne. Alexie m'aurait sans aucun doute interdit de patinoire, et je n'aurais pas pu participer au concours, ni aux championnats.

          J'entrai sur la glace et nous commençâmes l'échauffement. Inconsciemment, je cherchai Timaël du regard. Il avait embrassé Erin, ce qui m'avait détruite, provoquant en moi une sorte de raz-de-marée dévastateur, et je voulais encore savoir s'il était là. Pathétique.

          C'était d'ailleurs le cas. Je le repérai un peu plus loin, mais jamais il ne tourna la tête dans ma direction. Je blêmis en constatant qu'une fois encore, il se permettait de m'ignorer. Faire comme si je n'étais pas là. Mais quel gamin ! Il fallait vraiment qu'il grandisse...

          Je me repris en sentant sur moi le regard hostile de mon meilleur ami. Puis nous répétâmes plusieurs fois la figure sur laquelle nous avions travaillé durant toute la semaine. Malheureusement, les mains de Kenan étaient moites et je n'arrêtais pas de glisser. Mes abdos ne répondaient pas et j'avais du mal à me stabiliser plus d'une poignée de secondes. Kenan devait être stressé à l'idée de me faire tomber et Alexie commençait à s'agacer.

          Ce qui devait arriver arriva. Je m'élançais pour aller à l'encontre de Kenan lorsqu'une subite crampe au ventre me fit trébucher. Je m'affalai dans les bras de Kenan alors que la douleur me faisait tressaillir. Il me déposa doucement au sol sous le regard médusé de l'entraîneuse. Elle se mit aussitôt à brailler, nous hurlant de recommencer. Un autre couple accapara son attention et je pus souffler quelques secondes.

— Qu'est-ce qui s'est passé, Ama ?

— Je sais pas, j'ai eu trop mal au ventre, d'un coup !

          Son regard désapprobateur me fit baisser les yeux. Je tentai de repérer Timaël derrière son épaule, mais mes yeux ne trouvèrent pas sa silhouette. J'étais incapable de savoir s'il était inquiet de ma chute, ou s'il n'en avait plus rien à faire.

Déni de Vie [Réécrit]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant